Vu du Ministère de l’Intérieur, la France semble forcément plus inquiétante, violente et angoissante qu’elle ne l’est vraiment. Place Beauvau, pas un jour ne se passe en effet sans qu’un rapport journalier recensant l’intégralité des crimes et délits commis sur le territoire national ne soit remis, sur son bureau, au «Premier flic de France». Et puis il y a les coups de fil en pleine nuit, ceux qui extirpent brutalement de sa couche le titulaire du poste en lui commandant de se rendre sur les lieux d’un attentat, d’une prise d’otage ou bien encore d’une tuerie sanglante. Place Beauvau, pas un jour ne se passe sans heurts et sans remous. La mission est compliquée, de là provient sa beauté…

C’est justement ce quotidien mouvementé que relatera, samedi 13 Juillet à 22h sur la chaîne Public Senat, le très bon documentaire «Vu de l’Intérieur», réalisé par Laurent Huberson. De quoi s’agit-il au juste ? D’une cinquante de minutes bien ficelées plongeant le spectateur dans les coulisses de la Place Beauvau, le tout entremaillé de longues interventions de Manuel Valls et d’ex-Ministres (Charles Pasqua, Jean-Louis Debré, Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe, Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux) qui, une fois n’est pas coutume et au-delà des clivages politiciens, sont tous sortis de leurs réserves pour se livrer sur la difficulté d’incarner la fonction. Seul manque à l’appel un certain Nicolas Sarkozy. Mais à dire vrai, il faudrait consacrer à son exercice un documentaire entier tant il y aurait de points à creuser… Hormis cette absence notable mais compréhensible, les anciens ministres s’expriment librement dans «Vu de l’Intérieur», certains apparaissant d’ailleurs sous des jours plutôt inhabituels. Charles Pasqua raconte ainsi (dans une langue savoureuse) qu’à l’époque de sa toute puissance, il n’était pas protégé par des gardes du corps mais par sa femme, armée, entrainée au tir et assurant la protection de son mari en cas d’embuches ! Mieux qu’un zapping enchaînant rapidement les déclarations chocs, le documentaire prend le temps de creuser les profils des différents ministres. Au fil des entretiens filmés par Laurent Huberson, une certitude se dessine : cette impression rassurante d’un Ministère tenu par des hommes d’Etat plutôt que par des politiciens intéressés par leurs seuls intérêts. Capables de dépasser le clivage Droite-Gauche, on voit ainsi Debré et Chevènement utiliser les mêmes mots pour décrire des situations extraordinaires. De Joxe à Hortefeux, unanimes, les ministres interrogés avouent rapidement combien la fonction de Ministre de l’Intérieur use, éreinte et transforme à jamais son titulaire. Confronté, peu de temps après son entrée en fonction, aux attentats du RER Saint-Michel, Jean-Louis Debré lâche ainsi, d’une voix fatiguée : «Vous êtes sans arrêt en état de tension» puis poursuit, sur le ton de la confidence : «Quand tout va bien, ils sont tous là, mais quand ça va mal, il n’y a plus personne…» Les mots touchent. Ils témoignent de lourdes responsabilités. En vrac : succéder à Clémenceau, devenir un personnage-clé de l’Etat, veiller au maintien de l’ordre et laisser son empreinte dans l’Histoire. Et pourquoi pas, à l’instar d’un Nicolas Sarkozy ayant de la suite dans les idées, cette volonté de faire du dit poste un formidable tremplin vers le pouvoir suprême. Et si finalement, cette fonction qui n’a rien d’un jeu en valait la chandelle ?