Au bout, ce fut la Lumière : le grand homme paisible, l’œil rieur, avançait sur le chemin de nuages tricoté par les vents, vers des portes majestueuses qui s’ouvraient sans un bruit. Il avait revêtu, comme autrefois, comme lors de son procès, il y a bien longtemps, sa pelisse de léopard confié mourant par le souverain des Thembu à son père, cette kaross tachetée au soleil des savanes dont, petit garçon, il se servait pour transformer le retour des vaches à l’étable en une parade militaire, lui devant, les paysans derrière, monarque des Xhosa rentrant de batailles indicibles, quand les bovins et les vachers songeaient mollement au coucher du soleil. Cette cape d’apparat, cette armure de peau et de cuir entremêlés, il l’avait encore en 1963, face à ses geôliers, ceux à qui il avait dit de sa voix lourde : « J’ai dédié ma vie à la lutte pour le peuple africain. J’ai combattu la domination blanche et j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec d’égales opportunités ». Alors, il y avait tenu, à son lourd manteau rutilant du soleil africain, il l’avait mise, malgré ses proches, qui trouvaient cela un peu pompeux, un peu mégalomane, un peu tape-à-l’œil, a-t-on idée, vraiment, de faire le malin, en de pareilles circonstances. Mais lui avait dit : j’y tiens. J’y tiens de toutes mes forces. Pensez-y ! Comment, la kaross pour les magistrats minables des procès infâmes, et pour Saint-Pierre, une cravate et des boutons de manchette ? C’était impensable. C’était absurde. Car ce n’est tout de même pas tous les jours, qu’on rentre au Paradis.
Quand le grand homme arriva enfin près des grilles, il y avait là une grande foule, des gens de peu et des hommes endimanchés, des enfants et des vieillards, une soubrette, un général, un archevêque, des gens, aussi, qui, manifestement, avaient été surpris dans leur sommeil, ou bien une partie de bowling, une séance absorbante de chasse à courre, des travaux importants ou domestiques, mais, que voulez-vous ?, les heureux évènements ne préviennent pas, et c’est souvent regrettable.
Cependant, le grand homme s’approcha, à pas lents et diminués : les gens le reconnaissaient, l’embrassaient, lui donnaient des rameaux et des huiles douces. Tous voulaient le voir, le reconnaître, et beaucoup pensaient, que, tout de même, cette vie au Paradis ne commençait donc pas trop mal, avec la compagnie d’une personnalité si estimable, des attractions si amusantes, une résidence si prestigieuse. Pourvu que le Paradis reste aussi agréable le plus longtemps possible ! dit une petite femme à son mari.
Mais un garçon, seul, affolé, cherchait sa mère.
Alors, le grand homme vint à lui, il s’agenouilla, et lui demanda ce qui, dans ce visage renfrogné de fureur, causait de si grands chambardements. Incapable de parler sans pleurer, l’enfant se tu, mais un des hommes qui attendaient dans la grande file des âmes bénies, un des hommes toujours volontaire pour faire n’importe quoi qui puisse seulement rehausser leur importance, et ainsi leur apporter une contenance flatteuse, même dans une file d’attente, un de ces curieux intempestifs et insupportables que vous rencontrez partout, dans un régiment, un constat pour un accident de voiture, un dégât des eaux, et, donc, même là-haut, le Paradis étant de nos jours dans un drôle d’état, un homme expliqua la situation. C’était toute une famille, disparue dans un typhon ; mais le vrai drame résidait moins dans le trépas que dans la procédure interne des instances divines. En effet, l’enfant était allé au Paradis, et sa mère en Enfer. « Il s’en passe des drôles de choses, ici, tout de même », conclut l’importun en se massant le menton.
Alors, le grand homme se courba, comme se penche un vieil arbre auprès d’une rivière, il se courba, et sous ses pieds, très loin, là-bas, il vit un antre rugissant, un brasier énorme dont les lueurs faisaient, parmi la nuit en contre-bas, comme une mer de lucioles. « C’est sacrément haut, hein, tout de même » s’enquit le quidam, qui, aussitôt embarrassé, fit semblant de contempler le ballet des anges. Le grand homme ne dit rien, il s’assit sur un banc, appela le petit garçon, et fit venir à lui un préposé du Paradis. Ce dernier arriva à tire-d’ailes.
— Qu’est ce qui se passe ? demanda l’employé, qui ne regardait pas même le grand homme en face, cochant les cases encore inviolées d’un questionnaire en trois exemplaires. Vous avez une réclamation ? On a perdu vos bagages ? Vous voulez une chambre avec un bidet dans les toilettes ? Parce que si c’est ça, c’est pas moi qui m’en occupe, voyez avec ma collègue, derrière le guichet là-bas, hein, comment (il se retourna vers un gros monsieur australien qui avait élevé la voix) oui ben un peu de patience, monsieur, tout le monde est fatigué, ça a été un long voyage, vous n’êtes pas pressé quand même ? Vous avez l’éternité devant vous ? Oui ben patientez, prenez un numéro, écoutez j’essaye de faire mon métier, si chacun y met du sien ça va bien se passer, (pour lui) nan mais tout de même, je vous jure, de nos jours, aucune éducation, les saints d’y a quatre siècles, c’était quand même autre chose (puis, revenant vers le grand homme dont il se souvenait de la présence). Ah, oui, alors, vous, dîtes-moi, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
— Rien, dit le grand homme. Juste une question.
— Allez-y.
— Pourquoi ce garçon est-il séparé de sa mère ?
— Lui, là ? Eh bien c’est très simple, cher monsieur. Vous vous souvenez du purgatoire ? Vous êtes allé vers la grande porte à droite, c’est bien cela ? Oui ? Eh bien, sa mère, à lui, elle est allée vers la grande porte à gauche. C’est très simple. Vous n’avez pas lu nos brochures ? Notre Eglise répète pourtant ce mode d’emploi depuis de nombreuses années.
Il faisait déjà mine de rebrousser chemin.
— Attendez !, le rattrapa le grand homme, et chacun, désormais, l’écoutait, fasciné par cette force qui, peu à peu, s’éveillait, ce volcan dont le feu avait, jadis, brisé des Alcatraz.
— Attendez, reprit-il de son souffle impérieux assassin des bourreaux. Vous voulez dire qu’ici aussi, les hommes sont séparés ? Ici aussi, on trie, on parque, on classe ? Quoi, même au Ciel, des barrières et des prisons ? Pourquoi cette injustice, cette apartheid, ces murs, toujours, entre les hommes et leurs frères ? Pourquoi l’indifférence et la haine ? Ainsi, même après la mort, la vie est un royaume de larmes et de sécheresse ? Non ! Faisons un nouveau système. Rassemblons-nous. Désormais, chaque homme mort, arrivé au Ciel, aura une voix, quelle que soit sa couleur, quel que soit son passé. Un mort une voix. Permettons à tous de vivre avec celui qui l’a offensé. Un assassin vivra pour l’éternité avec sa victime, qui lui pardonnera. Un braqueur de banque pourra offrir l’argent dérobé à sa compagne candide. Je pourrai jouer aux cartes avec mes geôliers, et ainsi, prendre éternellement ma revanche, battant demain à la bataille corse, ceux qui me battaient hier dans leur îles-prisons. Mettons à bas les herses et les ressentiments. Supprimons les citadelles et les ghettos. Tentons la fraternité, et les cœurs magnanimes. Faisons, enfin, dans les nuages, une vraie nation arc-en-ciel.
Il faudrait de longues phrases, des mots compliqués et des trésors d’habileté, pour décrire le quiproquo qui suivit ces quelques paroles, car aussitôt, ce fut un tohu-bohu énorme, des invectives, des mots blessants, si bien que l’épisode est pénible à raconter, tout comme il fut éminemment pénible à vivre pour l’employé dérangé, hagard, perdu, assailli par cette foule groupée avec dévotion autour du grand homme, et qui dans sa colère, menaçait cette harmonie, qui, depuis longtemps, fait toute la réputation des régions supra-célestes ; alors, pour conclure disons simplement que la direction du Paradis dut, suite au Grand Homme, faire des concessions à ses invités, inventer une politique astucieuse quoique coûteuse, et, au final, on en fut quitte pour un open-bar éternel tous les jeudis soirs, l’extension des heures de baignade dans la piscine, une double ration de pain d’épices lors du repas de Noël qu’on faisait aux chandelles.
À l’approche des échéances électorales, la règle du jeu républicain vaut autant pour la gauche qu’elle vaut pour la droite… http://www.humanite.fr/monde/barghouti-netanyahou-la-difference-555134
P.-S. de circonstance : Que mes ennemis jurés puissent juger ma constitution comme votre institution «fermée sur elle-même, composée de fachos sionistes, défendant inconditionnellement l’État d’Israël», bien loin d’éveiller en moi l’ordre de casser leur impression, conforterait plutôt mon sentiment qu’il y a bien quelque chose de pourri au royaume de la République. L’antisionisme est la forme la plus aboutie de l’antisémitisme. Si vous souhaitez vous montrer plus efficace que votre prédécesseur vis-à-vis du second, monsieur le président du CRIF, ne désarmez jamais au-devant des lubies récurrentes du premier. Et ce, quand même son obsession prêterait à votre force de réaction une allure obsessive.
Netanyahu n’irait pas se rendre aux obsèques de Mandela du fait qu’Israël aurait entretenu des relations étroites avec l’Afrique de Sud, au temps de l’apartheid. C’est qu’Israël ne pouvait plus compter sur tellement d’alliés après les deux chocs pétroliers… Était-ce une raison pour aller prendre appui sur une branche pourrie? Sans doute pas.
Les 5 – 2 ne purent pas davantage se lancer dans une troisième guerre mondiale entre 1946 et 1990 que les 5 – 1 ne sont libres aujourd’hui de délivrer le monde d’une dictature chinoise. Est-ce une raison pour lui offrir un droit de veto-tyran au Conseil de sécurité? Allez poser la question au peuple tibétain!
Woody Allen, lorsqu’il décida de boycotter l’Afrique du Sud — je me demande si ce n’était pas à l’occasion de la sortie mondiale de Radio Days… ah non? bien avant? — déclencha ce que l’on qualifiera de «sursaut de conscience immondialement médiatique». Un mouton noir s’est-il jamais distingué au sein d’un troupeau noir?
Je salue l’âme noble du résistant à la mort lente de l’ENFERmement. Et j’en profite pour inviter ses manipulateurs au mouvement de recul requis au moment fatidique. Il est si fastidieux d’avoir à éprouver de l’inquiétude à l’heure où toute proscription serait tentée de prescrire le repos dans l’Éternel. J’ai dansé avec le Zoulou blanc à une époque où Mandela croupissait dans sa geôle. J’ai vu les enfants-soldats du Hamas brandir le portrait en toile ondulée du Che. Nelson Mandela fut un grand révolutionnaire. Il a pu être abusé de son vivant. Il ne pourra plus l’être à présent que les victimes de l’esclavage et de la colonisation sont réunies sous le son d’un même sac. Les mots avaient juste été justes. Il y avait bien un apartheid au Proche-Orient. Un peuple, trop longtemps nié dans sa dimension physique, trop longtemps méprisé pour son dimensionnement métaphysique. Un peuple victime d’une colonisation à répétition. Un peuple dont les pillards de son territoire culturel s’avéreraient être, chacun leur tour, comme poussés par un même esprit d’irrésistance, les spoliateurs de son territoire cultuel. Mandela nous éclaire. Israël est l’Afrique du Sud de l’Asie de l’Ouest. Prions pour que Mister Kerry rende justice au géant Africain en exploitant les richesses d’une parole prophétique, laquelle peut s’avérer aussi indéchiffrable à ceux qui la reçoivent qu’à celui qui l’émet. Il n’y aura pas de réconciliation universelle entre des hommes dont les uns se soumettent au libre arbitre pendant que les autres s’en remettent à la fatalité. Or il doit y avoir réconciliation entre l’État juif et les États arabes. Les descendants des esclaves de l’Égypte et de Rome ont recouvré leur souveraineté un demi-siècle avant que les descendants des esclaves des Provinces-Unies ne leur emboîtent le pas de deux. Je ne peux pas m’empêcher de penser à cette principauté d’Orange, à laquelle l’État de droit doit tant (en deux mots), comme l’Histoire est cruelle… avec un avantage, tout de même, chez Monseigneur Tutu : une religion en partage. Et pourtant, malgré tout ce qui ne manquera pas de succéder à ce qui précéda, Israël est prêt à pardonner aux ex-alliés du Troisième Reich la poursuite de leur programme d’anéantissement du peuple juif, munis qu’ils sont d’un bouclier inhumain à géométrie variable doublé d’une double propagande. Mais il n’y a pas de pardon avant que n’en ait été formulée l’onctueuse imploration. C’est bien ce que nous enseigne le miracle de la réconciliation sud-africaine. En cela, l’homme que je suis se ressent l’éternel débiteur de Madiba.