« Huit agents de police solidement armés firent irruption dans l’appartement qu’ils prirent d’assaut avec toutes les précautions d’usage… »
Heinrich Böll, L’Honneur perdu de Katharina Blum (1974)
Sept ans que l’image revient dans nos journaux : le visage en fer de lance de la Française. Le bleu glacé du regard défie l’assaillant. Échevelée, drapée dans une couverture, Florence Cassez peine à retenir sa colère. Il aura au moins fallu tout un détachement du service d’enquête fédérale pour contenir cette fureur que l’on sent poindre.
Sauf que la scène n’a jamais eu lieu.
En vérité Florence Cassez a été arrêtée la veille, le 8 décembre 2005 à l’occasion d’un contrôle routier. On lui reproche d’être la complice de son ex-compagnon, le mexicain Israël Vallarta, identifié comme le chef d’un gang de kidnappeurs, « Los Zodiacos ». On a voulu faire de l’indignation de Florence Cassez, devenue malgré elle l’objet d’une odieuse machination médiatique, l’instrument de sa propre perte, un masque de culpabilité. Ce « on », c’est celui de la justice mexicaine. Mais quelle justice se met en scène de la sorte ?
En dénonçant en direct la supercherie, le 11 février 2006 sur la chaîne Televisa, Florence Cassez précipite sa chute. Les ambitions politiques de Genaro Garcia Luna, l’homme qui a supervisé son arrestation, ne sauraient souffrir pareil discrédit. Il en fait une affaire personnelle. Le 25 avril 2008 Florence est condamnée à 96 ans de prison pour quatre enlèvements, association de malfaiteurs, possession d’armes à l’usage exclusif de l’armée ainsi que de munitions. On ne peut imaginer le coup reçu à l’annonce d’un tel verdict. Persuadée qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre elle, Florence avait déjà préparé ses valises. La jeune femme clame son innocence ; elle n’a jamais rien su de ce qui se tramait dans les caves du ranch. Séparé d’Israël Vallarta, qui s’est toujours fait passer pour un revendeur de voitures, elle n’était retournée chez lui que pour reprendre des affaires et vivait, au moment des faits, dans le centre de Mexico. Le 4 mars 2009 elle obtient en appel une réduction de sa peine à… 60 ans.
En France, le président Sarkozy demande à ce que maître Frank Berton, habitué des affaires médiatiques, soit chargé du suivi du dossier. Très vite ce dernier dénonce le caractère éminemment politique de la condamnation de Florence. Alors que l’opinion mexicaine, dans sa majorité, reste marquée par les fausses images diffusées, la détention de Florence sert de caution à Genaro Garcia Luna devenu secrétaire de la sécurité publique. Ainsi, en violation de la convention de Strasbourg, signée par le Mexique en 2007 et qui prévoit qu’un détenu étranger puisse purger sa peine dans son pays, le président Calderón refuse tout transfert de Florence Cassez, craignant que la législation française n’empêche l’application du verdict rendu par les tribunaux mexicains. Les avocats comprennent qu’il sera très difficile de revenir sur le jugement prononcé et espèrent tirer avantage des nombreux vices de procédure, violations des droits fondamentaux et en particulier de la présomption d’innocence de Florence Cassez.
La presse apporte son soutien. Elle oppose sa voix au lynchage médiatique organisé par le Mexique contre la jeune femme. Procédés contre procédés, diffamation contre devoir de conscience, se rejoue alors l’immémorial combat entre vérité et pouvoir des apparences. Les parents de la française, Bernard et Charlotte, multiplient les interventions télévisées avec Franck Berton, simplement pour que leur fille ne soit pas oubliée, abandonnée à son sort. Depuis sa geôle, Florence donne plusieurs interviews. Les prises de positions augmentent : Ingrid Betancourt, Anne Hidalgo, Marion Cotillard, Alain Delon, Mélissa Theuriau, Valérie Trierweiler ou encore Serge Grouard, maire d’Orléans, se mobilisent. Des comités de soutien se mettent en place jusqu’au Canada. La chanteuse mexicaine Carmen Salinas raille la justice de son pays et prend la défense de Florence. De leur coté, Chantal Brunel, Jean-Marc Ayrault, Christian Vanneste, François Bayrou et Robert Badinter pointent l’attitude du gouvernement français vis-à-vis du Mexique et évoquent la possible part de responsabilité de la « victime ». En France aussi l’affaire se politise. Le 17 février 2011, à l’occasion d’une prise de parole au Sénat, Michèle Alliot-Marie, qui a déjà évoqué un « déni de justice », provoque le départ de l’ambassadeur mexicain, présent ce jour-là dans l’hémicycle. L’ex-ministre des affaires étrangères, alors sous le feu des média suite à ses déclarations sur la révolution tunisienne et à la divulgation de ses rapports avec le clan Ben Ali, espère peut-être encore pouvoir redorer son image en se faisant héraut de l’oppression. En vain. Sa perte de crédibilité la pousse à la démission quelques jours plus tard. La crise diplomatique culmine lorsque Nicolas Sarkozy, en accord avec les parents de Florence, annonce son intention de dédier l’année du Mexique, prévue pour 2011, à la Française. La réaction est immédiate : le gouvernement mexicain ordonne l’annulation des célébrations officielles.
L’espoir va renaître avec l’élection à la présidence mexicaine, en décembre 2012, d’Enrique Pena Nieto du Parti Révolutionnaire Institutionnel, opposant historique d’Action Nationale, le parti de Calderón. La chute du gouvernement a des allures de débâcle : craignant d’être la cible de représailles, Genaro Garcia Luna fuit le Mexique pour Miami. En mars 2012, trois des cinq juges de la Cour Suprême du Mexique, saisie par les avocats de Florence après les errements de la justice ordinaire, sont favorables à une annulation du jugement. Mais parce que seuls deux d’entre eux votent pour une libération immédiate, l’affaire est, une fois de plus, reconduite en appel. Le 23 janvier 2013, depuis sa prison de Tepepan, Florence apprend qu’en raison d’une violation flagrante de ses droits constitutionnels elle est rendue à la liberté. Après sept années, le cauchemar s’achève enfin.
Alexandre le Grand n’avait pas encore rendu son dernier soupir que les diadoques se déchirèrent sa dépouille et son empire. Florence Cassez n’a pas encore posé un pied sur le tarmac français que déjà la classe politique s’arrache une couronne de lauriers. La droite y voit le dernier coup d’éclat diplomatique d’un Nicolas Sarkozy, le Parti Socialiste revendique l’action discrète mais nécessaire d’un président normal. On s’étonnera presque que le commentaire le plus mesuré vienne de Jean-François Copé, saluant à la fois le « combat » de Nicolas Sarkozy mais aussi celui de François Hollande. Pourtant, l’un des premiers appels de Florence Cassez, une fois sa libération annoncée, fut pour l’ancien président dont elle et sa famille ont toujours loué la détermination et le volontarisme que d’autres jugèrent trop cavalier. Invité à être présent à sa descente d’avion, celui dont on ne cesse d’augurer le retour en 2017 a préféré se tenir à l’écart. Florence Cassez aura finalement déjeuné avec son « sauveur », lundi 28 janvier, jour des cinquante-huit ans de Nicolas Sarkozy.
Mais et si en fin de compte Florence Cassez ne devait sa libération qu’au Mexique, décidé à restaurer sa justice ? Car, s’il est un mot qui s’est perdu dans le grand tapage médiatique, c’est bien celui de « justice ». Les journalistes français ont certainement accompli un devoir de morale en prenant la défense de Florence face à la presse mexicaine. Sans doute se sont-il souvenus qu’au visage de la Française ils pouvaient superposer celui des parents de Grégory Villemin ou des familles d’Outreau contre lesquels ils portèrent, il n’y pas si longtemps, un doigt inquisiteur. Les conséquences se payent encore. Les relations des journalistes et du pouvoir sont connues, mais celles de la justice et des médias sont peut-être plus pernicieuses encore puisqu’elles peuvent placer des vies entières sous la menace du commérage et de la calomnie. Heinrich Böll, prix Nobel de littérature, les dénonçait il y a quarante ans.
On ne pourra que s’incliner devant la reconnaissance des outrages subis à la dignité de Florence, mais que reste-t-il des accusations portées hier ?
Florence Cassez a contre-elle les témoignages, relativement flous, de trois victimes de « Los Zodiacos » ainsi que les déclarations de David Orzoco, membre du gang, qui la reconnaît comme l’une des têtes de la bande, mais prétendra plus tard avoir parlé sous la torture.
Florence Cassez a pour elle les aveux de Vallarta qui la disculpent. Depuis, l’ex-compagnon croupit dans une cellule sans autre forme de jugement. Mais surtout, Florence Cassez a pour elle les sept années qu’elle a passées en prison, ces 2603 jours où l’entrave physique n’est jamais venue à bout de sa volonté. Elle a bravé la fatalité. Elle a refusé avec tout son courage le destin d’une Katharina Blum, devenue le monstre que la presse voulait qu’elle soit. La Justice, c’est précisément Florence, le visage marqué mais le regard toujours droit, qui l’appelle de ses vœux, enfin, comme une ultime libération : « ici ,comme au Mexique, je sais que beaucoup de gens ont des doutes, à mon propos. Je peux le comprendre, même si cela fait très mal. Je vis depuis sept ans avec cette infamie. On m’accuse d’avoir enlevé des gens, et surtout un enfant ! Le simple fait que l’on me croie capable de cela est une torture. »