Certains profitent de cette affaire pour mener une attaque contre le syndicalisme en général, et utilisent, pour ce faire, le concept de neutralité politique des syndicats. Cela est absurde. Les syndicats ont évidemment des positions, des arguments, des idées ; et nier que tel ou tel candidat, ou tel ou tel programme, correspond davantage aux thèses que chacun de ces syndicats défend, est vain.
On confond neutralité et indifférence : or la neutralité est justement dans l’engagement syndical ; elle est dans le fait de ne pas se compromettre en faveur du politique, ce qui n’est pas synonyme de silence.
Il est évident que cette limite est floue, et qu’il devient toujours plus difficile d’en dessiner les contours. Le danger de l’intervention politique pour un syndicat est celui de la naissance de tensions, de difficultés dans la relation avec un responsable politique ; ou, au contraire, la création d’un rapport d’amitié – et donc d’oubli de leurs valeurs –, ou de dépendance – et donc de silence imposé –, et, in fine, une défaite de leur cause. L’avantage de cette intervention, outre le fait de compromettre le candidat qui s’oppose le plus radicalement aux thèses du syndicat, est de populariser les questions soulevées.
Si les déclarations politiques des syndicats doivent être limitées, ce n’est donc pas pour des questions de principe mais d’efficacité ; il n’y a rien d’immoral là-dedans, simplement un effet contre-productif. Il importe aussi que ces déclarations soient dans l’accusation plutôt que dans la sympathie : la connivence est, historiquement, le mal à combattre pour les syndicats.
Ce silence ne ne doit donc pas être une norme légale mais rationnelle, une norme que les syndicats s’imposent eux-mêmes pour mener un combat légitime.
Il est d’autant plus absurde d’invoquer la neutralité syndicale que tout le monde sait le Syndicat de la magistrature à gauche, et que ce tableau n’était pas prévu pour la place publique ; et il semble difficile de reprocher à quelqu’un l’expression d’une opinion dans la sphère privée.
Parler de devoir de réserve dans le confinement des locaux d’un syndicat ne faisant pas de sens, la véritable question ne porte donc pas sur les opinions politiques du Syndicat de la magistrature, mais sur la sincérité de leur lutte.
Et force est de constater que, malgré la victoire de la gauche aux présidentielles, le Syndicat de la magistrature continue à mener ses idées : il a notamment accusé Taubira de tarder à abolir les peines planchers, les rétentions de sûreté et la taxe de 35€ à acquitter par les justiciables ; ils ont aussi condamné l’abandon du récépissé, ainsi que l’insuffisante augmentation du budget de la justice (4,3%), notamment pour la protection judiciaire de la jeunesse – il manquerait plus de 500 postes.
Force est de constater aussi que leur combat contre la droite sarkozyste, qui les a poussés à appeler à voter contre celle-ci en 2012, n’est pas sans fondements. Ministre de l’Intérieur, il avait affirmé, après l’assassinat de Nelly Cremel par deux hommes dont l’un était en liberté conditionnelle, que le juge devait « payer pour sa faute ». En 2007, Sarkozy introduisit les peines planchers ;en 2008, ce fut au tour de la rétention de sûreté, mesure qui consiste à emprisonner quelqu’un pour un crime qu’il pourrait commettre. Sa présidence a produit une loi pour chaque fait divers et proposé une justice centrée sur la victime, qui s’attachait à la vengeance plutôt qu’aux principes moraux ou à la réinsertion des coupables. L’indépendance de la justice fut constamment bafouée, menant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en 2010. Plus du tiers des tribunaux d’instance furent supprimés. La surpopulation carcérale a explosé.
La colère du Syndicat de la magistrature à l’encontre de Sarkozy et de son bilan est une colère légitime. C’est pourquoi leur consigne de vote de 2012 ne me semble aucunement contraire à leur mission : ils s’inquiètent d’une situation catastrophique en connaissance de cause ; c’est aussi pourquoi je compatis avec les créateurs de ce mur : j’imagine qu’ils cherchaient à la fois à entretenir leur colère et à décompresser ; et si ce tableau n’est pas de bon goût, il n’a pas à être jugé en cela : il n’était pas public. Les combats du Syndicat de la magistrature sont à respecter ; ce sont des combats auxquels, même si nous pouvons ne pas être d’accord en tous points avec eux, il faut accorder une certaine noblesse.
Cela étant dit, ce mur et cette vidéo sont tout de même d’une stupidité affligeante. Le mur : il y a toujours la possibilité d’une fuite interne ; ce risque, bien que minime, ne vaut pas la peine d’être pris pour une si petite rétribution. La vidéo :le véritable off ne servant qu’à satisfaire la curiosité du journaliste, il n’a aucun intérêt ; si le but est d’avoir une discussion sympathique et intime, autant parler de ses habitudes de petit-déjeuner ; et même en supposant que le off ait une valeur, à quoi bon accorder cette vidéo ? La vérité est que le off est une passoire ; la vérité est que le off doit être vu comme outil de manipulation ou de séduction ; la vérité est qu’il ne doit pas être pratiqué avec aussi peu de précautions. Et si la vidéo a, comme cela semble finalement être le cas, été tournée aux dépens du syndicat, on en revient au premier point : ce mur était un risque démesuré.
Évidemment, la droite en profite pour récupérer l’affaire et, étant donné le climat actuel, la gauche a décidé de s’aligner sur le pataquès provoqué ; mais c’est plutôt l’excès de bruit que les médias entretiennent sur le sujet qui devrait nous indigner.