Pour Bernardo Bertolucci, il s’agit d’un mauvais film, ou d’une autofiction, destiné à le faire tourner en rond : vivre et mourir en fauteuil électrique !
« Condamné » à la chaise roulante ( je n’ai pas écrit « cloué dans…» comme 99% de la presse) et à une paraplégie sévère depuis une grave opération au dos, le réalisateur italien, âgé de 71 ans, déclare une guerre totale — et en 3D — à sa ville, Rome, à son maire, Gianni Alemanno et à ses gardiens obtus.
En effet, les maîtres du temple, des monuments historiques et de l’urbanisme, refusent les lois de l’accessibilité et pérorent sur les hauteurs du capitole : « Il est important de ne pas défigurer le patrimoine historique de Rome avec des rampes d’accès, des montes charges, et des travaux inopportuns qui embarrasseraient nos invités! »
Voilà ! Avec ses 18 millions de visiteurs par an, les touristes sont donc plus important que les vieillards à demi trottinant, les femmes enceintes ou avec landaus, et les pauvres miséreux à roulettes ou sur des béquilles.
Quid du code international du handicap ?
En Italie et à Rome, Venise, Naples, Milan, Florence, les trottoirs rabaissés, on s’en moque, les portes élargies, idem, les toilettes adaptées (pourquoi faire ?), les avertisseurs sonores pour les aveugles, inaudibles dans ce capharnaüm sonore naturel !
Et au Vatican ? Chez l’ami Benoît ? Ils ont simplifié le problème en créant un « Pontifical Tour », un gentil mini rallye épiscopal où l’infirme, est pris en charge de A à Z, et repart aussi vite qu’il est arrivé après un passage obligé au confessionnal et à la boutique souvenirs : pas le temps de protester !
C’en est trop pour Gladiator Bernard, dernier empereur, bien décidé à jouer les terminators et à mettre la pagaille — façon dolce vita à la sauce nitroglycérine — même s’il réalise que, à jeter ses dernières forces dans la bataille, ce combat sera, à l’évidence, son Dernier Tango à Paris.
L’ex-assistant de Pasolini, l’ami de Sergio Leone et son scénariste lors de Il Était Une Fois Dans l’Ouest, dégaine les colts de la colère et de l’humiliation.
Dans une lettre ouverte, adressée au maire de la capitale transalpine, Bertolucci accuse l’inertie corrompue des pouvoirs publics, se sacrant du même coup, premier italien porte-parole officiel de la cause du handicap.
Il faut avouer, que Bernardo qui filma pourtant, avec une jubilation constante, les thèmes de l’enfermement et de la claustrophobie mentale, est pris à son propre piège. Une prison d’or, certes ! Mais quelle idée aussi, d’habiter au cœur de la cité interdite dans le quartier de Trastevere ?
Avec ses deux Oscars, ses deux Golden Globes, son César (tous célébraient Le Dernier Empereur) et sa Palme d’or 2011 en hommage à sa carrière, le chaleureux Bertolucci fait face à la maladie avec courage et humour.
Lors de l’avant dernier Festival de Cannes, où il présentait aux journalistes et aux critiques, une copie restaurée de son film Le Conformiste (1970), Bernardo annonça : « Au lieu de restaurer mes films, les Cinémathèques devraient me restaurer, moi. »
Et d’ajouter à propos de son film ultime Moi & Toi (sortie 2012) :
« Depuis cinq, six ans, j’étais convaincu de ne plus tourner de films. Mon état, comme vous le constatez, me dictait que c’était la fin. Désormais, je suis devenu comme mes caméras : sur un chariot. »
Cet homme polyglotte, érudit, globe trotteur, épicurien, ne regrette rien. Il a conscience d’avoir vécu une vie pleine, dévouée au cinéma et à ses avatars. Avec ses zones d’ombres et de remords.
Apprenant la mort de l’actrice Maria Schneider, jeune partenaire de 19 ans de Marlon Brando dans Le Dernier Tango, il regrettait de ne pas lui avoir demandé pardon. Et surtout de lui avoir imposé — à son insu — la scène sodomique du beurre. La fille de Daniel Gélin, humiliée, ne s’en était jamais vraiment remise. Le film, non plus d’ailleurs.
Face à son œuvre et à son héritage qui lui fait face, Bertolucci perçoit le temps qui lui reste comme une valeur subjective. « Il y a des films qui vieillissent bien, des films qui vieillissent mal. Il n’y a pas de règle, ce n’est pas comme pour le vin. Le passage du temps ne fait pas toujours du bien aux films. Mais ce n’est pas forcément à cause du film, qui est en fait lié à une réalité de l’époque. En fait, la réalité vieillit aussi… ».
À voir absolument : Souvenirs d’un président de festival de Cannes, Document de Elio Lucantonio.
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