Proust, chacun le sien. Que l’on partage ou garde jalousement, que l’on discute/dispute ou tient secret. Le petit Marcel ou l’écrivain-monstre. L’asthmatique reclus ou le mondain affecté. Vous êtes plutôt Albertine libre-prisonnière ou Charlus ? Guermantes ou Swann ? De quel côté penchez-vous ? Et puis, l’avez-vous lu, au fond ? Ou bien en parlez-vous comme ça, pour briller ? Proust. Chacun le sien.
Jean-Paul et Raphaël Enthoven, le père et le fils, nous proposent leur Dictionnaire amoureux de Marcel Proust. Autant dire leur Proust. Quatre mains, deux générations, une filiation. L’écrivain-éditeur et le philosophe. Une même lecture. Deux lectures. Proust, quand même, quand on y pense…
Quand on y pense, c’est la Recherche toute entière qui nous saute au visage, et Jean Santeuil, et les Pastiches et autres Travaux. On s’en tient aux textes, de prime abord. Parce que Proust, c’est du texte. C’est aussi une légende d’écrivain, les manies, la réclusion, les murs de liège et Céleste Albaret en Cerbère consciencieux. C’est qui/quoi, Proust, pour vous ?
Pour les Enthoven, père et fils, c’est indéniablement une forme de connivence. Il est de bon ton de déclarer que l’on relit Proust à différents stades de sa vie, qu’on y retrouve quelque chose de ses lectures antérieures, et qu’on y découvre quelque chose de sa propre actualité, de sa propre évolution. Dans un dictionnaire à quatre mains – deux paternelles et deux filiales – la somme doit être générationnelle. Ou pas. En fait, elle l’est sur le plan simplement humain, concret et intime, savant et émotionnel. On reconnaît souvent, bien que les entrées ne soient pas signées, la patte du père et celle du fils. Ce qui n’est en rien gênant, ce qui provoque une sorte de lecture « au carré ».
Un dictionnaire amoureux. On y court « en amour ». Les entrées, on les guette, on les scrute. On file à ses préférées, ses attendues. Métaphore. Questionnaire. Paperolles. Voilà ce à quoi court la lectrice. Pour « Métaphore », le dictionnaire offre un texte long, concret, délicieusement savant, sans pédanterie. On retient « La nature, qui s’y entend à fabriquer des télescopes fortuits, l’avait, à son insu, mis sur la piste de l’art » (p. 424). Pour « Questionnaire », on tombe sur un os. À l’attendue liste de questions élaborées par Proust – terribles et terrifiantes, qui poussent à l’aveu – se substitue un questionnaire dont les items, parfois, avouons-le, nous laissent sec. Ce n’est pas le questionnaire « de » Proust, c’est le questionnaire « sur » Proust. Arg ! Quel est le prénom de M. de Norpois ? On n’en a aucune idée. On ne s’en souvient plus, on doute même de l’avoir jamais su. Heureusement, les réponses sont données : M. de Norpois ? Son prénom ? « Nul ne le sait ». Ouf ! On n’a pas failli. On ne savait pas répondre, mais il n’y avait pas de réponse. Honneur sauf. On sourit à la question 5 (« quel est le nom de famille d’Albertine ? », trop facile) et l’on bute à la question 66 : « Combien de fois Proust cite-t-il Plotin dans La Recherche » ? Euh… Plotin ? Réponse : une seule fois. Ah bon. Mais… et le questionnaire « de » Proust, alors ? Il n’y est pas. Sans importance, on le trouve partout, il suffit de fouiller sur n’importe quel moteur de recherche.
Les paperolles, on les cherche en vain. Ces rubans de papier ajoutés, collés, annotés, raturés, qui donnaient au manuscrit proustien tout à la fois des allures d’œuvre d’art bricolé et de chantier en cours, Jean-Paul et Raphaël Enthoven ne les ont pas retenus.
La collection des Dictionnaires Amoureux permet aux écrivains de sabrer dans l’attendu. Les Enthoven père et fils s’en donnent à cœur-joie. Leur Proust est désinvolte et singulier. On y croise Sartre (« Officiellement, Sartre déteste Proust – ou plus exactement il ne se sent pas autorisé à l’aimer »), Françoise Sagan et Bruno Coquatrix (qui fut maire de Cabourg), on y médite sur la Déception et les Croissants de Mme Verdurin, la Photographie et les Souliers, qu’ils soient noirs ou rouges. On aime le Proust de Jean-Paul et Raphaël Enthoven parce qu’il est à la fois canonique et surprenant, désarmant et rassembleur. Leur lecture des écrits proustiens et leur perception de l’homme écrivain sont une invitation à la redécouverte. À travers un prisme tout personnel ils nous forcent à l’interrogation, si ce n’est à la remise en question. Un dictionnaire amoureux ? Est-ce que j’aime Proust, vraiment ? Oui, assurément. Et qu’est-ce que j’aime de lui, en lui ? Faisons abstraction des paperolles, oublions les faiblesses et les affèteries de la vie mondaine, que Claude Arnaud a si bien montrées dans son Proust contre Cocteau (Grasset, septembre 2013). Revenons aux « Anagrammes » (superbe entrée) et à la « Lanterne magique » (merveilleuse). Laissons-nous surprendre par le « Kung-Fu » et méditons sur la « Déchéance » et « Pretty Woman ». Le Proust de Jean-Paul et Raphaël Enthoven a de quoi émouvoir et ébahir. On ne s’en plaindra pas, au contraire. Deux exemples. L’article intitulé « Contemporains (du temps perdu) » offre une très jolie confidence sur la fascination qu’exerce Proust : « Au cours des années 1970, l’un des deux auteurs de ce livre – le plus âgé, on s’en doute… –, déjà fétichiste proustien, guettait les derniers ‟poilus” de la Grande Guerre du temps perdu. Il eut le privilège d’en croiser quelques-uns… ». Et page 207, on rencontre Jérémie Bennequin, l’« Effaceur (de Proust) » : « Jérémie Bennequin est un artiste conceptuel trentenaire qui, depuis de longues années, se consacre à une tâche dont l’absurdité fascine : chaque jour, avec le côté bleu de sa gomme, il efface une page d’À la recherche du temps perdu ». Cet ouvrage malicieux et documenté est aussi un dictionnaire « autour » de Proust. Il renvoie parfois les gloses universitaires et les jugements dos-à-dos. Il est probable que le Proust de Jean-Paul n’est pas celui de Raphaël. Leur dictionnaire commun est la fusion de deux admirations complices. Proust, chacun le sien, ici partagé à deux.
Oui. Le livre est en rupture de stock depuis qu’ils ont eu le prix Femina essai.
C’est dommage…
Deux très bels hommes. Doublés d’amoureux… de Proust. Ce qui ne gâche rien!
Cela fait longtemps que j’attendais un dictionnaire de Proust digne de ce nom.
Et, si j’en crois cette critique, ça a l’air d’être le cas. Enfin non un catalogue de personnages, ni d’intrigue de la Recherche mais le monde selon l’oeuvre et Proust lui-même.
Je vais aller l’acheter!
Une entrée Zidane dans un dictionnaire « amoureux » et qui plus est de Proust?!
Gonflé. Il faudrait le lire pour voir si ce n’est pas gadget. Mai l’article donne envie…
Suite à la lecture de cet article, je me suis rué à la librairie de mon quartier. Ils n’en avaient plus.
Je suis allé à la FNAC. Eux non plus n’en avaient pas…
Je suis allé à la librairie à côté de mon travail, même sort.
On dirait bien que le livre est en rupture de stock à Lyon.
Comment faire pour se le procurer autrement que par Amazon (qui m’exaspère!) Peut-on en faire la demande directement chez l’éditeur?