Le Syndicat de la magistrature affichait ses têtes de turc sur un «Mur des cons» dans son local. Ce panneau a été filmé par Clément Weill-Raynal, journaliste à France 3, au détour d’une interview d’un membre du SM et cette vidéo a fini sur Atlantico. Voilà l’affaire.

Est-ce un scandale ? Probablement pas. Cela méritait-il de crier au parjure pour le premier et au vandalisme pour le second ? Pas davantage. Depuis, la polémique ne cesse de s’étendre et n’a plus qu’un lointain rapport avec les faits que je viens de décrire. Ce 15 mai le journaliste était «auditionné» par la chaîne de télévision qui envisage des sanctions, des pétitions circulent et une manifestation a même été organisée devant France Télévisions.

Le Mur des cons est devenu un prétexte commode pour ceux qui ont un intérêt à discréditer le syndicat de la magistrature en pleine période d’élections professionnelles et symétriquement, à d’autres, qui seraient trop heureux d’exclure Clément Weill-Raynal de France 3 après avoir vainement tenté de le faire dans le passé.

Au-delà des inclinaisons idéologiques, de l’appartenance professionnelle ou des inimitiés – j’y reviendrai – il y a dans cette caricature de débat quelque chose de navrant. Nous serions sommés de choisir entre la liberté de la presse et la liberté syndicale alors précisément qu’elles ont été ici toutes deux exercées d’une manière certes inconfortable mais indiscutable.

Sur le Mur des cons d’abord

C’est une vaste connerie d’un peu plus d’un mètre sur deux et de très mauvais goût, c’est entendu. Je ne vais pas ici commenter ceux qui s’y trouveraient ou non à leur aise. Le contenu du panneau est choquant. Pour autant, retenir la responsabilité du syndicat qui l’abrite ou même envisager de le faire, ne l’est pas moins.

A ce que l’on sait, il n’y avait pas au syndicat de la magistrature un préposé au Mur des cons. Il n’y avait pas non plus de vote ou de délibération pour savoir qui y prendrait place. Ce Mur n’est certainement pas à l’honneur du syndicat qui l’a abrité. Toutefois, le prendre pour autre chose qu’un défouloir grossier ne fait pas sens.

C’est la vie et presque la vocation des lieux de passage ou de réunion, surtout quand ils sont militants, de recueillir inscriptions, tags et slogans. Heureusement, nul n’a jamais pris pour argent comptant ce qu’on pouvait lire dans les toilettes de Sciences-Po, à défaut de quoi il aurait d’urgence fallu fermer l’IEP sur le fondement de menées insurrectionnelles.

Un syndicat doit être protégé quels que soient ses modes d’expression. Il doit pouvoir en ses Murs, jouir d’une liberté sans entrave d’abord parce que c’est un lieu privé mais plus encore, un lieu inviolable. Pourrait-on demain enregistrer et poursuivre en justice les participants à une réunion où, les esprits s’échauffant, en viendraient à critiquer un peu trop vertement tel ou tel membre du gouvernement ? Et si l’on trouvait chiffonné dans la poubelle du local syndical de Florange un tract où serait marqué «Hollande traître» ira-t-on traduire les délégués syndicaux pour le délit d’offense au chef de l’Etat ? Heureusement non. Il n’en va pas différemment du Mur des cons. Le jour où l’on se mettra à juger ce qui se dit, s’écrit ou se fait dans un local syndical, même lorsque c’est abject, il en sera fini de la liberté syndicale.

Mais ce n’est pas le plus grave. Certains par bêtise ou par conviction, par lâcheté ou par intérêt ont tenté d’assimiler purement et simplement le syndicat de la magistrature au Mur des cons. Pourtant, celui-ci ne reflète ni sa pensée, ni ses méthodes.

Deux jours avant que n’éclate ce scandale, le syndicat adressait une lettre importante à la Garde des sceaux pour la rappeler à ses engagements en ce qui concerne l’abrogation des peines plancher et la refonte de la justice pénale des mineurs. Ce sont des combats essentiels qui concernent les justiciables les plus vulnérables et ne laissent aucun professionnel de justice indifférent. Hélas, le «Mur» a totalement occulté le fond. Qui depuis deux semaines s’est soucié des peines planchers ou de la justice des mineurs ? C’est peut-être la juste sanction de la légèreté du syndicat qui a laissé le Mur devant les yeux par nature indiscrets de la presse ? C’est aussi la plus sévère pour ceux qui, comme moi, sont soucieux de la justice sans être membre du SM.

Dans ces conditions, la saisine du Conseil supérieur de la magistrature à l’encontre du Syndicat de la magistrature par la Garde des sceaux est une profonde erreur. Le syndicat de la magistrature n’est évidemment pas, à l’inverse de ses membres, un justiciable  qui relève de la compétence du Conseil. Au surplus, aucun des magistrats qui le composent n’a failli à son devoir d’impartialité ou de réserve dans son office. On ne peut reprocher aux magistrats un acte qui relève du syndicat et inversement. Surtout qu’afficher un Mur des cons dans un local syndical est assurément une faute de goût mais aussi une tolérance, disons même une liberté qu’il serait vain et grave de vouloir sanctionner.

Sur Clément Weill-Raynal ensuite

Notre inimitié est à ce point notoire qu’il serait malhonnête de la taire. Je ne vais pas ici rappeler les épisodes les plus désagréables qui nous ont opposés. Je suis avocat, élu PS de Paris et militant dans la communauté juive. Il est journaliste judiciaire, très engagé dans la vie juive et son épouse est une élue UMP du 3ème arrondissement de Paris. Nous avons donc plus d’un sujet de divergence.

Weill-Raynal a filmé le Mur des cons avec son téléphone portable alors qu’il était venu interviewer un membre du syndicat de la magistrature pour tout autre chose. Le procédé n’est pas élégant, mais il n’est nullement frauduleux. Surtout qu’au cas d’espèce, la première faute, je le répète, est due à la légèreté du syndicat qui n’a pas évité que le Mur puisse faire l’objet d’une captation. Dans ces conditions, il est inconcevable de reprocher à Clément Weill-Raynal la curiosité consubstantielle à sa profession  consistant à filmer un sujet qui pouvait faire débat (comme la suite ne tardera pas à le prouver).

Il s’en est suivi un quiproquo assez lamentable où Weill-Raynal a nié contre l’entendement être l’auteur de la vidéo, avant de le revendiquer tout en réfutant l’avoir transmise au site Atlantico. Il continuera d’affirmer l’avoir montré à «un magistrat» dont on ne connaît toujours pas le nom, qui aurait pris seul, l’initiative d’organiser sa diffusion… Le propos n’est pas convaincant mais il faut bien reconnaître que Weill-Raynal journaliste a fait un travail de… journaliste. Son attitude est sinueuse, pas scandaleuse.

Depuis, le syndicat CGT de France Télévisions réclame des sanctions et la direction de la chaîne a annoncé la saisine d’une formation disciplinaire qui devait statuer ce 15 mai 2013.

Il est évident que la CGT profite du Mur des cons, où il ne peut être reproché aucune faute à Weill-Raynal, pour lui faire payer d’anciennes querelles sans rapport avec cette affaire. Pour cloisonner ce Mur des cons à de justes proportions, il faut éviter qu’il ne devienne le fourre-tout de toutes les rancunes. On ne cherche pas ici à sanctionner un comportement mais à mettre un homme à genoux pour ce qu’il représente. Weill-Raynal n’a peut-être pas accompli ici un devoir sacré mais il a, à tout le moins, exercé sa profession. En dépit de mes divergences qui sont nombreuses et connues avec l’intéressé, je suis obligé de dire qu’il lui est fait un procès d’un autre temps qui n’honore pas ceux qui l’instruisent.

Je tenterai pour finir une position d’équilibre qui est inédite si ce n’est impossible.

Depuis que cette polémique a surgi, on est pour les syndicats ou pour les journalistes ; contre le Syndicat de la magistrature ou contre Weill-Raynal. Je considère que ces oppositions sont finalement assez artificielles ; beaucoup trop de personnes ayant fait montre d’une agitation bien inutile dans cette affaire, à commencer par le propre avocat de Weill-Raynal.

La manière dont la vidéo a été amenée au public par Clément Weill-Raynal ne brille pas par son raffinement, certes, mais le Mur des cons, non plus. Le comportement cavalier du journaliste vaut bien la légèreté du syndicat. Le syndicat a le droit d’avoir un mur abject dans son local et le journaliste, celui de le filmer, même de manière détournée. L’un comme l’autre n’ont rien à faire devant des formations disciplinaires. L’un comme l’autre ont usé de manière grossière et brutale, d’un mal particulièrement nécessaire à la démocratie qui s’appelle la liberté d’expression. Le reconnaître n’est probablement pas le plus mauvais moyen d’en finir avec la connerie.

2 Commentaires

  1. Merci pour cette prise de positions, en ces temps où le débat est étouffé sous la fureur du buzz, elle rappelle ce que devrait être la démocratie. La possibilité d’un dialogue autre que celui de la colère et de la frustration.

  2. Tout cela est pitoyable et ce qui fait peur c’est que l’on est entré dans l’ère de la dénonciation…..tout le monde est devenu un voyeur! Jusqu’où ira-t-on?