Je passais, jusque-là, une journée assez maussade. Je vagabondais sur Internet, cliquant sur chaque article à propos de la crise à l’UMP ou, au choix, du mariage homosexuel. C’est ainsi que, de lien en lien, je suis tombé sur ce papier : « Les sept chantages inacceptables des partisans du « mariage » unisexe », publié sur Atlantico.
Il a égayé ma fin de semaine, et je dois l’en remercier ; c’est d’ailleurs, sans le moindre doute, le seul mérite de son article. Il faut dire que Monsieur Hureaux, coutumier des sorties médiatiques vaseuses (une sorte d’Estrosi ou de Mariani que personne n’écoute), déploie ici toute la finesse de son intelligence ; tant et si bien que je regrette de ne pas l’avoir découvert plus tôt.

Le ton nous est donné dès le titre ; « Les sept chantages inacceptables » (c’est-à-dire, autant que de péchés capitaux) du « mariage » unisexe (pas du mariage : du « mariage »). On comprend bien que Monsieur Hureaux n’est pas très sensible à cette idée ; on soupçonne même un peu de défiance – mais peut-être est-ce une simple maladresse ?

Il ne faut pas non plus trop en demander à Monsieur Hureaux, lui qui semble avoir tant de difficultés à s’occuper des détails : « Les arguments des partisans du mariage homosexuel frôlent parfois le chantage » et, deux lignes plus tard, « Trop souvent le débat sur le « mariage » des personnes du même sexe est vicié par le recours de ses partisans à des arguments en forme de chantage » : le « parfois », qui se transforme en « trop souvent », et le mariage qui regagne le droit à des guillemets ironiques sont des évolutions assez remarquables.

D’autant plus qu’il « résiste », Monsieur Hureaux. Oui, il « résiste ». Il résiste contre ces infâmes, ces abominables partisans du mariage » homosexuel (puisque Monsieur Hureaux hésite, tout au long du texte, à mettre ses guillemets, je lui propose de dorénavant n’en utiliser qu’un, ce qui devrait l’aider à restituer fidèlement toute la subtilité de sa pensée) ; contre ces idéalistes monstrueux qui osent regarder de l’avant ; et qui se permettent (hélas) d’utiliser des outils démagogiques aussi minables que son propre camp.

Poursuivons. Notre cher politocard nous a promis sept chantages inacceptables, les voici :

1 – Le premier chantage est un « chantage à la modernité ». Evidemment, défendre une cause parce qu’elle est dans l’air du temps ne suffit pas et, si sa réfutation d’un « sens de l’histoire » est d’un simplisme effrayant, je vais passer outre : cet article contient bien pire.

2 – On a ensuite droit au « chantage à l’égalité », un des plus amusants de tous. Ce terrible chantage (après tout, la devise de la France n’est autre que « Liberté, Inégalité, Fraternité ») serait, selon lui, mensonger : en France, tout le monde peut se marier ; rien n’empêche un homme homosexuel et une femme homosexuelle de passer devant le maire. Espérons que quelqu’un se portera volontaire pour lui accorder un cours d’éducation sexuelle, et lui expliquer ce qu’est l’homosexualité. Non content de son effet, il persiste ; il nous montre le « vrai drame », ces millions de personnes qui voudraient d’un mariage (un vrai, bien entendu ; pas un mariage de pédé) et qui « ne trouvent personne » ; il ne s’arrête pas là, et même il s’emballe ; il s’agit là, pour lui, d’une « vraie question » pour laquelle il n’y a pas de « solution facile » et dont « personne ne parle ». Il faut regretter qu’il ne se soit pas réellement présenté aux présidentielles comme il l’avait annoncé. Lui, mieux que quiconque, aurait su résoudre cette « vraie question » ; lui, et personne d’autre, a le courage et la vision nécessaires pour s’en charger. On nous avait promis le logement pour tous en 2007, Monsieur Godelureau aurait assuré un mari pour toutes (« c’est beaucoup plus difficile » pour les femmes) ; un drame comme celui-ci exige des mesures drastiques ; assignation d’un célibataire (homme bien sûr, on parle d’un vrai mariage ») à chaque femme, choisi à partir d’un catalogue ; interdiction de refuser plus de deux femmes célibataires pour chaque homme non-marié, à moins d’avoir une note sensiblement supérieure à la sienne dans les barèmes ; et sûrement d’autres idées bien plus ingénieuses encore afin d’accorder le mariage pour tous, sans exception (sauf, bien sûr, entre un homme et un autre homme ; ou entre une femme et une autre femme ; et ce même s’ils se sont déjà trouvés sans le catalogue).
Ce n’est pas tout. Le bonhomme a visiblement décidé de se lâcher ; et ne nous accorde aucun repos. Il décrit, dès la ligne suivante, l’homosexualité comme un choix : « Si je choisis de faire une carrière civile, vais-je revendiquer les droits des militaires ? ». Cette phrase, d’apparence anodine, est terrible. Monsieur Hureaux fait donc partie de ces quelques rares individus à croire que l’on détermine son inclinaison sexuelle.
Encore après, il confond à nouveau les questions du mariage » et de l’adoption. Il expliquera cette confusion par la suite (le sens d’un cheminement logique semble, à vrai dire, lui échapper), nous laissons donc ce problème de côté pour l’instant. Sur l’adoption, il nous dit : « sans être fondés pour autant à lui faire croire mensongèrement que l’un des deux est sa mère ». Monsieur Ahuri sait-il qu’homosexualité n’est pas synonyme de travestissement ? Le besoin d’un cours d’éducation sexuelle sur le sujet se fait de plus en plus urgent. Encore plus génial, il affirme qu’un enfant n’est « pas un droit ». Faut-il apprendre à un énarque que l’adoption est déjà autorisée pour les hétérosexuels, et qu’il existe une multitude de procédures de procréation médicalement assistée, dont certaines peuvent d’ailleurs être utilisées par des couples homosexuels : don de sperme pour les couples femme/femme, mère porteuse pour les couples homme/homme (procédure interdite en France) ?

3 – Place maintenant au « chantage à l’homophobie ». Cet ancien membre du cabinet de Balladur décide de nous ménager : ici, il n’y a pas grand chose à critiquer. Il est indiscutable qu’un débat serein et pertinent serait, comme toujours, souhaitable, et ce des deux côtés. Il est, par contre, quelque peu inquiétant de lire qu’il ne se positionne pas en « fonction des intérêts de tel ou tel groupe » (sic).

4 – Monsieur Hureaux relance d’un délicieux « chantage à l’amour ». J’ignorais, jusque-là, que l’on pouvait chanter quelqu’un avec son amour. Les techniques des ravisseurs ne cessent de progresser ! Il justifie ici son amalgame entre le mariage » et l’adoption pour tous : pour lui, le mariage « vise d’abord à régler la filiation ». A l’origine, sans le moindre doute. Mais aujourd’hui ? A-t-on besoin d’un époux ou d’une épouse pour avoir un enfant ? Non, surtout que les enfants légitimes et les enfants naturels ont désormais les mêmes droits. Est-il obligatoire de procréer lorsque l’on est marié ? Pas davantage. Cette vision est définitivement passéiste ; et le nombre de divorces, ainsi que les raisons évoquées pour divorcer, en est la preuve.
Quant à rapprocher l’amour homosexuel d’un amour fraternel ou filial, ou de la relation que peuvent avoir de bons amis… Est-ce vraiment sérieux?

5 – Difficile, de trouver sept chantages. Mais Monsieur Purot n’abandonne pas aussi facilement, et recycle son « chantage à la modernité » en dénonçant un « chantage au libéralisme ». On pourrait s’attendre à ce qu’il condamne cette course au libéralisme… Et bien non ! Il préfère jouer le sophiste et déclarer que « l’État, pour la première fois, s’intéresserait à la sexualité en tant que telle » en arrêtant d’en faire un critère pour le mariage. Brillant. Après un bref rappel de sa définition du mariage comme « contrat visant d’abord à régler la filiation » (définition dont il est très fier, même si il est si facile de la déconstruire), il choisit de revenir à la charge sur la question de l’adoption. « Un cadre stable est donc nécessaire » (en quoi un couple hétérosexuel est-il nécessairement plus stable ?) ; « dès lors qu’il est admis que le ménage homosexuel n’est pas l’idéal pour élever un enfant » (admis par qui ? Lui-même ? Quand nous l’a-t-il démontré ?)… Le raisonnement de Monsieur Uros est apparemment le suivant : on ne doit pas accorder le mariage » aux homosexuels parce qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants ; on ne doit pas leur donner le droit d’adopter parce qu’ils ne peuvent pas se marier. Implacable. L’auteur, encore une fois, compare le couple homosexuel aux « ménages frère et sœur, père et fille, mère et fils » : n’y voit-il vraiment aucune différence ? Si oui, il serait curieux d’apprendre la nature des relations au sein de sa famille.

6 – Chantage suivant : la laïcité. Notre ami définit la laïcité comme la lutte contre les idéologies. Une originalité parmi tant d’autres ; et une originalité dont, à ce stade, on se fout un peu. Sa conception de la « vraie morale laïque », synonyme pour lui de « loi naturelle », est plus amusante. A-t-il conscience que la polygamie est présente à l’état naturel ? Pense-t-il réellement que le but de toute culture est de se rapprocher de la nature ?
Pour défendre son propos, il cite Jules Ferry. Il s’agit là de la cinquième personne qu’il invoque, en plus de nombreuses références culturelles inutiles. On comprend bien que Monsieur Hureaux cherche à se donner du crédit, mais il ne se sert pas de ces intellectuels pour argumenter : ils ne sont, pour lui, que des trophées. La citation de Jules Ferry* présentée est d’ailleurs assez malheureuse ; elle ne fait que déplacer le problème de la définition du bon « précepte » à celle de « l’honnête homme », et encore : ce qu’il y dit suppose que l’honnête homme a une parfaite faculté de juger.

7 – Il y a, enfin, un « chantage à la revendication » (l’idée est, en elle-même, assez croustillante). On apprend ici que « l’immense majorité des homosexuels se fiche du mariage » ; évidemment, aucune étude chiffrée n’est là pour appuyer le propos ; nous devons nous fier au nez du journaliste.
Puis, au paragraphe suivant, il enterre de lui-même son argument de la filiation : « des milliers d’enfants sont déjà élevés par des couples homosexuels ». Si le mariage est là pour régler la filiation, n’est-il pas alors urgent d’autoriser le mariage homosexuel ?

Admettons que la question du mariage homosexuel ne soit pas la plus urgente. Mais, maintenant qu’elle est posée par le propre gouvernement, elle doit être réglée au plus vite. Un retour en arrière serait catastrophique pour tout ce qu’il impliquerait, et ce d’autant plus qu’aucune raison objective contre le mariage unisexe n’a été prononcée.

Affirmer, comme certains, que cela ouvrira(it) la voie au mariage zoophile ou polygame est honteux. Difficile de parler d’un consentement et de l’amour d’un canard ; difficile de s’assurer de la sincérité d’un mariage polygame.
Je peux comprendre que la question de l’adoption soit plus sensible. Mais, même pour ceux qui considèrent qu’un « couple hétérosexuel moyen » forme une meilleure famille d’accueil qu’un « couple homosexuel moyen », pourquoi ne pas laisser les services sociaux décider au cas par cas ? A moins qu’ils considèrent réellement que des parents hétérosexuels violents et alcooliques valent mieux que des parents homosexuels aimants ?

Quoiqu’il en soit, espérons que les individus comme Monsieur Hureaux cesseront, eux aussi, de polluer le débat.

 

* « La vraie morale laïque est-elle autre chose que  la loi naturelle ? Celle que Jules Ferry définit comme « cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. ».  Et l’illustre républicain d’ajouter :  « Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ». »