Parmi les vagues langueurs du soir en sourdine, il vaque. Il trottine. S’assoit. Feuillète. Ténèbres, poussières assoupies, paupières en éclipse : l’Ennui. Où est Patrick ? Patrick. Il est parti, désormais. Le trémolo, le frisson froid des aubépines, c’est affreux, Carla, je te jure, je n’en peux plus. Mais où est Patrick ? Les effluves d’une tasse de thé, et son soupir. Est-ce que ce stylo n’est pas mal rangé ? Si. Le corps froid du Montblanc, entre son index, son pouce : le classement par ordre de taille est pratique, vraiment. Avant, il les rangeait par date d’acquisition. Mais ça faisait débraillé. Alors que là : non, moins. Où est Patrick ? Patrick n’est plus là. Et Guéant, il a appelé aujourd’hui ? Non, mon chou.
Le Président sortant-pas-tout-à-fait-dehors-mais-presque, est calme. Son visage : un masque, terne. Depuis le Grand Débat, tous ses tics ont re-germé, comme un printemps de l’épilepsie, une épiphanie du stress opiomane. Soudain, un clignement d’œil. Le rideau gauche, là bas, est mal mis. Diantre. Se lever ? Il réfléchit. Non, son genou gauche le tiraille, un peu. Faudra aller acheter de l’Arnica, mon chou. Tant pis pour le rideau. C’est ça de pris à Hollande, tiens. Bam, dans les dents.
Mais où est Patrick ?
Au moins, Henri, lui, a prévenu. Parti à Londres, faire un appel. Henri lui téléphone, parfois. Lui aussi, là bas, par delà les falaises, s’ennuie. Il lui faut attendre le 18 Juin, pour que son Appel de Londres ait quelque retentissement, et que les médias le réinvitent à nouveau, lui, Henri Guaino. Enfin, les médias : le 12h30 de BFM TV. Peut-être. Parfois, Henri lui lit quelques pages des mémoires de Gaulle, au téléphone. Le passage où le Général reprend Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est ennuyeux. Alors, le Président repose le combiné, et ferme les yeux. Mais où est Patrick ?
Le monde est comme un Vis ma Vie de François Fillon, mais très long, sans fin, même.
Furtivement, un fourmillement. Avec tension, se relever. Les cent pas. Mais oui mais oui c’est donc ça. Soudain, oser. Oser un nouveau système de rangement des Montblanc, c’est-à-dire engager une vraie rupture, profonde, multiple, en se ressaisissant des considérations trop longtemps enfouies, cachées sous le tapis, et tant pis pour les corps intermédiaires, les syndicats, tous ces conservatismes, car enfin, pourquoi ne pas envisager, après un Grenelle du Montblanc, un Bretton-Woods du Stylo, un tout révolutionnaire, un ultra-moderne, un historique système de conservation des stylos, c’est-à-dire une nomenclature complexe, tenant compte à la fois de la couleur (noir, bleu, bleu un peu noir), du grammage (25, 30, 40) pondérée, avec un coefficient quelconque, disons de trois ou quatre, voire quatre et demi, par la taille en centimètres au carré, alors, oui, cela pourrait passer pour complexe, mais enfin bon, la France doit changer, et on réussirait, tiens-toi bien mon chou, à obtenir une logique parfaite, une conservation parfaite, une praticité infinie, de telle sorte que (à l’aide bien sûr d’une notice explicative, on donnera ça à faire à Baroin) on puisse savourer la scientificité admirable d’un emplacement a priori aléatoire, mais en fait, brillant d’ergonomie, hein, qu’en penses-tu, dis mon chou ?
Oui, oui, Nicolas.
Nicolas Sarkozy, décidément, s’ennuie.
À présent, déprimé, on dirait Juppé content.
Une carte. Jean-François Copé, pour se marrer, lui a envoyé une annonce d’une villa à vendre, à l’île de Ré.
L’autre jour, c’était incroyable. Il était sorti. L’Autre, le Nouveau, l’avait invité, pour déposer des fleurs. Bon évidemment, (Hollande l’avait fait exprès, bien sûr), ça tombait pile à l’heure de Midi en France, l’émission qui parle de VOTRE région, et c’était embêtant, parce que les émissions divertissantes, il n’y en a pas cent, surtout entre 10h et 11h – heureusement, il avait manigancé un ingénieux système d’enregistrement, à l’aide d’un huissier fidèle – mais, malgré tout, ça lui avait fait une sortie. Deux heures, arrachées au roc friable et énorme des lendemains écrabouillés. Le grand air, pendant cent vingt minutes, et tant d’émotions qu’il avait dû faire une petite sieste, en rentrant.
Mais bon. Assister à une cérémonie officielle avec son successeur, en public, devant des centaines de télévisions, c’est comme aller au mariage de son ex. Dur à vivre.
Mais où est Patrick ?
Patrick s’est enfui, en Autriche, à Hénin-Beaumont, on ne sait pas. Les accoudoirs de son fauteuil lui câlinent les côtes, un peu. Il faudrait que j’appelle Nadine. Ce sont les silences terribles, les silences des éléphants qui meurent. Que faire, jusqu’au soir ? Hein, Carla ? D’abord, Hercule Poirot, puis, Grey’s Anatomy, un coup de LCP, et enfin, le bon moment, le début de la période faste : Un dîner presque parfait, C dans l’air, le Grand Journal….A partir de 17h 30, il y a d’un coup trop de choses à regarder. L’ennui, pendant douze heures, et soudain, la débauche. La vie est cruelle. Mais où est Patrick ?
Après, ça sera le 20h. Il n’a pas envie de regarder le 20h. Il sait déjà tout de ce qui sera dit, oui, ses lèvres sont pleines des mots, ramassés, rabâchés de Laurence Ferrari, c’est comme si son gosier avait des réflexes, les réflexes de l’info télévisée, il pourrait pour ainsi dire parler à l’aveugle, faire les titres, les lancements, les transitions, les regards caméra, les verres d’eau, dernière retouche de maquillage, attention Ji-Pé, trois secondes, dépêches AFP, je suis bon là ? Nicolas Sarkozy pourrait dessiner, les yeux fermés, le rebord de la vaste table en verre italien, celle du plateau de TF1, il faut dire qu’il a passé tant de soirées enfardées de maquillage, avec Cécilia en coulisses, on va s’occuper de cette bande de racailles, qu’est-ce qu’il faudrait que je fasse M’âme Chazal, puis après, avec Carla, écoutez regardez ce qui s’est passé en Espagne, c’est une réalité, c’est incontestable, je vais vous dire qu’elque chose de simple.
Alors, l’Idée lui vient.
À présent, tout est clair. Demain, il ne sera pas avocat, pas promoteur de yacht, pas conférencier, pas Président du PSG. Non : quand Laurence Ferrari se fera virer, ce qui ne saurait tarder, il sera Présentateur du Journal Télévisé, du 20 heures. Eh oui ! Pas un meilleur expert de la diction anxiogène, pas un spécialiste plus au fait de la création du fait – divers vendeurs, de la montée en sauce du petit Rien qui devient une dépêche AFP et la Une du Figaro. Le Présentateur du JT, en fait, depuis dix ans, c’est lui. On le voit tous les soirs. Comme les consommateurs de cocaïne, les téléspectateurs sont fragiles : ainsi, ils ne seront pas dépaysés.
Rasséréné, Nicolas Sarkozy reprend une chouquette.
Dans le Salon Troisième Empire, il fait froid, onctueusement froid.

2 Commentaires

  1. « il trottine, s’assoit, feuillette »…un peu facile comme tableau que vous brossez, un peu petit, gardez quelque respect à cet homme qui a eu le pays à gérer pendant cinq ans, merci, bonne journée ,sans rancune,
    un lectrice de rdj

  2. On peut se demander sur quoi vous pourrez écrire bientôt, car vous n’aviez qu’un seul sujet!! Vous n’arrivez décidément pas à vivre sans lui!!