La société est aujourd’hui d’humeur à répondre « non » – ou, en tout cas, à dire que la distinction s’est amincie, ou n’est pas ou plus aussi essentielle qu’on voudrait nous le faire croire. Déjà, par le passé, ce débat a pu se poser. Le MRP, gaulliste, se revendiquait de centre-gauche à un moment de la politique française où il ne fallait pas se revendiquer de droite. Clemenceau était « accusé » par la gauche tout entière d’être de droite. Giscard d’Estaing, allié par ailleurs au Parti des Forces Nouvelles (scission radicale du Front national de l’époque), a aussi été « accusé » d’être de gauche pour avoir légalisé l’avortement. L’essentiel des candidats à la présidentielle prétendent, de fait, « dépasser les clivages ». Plusieurs penseurs ont aussi pu écarter au cours de l’histoire cette distinction – ainsi Karl Marx –, qui ne correspondrait qu’à la réalité du débat parlementaire.
Malgré les discours à l’assemblée et aux médias, l’écart entre les mesures économiques prises par les deux « partis de gouvernement », et d’avantage encore celui entre leur même idéologie néolibérale, qui considère – dogmatiquement, sans prendre en compte le réel – que le levier aujourd’hui nécessaire est celui de l’offre, est effectivement réduit.
C’est sous Sarkozy que le volume de l’immigration annuel a légèrement augmenté, et non sous Jospin ou Hollande. (Ce volume reste plus de deux fois moindre qu’en Espagne ou en Angleterre. La France en est à 200 000 entrées légales par an, et 100 000 en ressortent chaque année. L’essentiel des études montre un apport économique légèrement positif pour la France malgré le niveau actuel du chômage, ce qui s’explique par plusieurs raisons : les immigrés engendrent aussi de la demande – l’exemple des retraités venant vivre dans le sud de la France étant le plus évident –, et prennent souvent des emplois que les Français ne prennent pas, par excès ou manque de qualification, la France encadrant l’immigration de travail. Reste qu’il existe évidemment des tensions dans certains secteurs économiques – essentiellement liées au travail clandestin, et donc à un manque de contrôle –, et qu’il peut exister des tensions d’autre nature.)
Les mesures prises pour la santé par la gauche et la droite partent aussi d’une même position commune. Le Grenelle de l’environnement de Jean-Louis Borloo, s’il a échoué, a au moins eu le mérite de mettre l’écologie au cœur du débat, ce que la présidence actuelle ne fait pas. Les politiques de sécurité et d’intégration sont certes un peu plus distinctives, mais les différences semblent surtout reposer sur des questions d’hommes, et non de camps politiques – et mène dans tous les cas à des résultats semblables. Les sujets de société sont l’occasion de clivages médiatiques plus importants, mais que l’on sait en réalité plus nuancés – Jean-François Copé, qui dirigeait encore l’UMP il y a deux mois, était en réalité pour le mariage homosexuel ; et Nicolas Sarkozy a défendu, avant d’être président, le droit de vote des étrangers aux élections locales.
Si la parole politique, qui continue à distinguer droite et gauche, ne se réduit pas à une question de stratégie électorale et porte en elle-même le politique – la communication a ainsi été une partie intégrante du mandat de Roosevelt –, droite et gauche semblent toujours plus se confondre. Plusieurs mouvements tentent de tirer profit de ce postulat : on parle de « vraie gauche », de « droite forte », et de nouveaux partis tentent de capter les voix des « vrais socialistes » et des « vrais libéraux » ; le centre s’associe dans « L’Alternative » ; et le Front national a repris l’ancien slogan fasciste « ni droite, ni gauche » – même si les alliances locales ne sont jamais envisagées avec le PS, et toujours avec l’UMP ; preuve, justement, que des différences subsistent.
On sait ainsi que Ayrault lui-même désirait, en 2013, une autre orientation économique, sous l’impulsion notamment de Pierre Larrouturou – qui a aujourd’hui créé son propre parti. Une réforme de l’imposition a ensuite été annoncée, et oubliée avec son remplacement.
Nombre de personnalités de gauche, et même aujourd’hui de députés socialistes, se lèvent contre la politique que mène le gouvernement, quand la droite déclare surtout la considérer trop timide.
Plus largement, la production d’idées politiques n’est pas moins vive qu’avant. Les études, essais et réflexions politiques, sociologiques et économiques, ne sont pas devenus moins nombreux, divers ou pertinents. Les rapports que les gouvernements successifs demandent proposent des alternatives qu’ils choisissent ensuite de ne pas suivre. Il arrive même que ces rapports convergent ; rarement dans le sens pris par les gouvernements.
C’est surtout la pénétration de ces idées, et de certains vrais sujets, dans le débat médiatique et, plus encore, dans la prise de décision, qui fait défaut. La convergence à laquelle on assiste est moins la convergence idéologique d’une gauche entièrement conquise au libéralisme qu’une convergence vers le délabrement de la pensée, que la réalité d’une culture politique sclérosée, d’un système médiatique figé et d’institutions, françaises et européennes, qui ne favorisent pas le renouvellement des idées.
La vérité est que la distinction entre gauche et droite n’est pas la plus pertinente devant l’exercice du pouvoir. Certaines idées passent d’ailleurs de gauche à droite – les valeurs de Nation et de travail l’ont fait ; le libéralisme est une première fois né à gauche – ; et l’inverse arrive de même. On a pris l’habitude d’accoler des outils techniques à un positionnement politique : ainsi la politique de l’offre, qui a tant surpris de la part d’un président socialiste, n’est ni de droite, ni de gauche ; elle ne fait que correspondre ou non à une situation donnée.
Les notions de gauche et de droite ne parviennent pas à épuiser la nature d’un mandat. On peut le voir avec Clemenceau, anarchiste qui a de fait défendu une république forte, ou Giscard d’Estaing, qui était contre la peine de mort et n’a pourtant pas signé certaines amnisties. Lionel Jospin a lancé la police de proximité, et n’a pas hésité à poursuivre les privatisations. François Hollande recrée, lui, des postes de policiers qui avaient été supprimés sous la précédente mandature.
L’exercice compétent du pouvoir ne peut pas entièrement s’affranchir d’une prise en compte de la société – ainsi Giscard d’Estaing considérant, à tort ou à raison, que le moment de l’abolition de la peine de mort n’était pas venu –, de la réalité des problèmes – ainsi Mitterrand et le tournant libéral de 1983 –, et du sens de la stratégie et du compromis – compromis qui semble aujourd’hui réduit à la compromission, à la dilution des principes.
La Ve République, régime présidentiel et bipartite, encore plus aujourd’hui que les élections présidentielles ont lieu un mois avant les législatives avec un mandat toujours renouvelable une fois consécutivement, tend à nous faire oublier cet état de fait, puisqu’elle semble mener toujours plus à un inévitable mouvement de balancier, mouvement qui maintient les partis dans le confort de leur idéologie et, en même temps et en conséquence, dans une politique convenue une fois au pouvoir.
Ce sont ces institutions, au sens large du terme, qui sont en question. Le débat sur les institutions n’a pourtant jamais été aussi aussi peu présent au sein de la société française, elle qui a l’habitude de les remettre constamment en cause.
La dose de proportionnelle à l’assemblée est, en ce sens, peut-être souhaitable. Ce n’est cependant pas la simple instauration d’une dose de proportionnelle qui va aider à l’émergence de mouvements nouveaux, sincères, défendant d’autres idées – elle favorisera surtout les mouvements actuellement sous-représentés au parlement, c’est-à-dire le Front national, et permettra à Debout la République, le Modem, le Front de Gauche et Nouvelle Donne d’envoyer quelques députés supplémentaires.
C’est un ensemble qui est à repenser, alors même que nous connaissons aujourd’hui un manque d’hommes d’État et que les deux partis majoritaires, seuls capables de peser au parlement et d’accéder à la présidence, n’ont pas intérêt à, ou dans l’idée de, repenser cet ensemble. Le mouvement doit donc venir d’en-dehors des partis, par l’accumulation d’expériences, d’entreprises et de mouvements citoyens, à un moment où nous avons tous les moyens et aucune stimulation pour le faire.

Un commentaire

  1. Le cofondateur de la Droite forte va nous donner du fil à retordre. En une liaison téléphonique passée inaperçue, — gare à la marque de fabrique! — il m’apparaît capable d’amadouer l’électorat frontiste par le seul choix des mots. Ceux qui résonnent comme un «Je vous ai compris», ceux dont il est donc absolument nécessaire qu’ils ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd, qui imprégneront et le conscient et l’inconscient de la petite France industrieuse des petites entreprises mais aussi, les mots tenant compte de ces autres mots, qu’il ne faudra prononcer sous aucun prétexte sous peine de faire fuir l’électorat républicain. Eh bien, croyez-le ou non, je serais prêt à parier qu’en ce qui concerne ce dernier principe, notre petit maire de région Centre à la face de bambin ne se force pas du tout. On se souvient de son passage au Pop Circus du samedi soir, où il s’était dépêtré de LA question sur ses engagements passés par une comparaison avec la jeunesse de François Mitterrand. L’homme est intelligent. C’est à se demander si le PS ne devrait pas se dégotter, en quatrième vitesse, son transfuge du FN…