Cher Xavier,
Tu ne me facilites pas la tâche. Depuis deux ans, je ne cesse de penser à toi.
Tu as tous les flics d’Europe à tes trousses. L’Allemagne se mobilise pour retrouver Claudia, ta fiancée d’autrefois. Elle ne se manifeste pas. Bizarre. Et si elle vivait loin de cette agitation. Avec toi ? D’ailleurs, s’appelait-elle vraiment Claudia ?
Certains pensent que tu es un monstre, un fou mystique, un mythomane, un meurtrier qui a exécuté sa femme et ses quatre enfants : Agnès, Arthur, Thomas, Anne et Benoît.
Pourtant, je te sais, mari et père aimant. Tu étais fier d’eux. Tu me le disais au téléphone.
Maintenant, on te croit mort − j’en doute − ou caché dans une secte, un monastère, une abbaye. Les moines ne protègent pas les tueurs, tu le sais.
Ta maman, Geneviève et ta petite sœur, Christine, plaident la théorie de l’exfiltration aux U.S.A par la DEA, la police des stups.
Ainsi, toi Xavier et ta petite famille seriez en sécurité dans ce pays sous une nouvelle identité ?
Dans ce cas : « Qui » sont les cinq corps retrouvés sous la terrasse ? Et pourquoi le procureur de la république Xavier Ronsin, le chevronné juge d’instruction Robert Tchalian, le médecin légiste, les enquêteurs auraient-ils dissimulé cette information ?
Et si non, pourquoi Geneviève et Christine continuent d’affûter cette version mais nullement les Hodanger, la famille d’Agnès ainsi que Véronique ta sœur aînée et Claude ton beau-frère ?
Moi je sais que tu es vivant, que tu te caches quelque part, qu’une femme amoureuse te protège, persuadée de ton innocence, de ton existence « menacée ». Cependant, je continue de penser que ta culpabilité « entière » demeure une thèse faillible.
Xavier, je reste ton ami et je le resterai toujours. Quoiqu’il advienne.
Un souvenir ravive cette certitude. Ton sourire lors de notre première rencontre à Versailles en septembre 1976 et notre amitié fulgurante. Le hasard a voulu que nous soyons voisins. Nos maisons, avenue du maréchal Foch, se trouvaient à quelques numéros de distance. Même milieu, même éducation, même religion, Aristo, catho, et surtout les mêmes passions : les U.S.A, Elvis, les Beach boys, les cabriolets et les jolies blondes en kilt écossais.
Toi, tu étais le seul à porter des Ray-Ban aux verres correcteurs teintés. Le sport n’était pas ton fort et ta santé précaire. Ta mère te soignait avec les plantes. Tu étais le King de ta maison. Trois femmes pour toi tout seul.
Nous étions des élèves atypiques au cours privé Saint-Exupéry, parmi les spécimens de bonne famille qui nous encerclaient. Toi et moi, malins et fluides, savions qu’il fallait − jusqu’au bac − jouer le jeu, rester dans la moyenne, contenter nos parents, aller à la messe, fréquenter les rallyes, respecter un peu les demoiselles avant de se lancer dans l’aventure. Quitter Versailles, traverser les océans… vers la Californie.
Chimères adolescentes, soit… mais les autres voies étaient largement encombrées : l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, le droit à Assas, Sciences-Po, le séminaire d’Ecône, HEC, Ginette? Nous devions innover. Moi, c’était le show, toi le business.
C’est vrai qu’en ce milieu des années 1970, dans les jardins discrets de Versailles aussi nébuleux que le Bottin Mondain, nous croisions des grands frères aux dialectiques radicales : ces têtes brûlées fâchées avec les études, la société, le système, optaient pour la guerre du Liban au sein des phalanges chrétiennes de Gemayel, le mercenariat chez Bob Denard, le réparateur des dictatures, ou la sécurité de « Baby Doc » le président d’Haïti, Jean-Claude Duvalier…
Toi et moi, préférions les épopées brûlantes du Marquis de Lafayette, d’Henry de Bournazel « le cavalier rouge », de Charles de Foucauld et d’Henry de Monfreid. Avec option Plastic Bertrand, les Sex Pistols et Ornella Muti.
Tu te souviens, Xavier ? Ce professeur de français nasillard qui débutait chaque cours par une maxime censée éduquer notre sens moral : « Habitue-toi à tout ce qui te décourage » avait-il gravé sur le tableau noir. Celle-là je m’en rappelle. Nous avions soupiré. Ensemble. Mais qu’est ce qui pouvait nous décourager à seize ans quand on a la vie devant nous et toutes les filles du monde à conquérir ?
Pourtant. Cet immense découragement est arrivé dans nos vies. Dans nos trente ans d’amitié. D’abord mon terrible accident de voiture en 1996 où tu es venu me soutenir et me faire rire. Comme toujours. « Habitue-toi à tout ce qui te décourage ». Là, il fallait être fort. Et solidaire. Tu l’as été. Constamment. Même avec une enveloppe de cash.
Aujourd’hui, c’est moi qui me décourage, Xavier.
Qu’ai-je manqué à mon tour dans ta vie et celle des tiens pour affronter ce drame?
Je pense à Agnès, à tes enfants sacrifiés. Si c’est toi, le coupable, comment arrives-tu à trouver le sommeil ? A te regarder dans la glace ?
Où es-tu ? Où te caches tu ? Qui te ravitaille ? Quelle est cette omerta qui t’a coupé du monde et isolé des hommes ? Qu’as-tu fait de cette bonté qui t’animait ? De cette empathie naturelle qui te portait vers les autres.
De quelles ténèbres proviennent cet immense gâchis ?
Il y a trois familles qui pleurent aujourd’hui et veulent savoir la vérité. La tienne, celle d’Agnès et celle de ton aîné, Arthur, l’enfant que tu avais adopté.
Ton absence est un réquisitoire contre toi. Mais ton retour reste l’unique chance de t’expliquer, de te racheter, de demander « pardon ». Il y a encore des vies à sauver.
Tragique histoire, un peu incompréhensible, qui me fait penser à celle Jean-Claude Roman, mythomane compulsif qui avait aussi tué sa femme et ses deux enfants.
Mr Bruno de Stabenrath pour info, lettre envoyé au juge d’instruction Tchalian printemps 2014:
Paul Emile Charlton porte parole du Collectif Autre Monde : Disparition Xavier Dupont de Ligonnès.
à Monsieur le Juge d’Instruction Robert TCHALIAN / TGI Nantes.
Monsieur,
Activistes, menant ‘de part la force des choses’, des investigations sur les crimes sataniques de la gare de Perpignan, l’affaire Alègre Bis à Toulouse et la disparition de la petite Marion Wagon à Agen ; nos investigations nous ont amené à trouver des liens entre la secte belge Abrasax, la Wicca, l’ignoble Daniel Messinger* de Fréjus – Saint Raphaël / ( et autres ignobles !!!…) et à nous intéresser à la troublante secte à connotations ésotériques : ‘Fraternité Blanche Universelle’* Chemin de Boufin Fréjus 83 600 Var.
D’autre part, tout dernièrement, un documentaire télé concernant l’évaporé Xavier Dupont de Ligonnès (outre l’intégrisme catholique familial ambiant ’frisant le sectarisme’) dont vous avez charge d’ instruction du dossier, attira notre attention. Suite au contenu de certains articles de presse, nous citons : « Geneviève Dupont de Ligonnès mère de Xavier a créé un groupe fermé de prières faisant référence à Satan » et fort de mes investigations antérieures, nous avons tout naturellement effectué un possible rapprochement entre la disparition pédestre de Xavier Dupont de Ligonnès de son hôtel de Roquebrune sur Argens et cette inquiétante secte qui se trouve à seulement 4 km de son hôtel ….
*Inutile de venir me déranger ou m’envoyer les flics monsieur le juge d’instruction, j’ai déjà donné.
Merci Bruno pour cette si touchante lettre à Xavier. Les cinq dernières lignes résument toute l’amitié que tu as encore pour lui, malgré l’irréparable et toutes ces vies gâchées.
Ce drame m’a personnellement bouleversé pour avoir partagé avec Xavier une belle amitié dans les années 80 jusqu’à son départ de Versailles. Je sais aussi toute l’admiration qu’il avait pour toi à cette époque, même si vous vous fréquentiez beaucoup moins.
Xavier n’était pas le seul à porter des Ray-Ban au guidon de sa Honda 125 SL (qui créchait parfois dans le garage familial) ou au volant de sa Triumph Spitfire… D’autant qu’une pub, dont tu étais l’acteur à l’époque, passait au Cyrano (filmée, de mémoire, dans un photomaton).
Pour la période où je l’ai bien connu, beaucoup d’infos publiées sur Internet concernant Xavier sont totalement inexactes: pratique religieuse, soirées et rallyes, amis, relations avec Agnès, etc.
Dernièrement, en rangeant ma cave, j’ai retrouvé des BD lui appartenant avec son nom écrit en première page, ainsi que divers souvenirs. Un vrai choc ravivant le passé : sa chambre du Maréchal Foch, nos échanges de fringues, son inoubliable flight-jacquet US marron, le mariage de sa sœur Véronique au TP, etc.
Avec le temps, nos chemins se sont séparés et je le regrette.
Bruno, comme j’aimerai t’en parler en privé, pourrais-tu me donner des coordonnées pour te joindre ou t’écrire ?
Amitiés
Très beau texte d’un ami de toujours. Sincère et émouvant. Je souhaite la vérité pour tous.
Si Xavier est toujours vivant et s’il lit votre lettre, j’espère qu’il va comprendre qu’il faut rentrer en France pour parler à la justice. Il sait forcément des choses. S’il est innocent, ce sera prouvé. S’il est coupable, il doit être condamné. Il faut qu’il parle pour la mémoire de sa femme et de ses enfants ainsi que pour sa famille, sa belle-famille, ses amis et les amis de sa femme et de ses enfants. Comme peut-on faire un deuil quand on ne sait pas ce qui s’est passé et si le deuil concerne 5 ou 6 personnes ? Lui seul pourra confirmer à une de ses soeurs et à sa mère que les corps retrouvés dans la maison sont bien ceux de ses enfants et de sa femme. Pourquoi pensent-elles qu’Agnès et les enfants sont toujours vivants ? Les corps ont été autopsiés. La justice française a la preuve que ce sont les corps d’Agnès et de ses enfants (la justice ne peut pas mentir à ce sujet). Je ne sais pas comment Xavier peut continuer à vivre en sachant que sa femme et ses enfants ont été tués. Pour moi, il est toujours vivant et il se cache quelque part à l’étranger. Il a dû changer d’identité.