Stupeur et tremblement. En ce 3 mai 2017, pas moins de seize millions de Français regardent fébrilement le débat de l’entre-deux-tours. Un combat de boxe ! Sur le ring télévisuel, à mon centre-gauche, tout à la fois newcomer et outsider, le marcheur obstiné Emmanuel Macron. A mon extrême-droite, l’héritière d’un parti longtemps considéré comme raciste, antisémite, homophobe et xénophobe, la frontiste Marine Le Pen. Ce soir-là, donc, pour reprendre la mémorable saillie de Roger Gicquel : «La France a peur !» Pour la seconde fois de son histoire, la Cinquième République voit un membre de la famille Le Pen accéder à l’ultime marche avant l’Élysée. L’extrême-droite est aux portes du pouvoir et les français, inquiets, se mettent à imaginer le pire. C’est qu’avant d’être un parti ripoliné, à la face ravalé pour mieux séduire, le Front National est d’abord une gigantesque machine à fantasmes… A quelques jours de la votation, ceux-ci vont donc bon train. En cas de victoire mariniste, untel promet de «quitter le pays», un autre, soudain métamorphosé en Jean Moulin 2.0, signale par tweets interposés sa volonté d’organiser la «résistance» sur le territoire national. L’abstention guette. Et l’on tremble… En face, les progressistes de tous bords se rassemblent et tentent de faire barrage. Si la perspective d’un futur véritablement de gauche n’est plus vraiment de mise, ce brinquebalant attelage espère au moins un sursaut républicain. Comme Chirac en son temps, Macron fait office de sauveur. Sa principale qualité constitue également son principal inconvénient : il est novice, inexpérimenté, en un sens, neuf. D’aucuns, pessimistes, craignent donc qu’il se fasse balayer par Le Pen, vieille routière et coutumière des joutes politiques. Voilà où nous en sommes en ce 3 mai 2017, juste avant le fameux débat télévisé de l’entre-deux tours. L’heure est donc grave et les indécis choisissent enfin leur camp. Il se joue là comme une bataille acharnée entre le jour et la nuit, l’ouverture et le repli, le cosmopolitisme rassembleur et le nationalisme borné. Si Emmanuel Macron a jusqu’ici surpris tous les observateurs, on ne donne pas cher de sa peau si Le Pen taclait, éructait, jouait des coudes et propageait, dans un inquiétant mais efficace élan trumpiste, ces fake news dont la toile est désormais polluée. Car MLP est ce qu’on appelle dans le jargon une «bonne cliente». En cela, elle est bien la fille de son père, une redoutable héritière jusque dans son parlé, ses expressions, ses manières. Pourtant, contre toute attente, le Goliath blond s’effondrera ! Débat raté, prestation mal préparée et émaillée de gamineries : un véritable «suicide en direct !» commente Alain Duhamel… C’est tout cela que raconte le documentaire C’était écrit : Les dix derniers jours de Marine Le Pen diffusé dimanche 15 avril sur France 5. Un film didactique, analysant l’échec, déroulant le fil des dix derniers jours de la campagne présidentielle, remontant également aux origines de la carrière politique de Marine Le Pen, à son histoire familiale — celle d’une véritable «dynastie» — et à sa relation orageuse avec Jean-Marie Le Pen, son père… La force de ce documentaire réside justement dans le fait qu’un certain nombre de responsables du FN ont accepté de parler de cette soirée funeste. Tous sont là, face caméra, même les «traitres» partis une fois la défaite acquise, alors que le navire frontiste prenait l’eau… C’est ainsi que Florian Philippot, désormais patron de son propre parti (Les Patriotes), revient sur la prestation ratée de son ex patronne : «Ah moi je me liquéfie, je me transforme en flaque d’eau ! A la fin, il n’y a plus rien… Et moi j’ai des duplex à faire dans la foulée, en direct, pour expliquer qu’elle a gagné le débat ! Forcément… C’est mon rôle !» D’autres lieutenants, demeurés quant à eux fidèles, dressent un constat amer : Sébastien Chenu, devenu député du Nord commente : «Ce n’est pas comme ça qu’elle avait imaginé les choses, ce n’est pas le débat dont elle aurait rêvé. Je l’ai connue dans de meilleures dispositions.» Nicolas Bay, désormais numéro 2 du FN préfère, lui, tempérer : «Peut-on juger son parcours sur un seul débat ? Je ne crois pas.»

 

Ainsi donc, après avoir monté une à une les marches vers le graal élyséen, la cote de popularité mariniste s’est effondrée en une soirée. Comment expliquer la débâcle ? Obsédante question. Outre cet imbroglio familial, ce «théâtre dramatique» évoqué par Jean-Marie Le Pen lui-même, d’autres raisons plus terre-à-terre sont pour la première fois évoquées par l’équipe de campagne de la candidate. Pas forcément des excuses, mais tout de même… Le matin du débat, c’est ainsi une migraine ophtalmique très douloureuse qui terrasse la dirigeante du FN. Un mal soudain, si puissant que l’on songe un temps, du côté de Sébastien Chenu et de Gilbert Collard, à demander le report du débat. La source de cette défaillance : le surmenage des derniers jours de campagne évidemment, mais également une faute politique. Il y eut, sans qu’on ne l’explique trop, une propension à multiplier les déplacements inutiles du coté de Le Pen, un besoin sauvage de bouger sans but réel alors qu’il aurait convenu de se poser patiemment pour préparer l’ultime face-à-face. Douze mois sont passés. Un temps soupçonnée de vouloir jeter l’éponge, Marine Le Pen est réapparue relookée, déterminée à montrer qu’elle est désormais capable de résister à la pression et aux aléas de la vie politique. Il y a urgence ! Car déjà, en coulisses, l’ombre de Marion Maréchal menace. Soucieuse de pureté originelle, l’ex-députée du Vaucluse apparaît et disparaît tel un spectre, envoie des cartes postales de Washington DC, aiguise sinon ses couteaux au moins ses idées… Comme souvent au FN, les affrontements politiques prennent des allures de telenovela…

 

C’était écrit : Les dix derniers jours de Marine Le Pen, de Bruce Toussaint et Yannick Adam de Villiers, sur une idée originale d’Alexandre Amiel. Diffusion le 15 avril à 20h50 sur France 5.

Un commentaire

  1. La députation européenne peut très bien être utilisée contre l’Union, pour défendre un projet nationaliste, ou crypto-islamiste. Quant aux institutions de la grande démocratie représentative européenne, elles désincarnent ceux-là mêmes qui s’y collent et s’y coulent en les invitant à déposer leurs identités folkloriques au vestiaire durant tout le quinquennat. En regard de cette double entrave, le projet de Manuel Valls de présenter sa candidature à la mairie de Barcelone est enthousiasmant. Ce qui manque à l’Europe, ce sont des incarnations. Si notre Union est un panthéon sans visages, c’est pour s’être toujours envisagée sous l’angle d’une compétition. Or aucun pays au monde n’acceptera jamais de céder le pouvoir à l’envahisseuse dormante que représente pour lui une ex-nation ennemie. Voilà pourquoi il est indispensable que l’identité nationale se dépasse avant qu’elle ne trépasse. À y songer de plus près, tout responsable politique d’un État-membre de l’Union européenne devrait pouvoir prouver sa foi dans les valeurs communes aux pays ainsi qu’aux peuples qu’un Européen digne de ce nom est censé intégrer, tout comme son aptitude à les représenter partout où, fondamentalement, s’exerceraient leurs droits souverains, de par un engagement binational a minima.