Certains sont mêmes candidats.

Aspirant à une image plus lisse, le FN a exclu plusieurs de ses membres coupables d’avoir « dérapé » – coupables, en fait, d’avoir exprimé le fond de leur pensée et de celle d’une large part de la base militante et candidate du FN – au cours de ces deux dernières années. C’est en tout cas ce qu’il prétend – la vérité est que beaucoup restent candidats, militants ou convoités par le Front national.

Nicolas Reynès, alors responsable du Front national jeunesse (FNJ) au Nord-Pas-de-Calais et candidat aux législatives en 2012, a posté de remarquables contenus sur Facebook – remarquables, car eugénistes. Celui-ci postait en effet des liens vers un site faisant l’apologie du IIIe Reich et vantant la « lignée » de certaines femmes. Il a d’ailleurs affirmé que la « ligne éditoriale » lui allait « à ravir ». Florian Philippot, le vice-président du FN, visiblement embarrassé, annonce que sa candidature va lui être retirée. On la lui retire effectivement, mais il est aujourd’hui toujours au parti, et désormais secrétaire départemental du FNJ dans l’Héraut. Le discours de Reynès est donc plus-que-toléré : il est admis, il est accepté ; il est même récompensé d’un poste à responsabilités. Propos eugénistes et FN ne sont donc pas incompatibles : ils sont, de l’aveu même du FN, aptes à vivre, à penser ensemble.

Stéphane Poncet, lui, est parvenu à se faire exclure deux fois pour la même raison – il est, bien sûr, toujours là, toujours responsable, toujours candidat. Stéphane Poncet a jugé bon, sein, pertinent, judicieux, de publier des caricatures haineuses sur son blog politique – un noir dessiné avec des lèvres énormes, censé être « intouchable », un Sarkozy officier nazi,  un père Noël roumain voleur, un « Bienvenu, chien d’infidèle » sur une caricature d’affiche de tourisme du Maroc – Marine Le Pen annonce le 10 mars 2012 au Grand Journal qu’il « [pourra faire] ce qu’il veut après, il ne sera plus candidat du FN. […] Non, il ne sera plus candidat » et qu’il vient « à mon avis [sic] de terminer sa carrière politique ». L’avis de Marine Le Pen ne doit donc pas compter au parti – après tout, certains lui reprochent de « [laisser] énormément de champ à son père. Et elle cède à tous ses caprices » –, puisque celui-ci est candidat aux législatives deux mois après. Marine Le Pen déclare que sa candidature lui « a échappé ». Sa candidature aux municipales de 2014 a aussi dû lui « échapper » – ainsi qu’à l’ensemble de la commission d’investiture du Front national – ; de même que ses responsabilités au sein de la section Villeurbanne du parti.

Alexandre Gabriac est aujourd’hui le néo-faciste bien-aimé des médias. En 2011, il était membre du Front national, et vu comme une promesse du parti – et pour cause : il était, et est toujours, le plus jeune conseiller régional de France – , au point d’être au comité central du parti. Il a aussi été secrétaire départemental du FNJ en Isère, secrétaire régional du FNJ dans Rhône-Alpes, et candidat aux cantonales à Grenoble. Son ascension s’arrête lorsqu’une photo de lui effectuant un salut nazi devant une croix gammée est révélée. La commission des conflits vote en faveur d’un simple blâme. Marine Le Pen décide, contre l’avis – simplement consultatif – de la commission, de le suspendre. Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch s’indignent de cette décision. Fondateur ensuite des Jeunesses nationalistes, groupuscule d’extrême-droite radicale dissout après  l’affaire Clément Méric, il n’hésite pas à célébrer Franco avec l’Œuvre française (mouvement d’extrême-droite radicale fasciste et pétainiste dissout avec les Jeunesses nationalistes) dès 2008, ou Mussolini en 2012 ; à faire l’éloge de Bastien-Thiry, qui avait tenté d’assassiner Charles de Gaulle – il n’est pas seul dans cette admiration : Gonzague Malherbe, candidat FN aux municipales à Libourne, parle même de la « bravoure et [du] courage » de Bastien-Thiry – ; il a aussi été plusieurs fois arrêté – notamment pour menaces de mort. Pourquoi en parler ici ? Parce que Dominique Martin, directeur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen, célèbre pour son art d’être « bien, bien démago », lui a proposé de « réétudier [son] dossier en échange de [sa] signature ». Voilà une belle preuve de dédiabolisation ! Gabriac est notamment suivi sur Twitter par la section Somme du FN, la section Cherbourg du Rassemblement Bleu Marine, par des éléments du bureau politique ou des secrétaires départementaux comme Pierre Cheynet, Guillaume Vouzellaud, Gaetan Dirand, par des candidats comme Adrien Desport, Gonzague Malherbe, Sylviane Boulet, Stéphane Poncet, Julien Clos.

Vincent Gérard, secrétaire départemental haut-viennois, ancien membre d’un groupe skinhead, a agressé le patron d’un bar en avril 2012. Marine Le Pen réagit, et promet de le démettre de ses fonctions en cas de condamnation. Il est condamné. Il est bien sûr confirmé comme secrétaire départemental, et aujourd’hui candidat à Limoges.

Rémi Carillon, aujourd’hui secrétaire départemental du FN dans les Hauts-de-Seine, avait été convoqué devant la commission des conflits en 2011. Celle-ci ne s’est apparemment pas offusquée du partage de vidéos du Ku Klux Klan, ou de son appel à la « guerre civile » ethnique. Il faut dire que le FN s’est allié pour les européennes avec Geert Wilders, qui compare régulièrement le Coran à Mein Kampf.

Anne Bardoux, qui n’a pas hésité à publier une photo « God bless Hitler » en début d’année 2012, a été « réprimandée » par Dominique Martin. Il est vrai qu’une réprimande n’est qu’une réprimande : elle n’empêche pas d’être candidate aux législatives.

Marine Le Pen est formelle : on ne peut appartenir dans le même temps au FN et à l’Œuvre française. Or des mails de Jean-Marie Cojannot et Amaury Navarranne – respectivement candidat aux législatives en 2012 et membre du comité du parti – ont fuité début 2012, révélant leur désir de rejoindre le mouvement.

Danielle Le Gac avait expliqué que la proéminence du nez de Nicolas Sarkozy trahissait ses origines. Marine Le Pen avait regretté ces propos. Le Gac s’est malgré tout présentée aux législatives dans la première circonscription du Var.

On peut aussi parler des affaires révélées par la presse sans que le FN s’en soucie.

Bruno Gollnisch, un des trois députés européens du FN, a ainsi déclaré en 2013 qu’il «n’approuv[ait] pas personnellement l’homosexualité » et que « Marseille reste quand même une ville française. Il faut qu’elle ne soit pas seulement une ville africaine…  C’est sympathique les villes africaines mais il y a le Club Med pour ça. »

Serge Michelini, tête de liste à Bayeux, a vu certains propos islamophobes écrits sur le portail web MSN resurgir. Pas de panique : il a plaidé le piratage de son compte – piratage qui aurait eu pour but insidieux de le faire passer pour islamophobe deux années avant sa candidature ; piratage dont il ne se serait pas aperçu en deux ans. Le FN « s’en tient là ».

Laurent Lopez, récemment élu aux cantonales à Brignoles, serait un « adorateur de Hitler ». Julien Dufour, candidat aux municipales de Boulogne-Billancourt, rêve de voir Caroline Fourest « tabassée ». Philippe Chevrier, secrétaire départemental du FN dans les Yvelines, candidat à Rambouillet voudrait plutôt la violer – au risque de tromper sa compagne, Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du FN.

Le candidat FN de Nantes aux législatives et municipales, Christian Bouchet, est aussi un spécimen. Antisioniste, admirateur de Mahmoud Ahmadinejad, proche de Serge Ayoub – mais après tout, Marine Le Pen n’en est pas si éloignée –, ancien monarchiste, ancien de groupuscules issus d’Ordre nouveau, ancien d’Unité radicale (qu’il quitte peu avant la tentative d’assassinat sur Chirac en 2002) et ancien soralien – encore que… –, il tenait jusqu’à récemment un site « national-révolutionnaire ».

Est-on dans l’erreur logistique ? L’accumulation, et certains cas en particulier – c’est le Front national qui est allé chercher Gabriac ; Poncet a « échappé » au Front national deux fois ; et les posts eugénistes de Reynès ont refait surface lorsqu’il a été envisagé comme membre de la liste de Robert Ménard à Béziers –, montrent que non. Les autres ont vu leurs propos assez relayés dans les médias pour que les cadres du FN – qui, ceci explique cela, sont loin d’être irréprochables – en aient eu connaissance. Ce, sans compter les très nombreux propos condamnables et non-sortis dans les médias nationaux. Ce, sans compter non plus l’ensemble des candidats ou militants du FN effectivement bannis – Yvan Benedetti, ancien membre du bureau politique et proche d’Alexandre Gabriac, Jean-Loup de Lacheisserie, Olivier Wyssa et d’autres parce que membres de l’Œuvre française, du GUD ou d’autres groupuscules; Anne-Sophie Leclere pour avoir comparé Taubira à un singe ; Jean-François de Brugière pour avoir défendu la banane tendue à Taubira; Joris Hanser pour un ensemble de propos homophobes, racistes, xénophobes et nazi-nostalgiques, Richard Jacob pour propos et violences homophobes, François Châtelain pour antisémitisme, Claire Perrier et Jean-Pierre Navarro pour… un entretien dans la presse. Ce, sans inclure les propos du père Le Pen, qui a déclaré avoir « torturé parce qu’il fallait le faire », que les « sidaïques » étaient contagieux par leurs « transpiration, larmes, salive, contact », que les chambres à gaz étaient un « point de détail de l’histoire », qui s’inquiète du « lobby halal et [du] lobby musulman » alors qu’un des principaux fournisseurs du marché est un élu du FN et dénonce ces affirmations ; qui a aussi été condamné pour apologie de crime contre l’humanité, pour le surnom « Monsieur Durafour-Crématoire », pour avoir clamé que les roms « comme les oiseaux, volent naturellement » ; ou les propos de la fille – qui n’a jamais désavoué ceux du père, se contentant de les trouver « un peu rugueux sur la forme » –, qui n’hésite pas à aller à un bal néo-nazi tout en comparant les prières de rue à l’occupation allemande, qui multiplie aussi les mensonges haineux sur le halal, qui est restée « dubitative » devant l’habillement d’otages libérés, « qui mériterait peut-être quelques explications de leur part » – un cadre du FN est, lui, convaincu que les otages sont devenus islamistes fondamentalistes.

Est-ce à dire que le FN s’accommode de la haine tant que celle-ci ne gêne pas sa stratégie ?

Bryan Puireux a vu son tatouage nazi révélé alors qu’il était membre du Front national – il avait même été candidat aux régionales, ainsi qu’aux cantonales. Son beau-père, Pascal Erre, cadre du parti qui l’avait instauré comme candidat et qui le considère comme un fils,  prend sa défense en évoquant le « droit de disposer de son corps librement. Je crois que les féministes le disent assez souvent. Et bien les hommes aussi ont le droit de disposer librement de leur corps. » Il ajoute qu’ « on est jeune, on est provocateur [Bryan Puireux a 26 ans en 2012, NDLR]. Vous savez qu’aujourd’hui, le mal absolu c’est le nazisme. Vous pouvez violer et tuer, c’est pas le problème, on vous trouve toujours des excuses mais le moindre graphique, ça y est… » Marine Le Pen, elle, a soulevé l’hypothèse d’un « very bad trip ».

Laurent Ozon, ancien conseiller en écologie de Marine Le Pen – il a depuis quitté le parti –, ne considère pas Anders Behring Breivik, qui a tué 76 personnes, comme un fou : « cet homme a une capacité d’anticipation et d’analyse, il élabore un raisonnement ». Raisonnement que Laurent Ozon désire comprendre, drame que Laurent Ozon tente d’expliquer à travers des statistiques  au minimum douteuses sur l’immigration.

L’ancien candidat aux cantonales à Saumur et probable membre de la liste pour les municipales, Jean-François de Brugière, a envoyé une lettre au Courrier de l’Ouest. Son objet : défendre la banane tendue à Christiane Taubira. Il a depuis été suspendu par le parti.

La revue Nationspresse.info de Louis Aliot, cadre de la dédiabolisation et compagnon de Marine Le Pen, n’hésite pas à s’inquiéter de « l’islamisation de la pizza » ou à répondre au père d’Antoine – le jeune parisien tué au Trocadéro au Nouvel An –, qui refuse la « récupération politique » de cette mort par « le FN ou un autre parti politique », que « bientôt, ils féliciteront ceux qui tuent leurs enfants ». Cette revue, donc, a relayé un article de Boulevard Voltaire disant la chose suivante : « Le jeune homme [Arnaud Cléré, NDLR] a déclaré, encore tremblant : « Lors d’une réunion, mi-octobre, à Hénin-Beaumont, j’ai vu des tatouages de croix gammées sur deux ou trois personnes. Sur leurs bras. Après le déjeuner, j’étais reparti. Cela a été l’élément déclencheur. J’ai aussi très vite été choqué par les propos homophobes et xénophobes des militants. Ils parlent sans arrêt de “pd”, ça me fait froid dans le dos. » Brrr. En effet, j’ai remis une petite laine. »

André Kornmann, candidat à Strasbourg jusqu’à la révélation de son programme – il a annoncé vouloir doter les policiers municipaux de « chiens d’attaque, pas des teckels ou des chihuahuas » face à la « racaille », souhaiter « déposer » les roms devant le Consulat de Roumanie, désirer expulser des logements HLM les familles d’un mineur délinquant récidiviste, vouloir restaurer la punition dans les écoles et, en cas de refus, ne plus rénover celles-ci –, a déclaré : « nous sommes toujours d’accord sur le fond avec le Front National, c’est sur la forme que mes propos ont déplu. Les termes que j’ai employés n’étaient pas assez aseptisés. Mais je ne suis pas entré en politique pour tenir des propos d’académicien. Je ne suis pas allé quémander la tête de liste du FN, ce sont eux qui sont venus me chercher. »

Un « responsable local » a affirmé lors d’un reportage de l’émission « Complément d’enquête » de France 2 réalisé en caméra cachée : « Les militants, il faut bien être honnête, les militants pour coller des affiches, ils n’ont pas besoin évidemment d’avoir un haut niveau intellectuel, mais il y en a d’autres, ceux qui sont candidats, ce n’était pas non plus tous des grands intellectuels, et je ne leur demande pas ça, mais au moins qu’ils ne fassent pas de bêtises, quoi, ce sont des gens dévoués, bon mais il ne faut pas les laisser seuls dans la nature. – Du coup c’est vous qui les formez ? – Oui c’est moi. Vous pouvez pas dire « il y a trop d’immigrés en France » déjà c’est limite, il faut dire autrement, il faut dire « nous sommes opposés à l’immigration clandestine d’abord et même régulière, car la France n’a pas les moyens ou n’a plus les moyens de les entretenir », voilà ce qu’il faut dire, il faut faire très attention. – Est-ce que ça veut dire la même chose dans le fond ? – Oui ça veut dire la même chose, mais il y a une façon de le dire, il faut être très prudent. »

Jean-Christophe Gruau, candidat à Laval, explique que « si c’est pour être aussi fadasse que les autres, on ne part pas. Même si, bon, on va faire une campagne en faisant très attention à ce qu’on va dire. Ça ne va pas être facile parce qu’on va être obligé de se calmer. »

Elsa Vassent, alias Mathilde Androuët, alias Mathilde Palix, adjointe du président du Front national jeunesse, accusée de diffamation par Le Point, considère que les auteurs de ces propos ne sont pas nécessairement racistes : « il y a toujours à boire et à manger, c’est la photographie du monde au quotidien ».

La haine n’est pas seulement au cœur du Front national, elle ne fait pas seulement partie de son histoire, de son essence ; la haine et le Front national ne sont pas uniquement des congénères qui ont pris l’habitude de se fréquenter, de se connaître et de s’entretenir ; ils ne sont pas que des amis de longue date, qui se seraient fâchés, en tout cas éloignés : il s’agit d’une relation qui se cache aussi peu que possible, qui veut s’éprouver au plus haut, au plus fort, au plus splendide, mais qui a en face d’elle de nouveaux impératifs, qui la pousse à une nouvelle discrétion, malhabile, qui ne résiste pas à l’étude des faits.

 

A J-49 du premier tour des élections municipales 2014, La Règle du jeu présente, à partir de demain, un dossier où, chaque jour, vous ferez la connaissance d’un candidat FN.