« Ni Est ni Ouest – République islamique ! »
L’ayatollah Ruhollah Khomeiny
Apparemment, il existerait des points d’entente entre le régime de Téhéran et le gouvernement Obama. D’une part, Téhéran affirme n’avoir aucune intention de développer des armes nucléaires et ne vouloir que la reconnaissance de son droit à enrichir de l’uranium, ainsi que l’obtention de statut de « pays du seuil » correspondant aux modèles allemand et japonais, pays qui peuvent développer de l’énergie nucléaire à un faible pourcentage et à des fins civiles. [1] D’autre part, les objections de l’Administration Obama se limitent au développement de la bombe atomique, et ne portent pas sur le statut de pays du seuil nucléaire, si l’Iran remplit les conditions requises – à savoir le respect du Protocole additionnel, la surveillance de ses activités nucléaires, etc. – et ne franchit pas ce seuil. [2]
Toutefois, même si l’on accepte l’hypothèse d’un Iran n’aspirant qu’à un statut de pays du seuil – hypothèse erronée au regard des multiples éléments démontrant que ce pays continue de développer des armes nucléaires et n’acceptera donc pas de véritable supervision de ses activités – il n’existe, selon notre évaluation, aucun terrain d’entente entre les parties.
Ci-dessous les raisons de cette évaluation.
Le conflit avec l’Occident ne porte pas seulement sur le problème nucléaire
Pour le Guide suprême iranien Ali Khamenei, le conflit avec l’Occident ne porte pas seulement, ni même principalement, sur la question nucléaire. Le programme iranien révèle que le conflit avec l’Occident est multidimensionnel.
Le principal objectif du Guide suprême Khamenei est d’obtenir l’immunité pour son régime face à une éventuelle attaque de l’Occident. Son second objectif est de hisser son pays au statut de superpuissance régionale et mondiale, égale aux autres superpuissances – toutes dotées de l’arme nucléaire.
Ces deux objectifs, imbriqués, forment la base et l’essence de la vision idéologique et stratégique de l’Iran. L’Iran refuse d’être considéré par l’Occident comme un acteur secondaire, de moindre importance et puissance, sur la scène mondiale et régionale.
Dans ce contexte, la question nucléaire n’est qu’un élément du conflit dans sa globalité, et sert de tremplin à l’Iran pour atteindre les objectifs cités plus haut ; obtenir le statut de pays du seuil est le moyen pour l’Iran d’accomplir ses desseins.
L’Iran ne négociera pas directement avec les Etats-Unis tant qu’il n’aura pas le même statut
En outre, l’Iran ne négociera pas directement avec les Etats-Unis tant qu’il n’aura pas obtenu un statut égal, et tant que les Etats-Unis opposeront des conditions préalables, telles que des sanctions. Pour cette raison, l’Iran exige, comme condition préalable à des négociations avec les Etats-Unis, l’annulation de toutes les sanctions à son encontre. [3]
L’Iran est bien prêt à négocier avec les 5+1, mais sa première exigence est la levée des sanctions ; les négociations devront en outre couvrir un large éventail de sujets et de conflits mondiaux, comme il sied à une superpuissance, en plus du problème nucléaire. Ainsi, l’Iran exige une réponse à ses contre-propositions aux 5+1, lesquelles portent sur une variété de thèmes planétaires.
Le problème, selon Téhéran, n’est pas son propre programme nucléaire, mais les armes nucléaires des puissances occidentales – d’abord celles les Etats-Unis, qui en ont déjà fait usage, puis celles d’Israël. L’Iran insiste sur le fait que l’ensemble du processus doit être réciproque et simultané ; ainsi, les exigences unilatérales de la communauté internationale pour que l’Iran limite son enrichissement d’uranium doivent faire place à des demandes réciproques que les deux parties devront satisfaire en même temps.
Par conséquent, même entre l’Administration Obama et le régime iranien dirigé par le Guide suprême Ali Khamenei, il n’existe aucun terrain d’entente possible. Pour Téhéran, les pourparlers nucléaires, qu’elle tente de faire durer, visent à atteindre plusieurs objectifs :
a) gagner du temps pour développer son programme nucléaire et réaliser ses projets nucléaires
b) asseoir son statut stratégique de seul Etat capable de faire face aux 5+1 sans reculer sur aucune de ses positions
c) forcer l’Occident à considérer l’Iran comme une superpuissance nucléaire mondiale ; à cette fin, en présentant ses positions quant aux négociations, il étend la portée de ses activités nucléaires. Récemment, l’Iran a en outre activé la piste du plutonium, en plus de l’enrichissement d’uranium, et a déclaré qu’à l’avenir, le pays aurait peut-être besoin d’un enrichissement de 50 %, voire de 90 %. [4]
* A. Savyon est directrice du projet de médias iranien au MEMRI ; Y. Carmon est président du MEMRI.
[1] Au cours d’une visite à Berlin en février 2005, le ministre iranien des Affaires étrangères Kamal Kharrazi a proposé le modèle japonais/allemand comme base de négociations entre l’Iran et l’Union européenne. Lors d’une réunion avec le ministre des Affaires étrangères allemand Joschka Fischer, Kharrazi s’est étendu sur la perspective iranienne de résolution du différend avec l’UE3 : « Les installations nucléaires pacifiques en Allemagne et au Japon peuvent servir de modèle aux projets nucléaires iraniens, et de base à une série de pourparlers à ce sujet. » IRNA, Iran, 17 février 2005. Voir aussi Enquête et analyse n° 209 de MEMRI, Iran Seeks EU Consent for Modeling Its Nuclear Program on the ‘Japanese/German Model’ – i.e. Nuclear Fuel Cycle Capabilities Three Months Short of a Bomb, 23 février 2005. En outre, lors d’une conférence de presse avec son homologue japonais Hirofumi Nakasone, le ministre des Affaires étrangères iranien Manouchehr Mottaki a demandé à faire appliquer le modèle japonais nucléaire à l’Iran : « La façon de concevoir les activités nucléaires du Japon devrait s’étendre à d’autres pays, y compris l’Iran. » Mottaki a réaffirmé que les activités nucléaires de l’Iran étaient « légales et pacifiques » et a souligné : « Le Japon a mis de nombreuses années à bâtir la confiance en son programme nucléaire. L’Iran évolue sur une trajectoire similaire… Pendant ces années…, le Japon n’a jamais été obligé de suspendre ses activités nucléaires ». Iran Daily, Iran, 4 mai 2009. Voir aussi Enquête et analyse n° 513 de MEMRI, Iran Foreign Minister: The Japanese Nuclear Model Applies To Us Too, 7 mai 2009.
[2] Voir Enquête et analyse n° 888 de MEMRI, Iran Becomes A Nuclear Threshold State, 5 octobre 2012.
[3] Des représentants officiels iraniens, ainsi que des commentateurs et des personnalités qui représentent la position du régime iranien, demandent aux Etats-Unis de mettre fin à leurs activités subversives contre le régime iranien et au financement de ces opérations ; voir les déclarations de l’ambassadeur iranien à l’ONU Mohammad Khazaei sur les conditions iraniennes pour entamer des négociations avec les Etats-Unis : être traité d’égal à égal, que les sanctions soient retirées et que les Etats-Unis s’engagent à garantir la survie du régime iranien. ISNA, Iran, 22 février 2013 ; voir aussi The Ayatollah Contemplates Compromise, par Mehdi Khalaji, Institut de Washington, le 9 mai 2012, et Enquête et analyse n° 837 de MEMRI, Khamenei’s Aim at the Nuclear Talks – Securing the Survival of His Regime, 18 mai 2012.
[4] Voir les deux dernières déclarations à ce sujet : « Peut-être aurons-nous besoin à l’avenir d’un pourcentage plus élevé d’enrichissement, par exemple pour les navires, qui nécessitent un enrichissement de 40 % à 50 %, non 20 %. » Al-Alaam TV, Iran, 24 février 2013. Par ailleurs, le quotidien Kayhan, proche du Guide suprême Ali Khamenei, a affirmé : « L’Iran a le droit d’enrichir de l’uranium, non seulement à 20 %, mais aussi à 90 %. » Kayhan, Iran, 26 février 2013. Voir aussi Enquête et analyse n° 885 de MEMRI, Tehran Declares Intent To Enrich Uranium To 90% For Military Purposes – Nuclear Submarines, 27 septembre 2012.
Par A. Savyon et Y. Carmon