Les dirigeants occidentaux, d’Obama à François Hollande, le répètent depuis une quinzaine de jours : nous envisagerons, affirment-ils en substance, une intervention militaire en Syrie, avec ou sans l’aval du Conseil de sécurité, au cas où le régime Assad toucherait à ses armes chimiques. Le 20 août, le président américain déclarait ainsi : « Jusqu’ici, je n’ai pas donné l’ordre d’intervenir militairement, mais si nous commencions à voir des quantités d’armes chimiques déplacées ou utilisées, cela changerait mon calcul ». Et d’ajouter : « Nous ne pouvons pas nous trouver dans une situation dans laquelle des armes chimiques ou biologiques tombent entre les mains des mauvaises personnes. » Ces accents de fermeté constituent, paradoxalement, un très mauvais message envers la révolution syrienne. Car les puissances occidentales, qui justifient leur inaction militaire contre le clan d’assassins au pouvoir à Damas par leur volonté de respecter la légalité internationale, signifient ainsi qu’elles seraient prêtes à passer outre cette même légalité dès lors que les pays voisins de la Syrie – et donc Israël – se trouveraient menacés. En d’autres termes, les Occidentaux considèrent implicitement que quelque trente mille morts (dont plus de 5400 rien qu’en août), des centaines de milliers de blessés et au moins 1,2 million de déplacés ou réfugiés, sans parler des victimes de tortures, des disparus et des villes dévastées, ne méritent pas une intervention militaire dès lors que ce ne sont que des Syriens ; mais s’il y avait de la part de Bachar al-Assad « la moindre tentative de faire utilisation directement ou indirectement [des armes chimiques et bactériologiques], la réponse serait immédiate et fulgurante », comme l’a asséné Laurent Fabius, puisque ce serait alors un danger pour la région.
Il est certes absolument légitime de tuer dans l’œuf la moindre velléité de faire usage de ces armes monstrueuses, d’ailleurs interdites par le droit international depuis 1993. Mais les dirigeants occidentaux mesurent-ils que leur discours est inévitablement entendu comme un « deux poids, deux mesures » par la rébellion syrienne ? Il y a maintenant des mois de cela, on entendait des insurgés demander pourquoi ils ne bénéficiaient pas de la même aide militaire internationale qu’avaient obtenue les Libyens. Et déjà se répandait le reproche qu’on laissait la révolution syrienne seule face à ses bourreaux. Aujourd’hui c’est l’amertume qui domine, quand ce n’est pas carrément une violente hostilité à l’égard des Occidentaux. Les théories conspirationnistes paranoïaques se répandent chez les opposants : « on » (entendre les Américains et Israël) laisserait faire Assad car « on » voudrait détruire la Syrie.
Plus grave, et comme c’était à prévoir, le vide politique laissé par l’inertie occidentale a inévitablement favorisé l’influence des islamistes les plus radicaux. Les combattants rebelles sont ainsi de plus en plus nombreux à adopter l’allure et les slogans fondamentalistes. La Syrie est en outre devenue au fil des mois terre de djihad pour des salafistes fanatiques venus de Tunisie, du Maroc, d’Irak, de Libye et même de France. Principalement localisés dans le nord du pays, et surtout à Alep où ont lieu en ce moment les plus rudes affrontements, ils ne sont cependant pas nombreux : sans doute guère plus d’un millier. Jusqu’à présent ils n’étaient généralement pas très appréciés de la plupart des Syriens en lutte contre la dictature. Mais ces djihadistes savent se battre et leur efficacité militaire joue politiquement en leur faveur. Il ne faudrait cependant surtout pas en déduire que la révolution syrienne se fait désormais sous le drapeau d’Al Qaïda, et prendre prétexte de la présence d’une grosse poignée de fous de Dieu pour abandonner les révolutionnaires à leur sort.
Il est encore temps pour les grands pays démocratiques d’apporter un soutien opérationnel au renversement du gang Assad. Puisqu’ils envisagent d’intervenir militairement sans l’aval du Conseil de sécurité pour empêcher la dispersion des armes chimiques, ils peuvent alors tout autant se dispenser de la légalité onusienne afin d’établir une zone d’exclusion aérienne en Syrie. Puisqu’ils s’estiment en mesure d’affronter les forces du régime au cas où celui-ci, en faisant sortir ses armes chimiques de leurs cachettes, franchirait ce qu’ils considèrent comme une ligne rouge, alors c’est qu’ils ont les moyens d’apporter dès maintenant un appui militaire à la rébellion. Et s’il est vrai que, comme on le lit ici ou là, ils font sous-traiter par l’Arabie saoudite et le Qatar la fourniture d’armes aux insurgés, alors c’est qu’ils sont d’une stupidité stratégique abyssale. Car cela revient à renforcer les extrémistes sunnites qui représentent un danger majeur pour l’indispensable respect des droits des minorités confessionnelles et ethniques sans lequel il n’y aura pas d’avenir démocratique en Syrie. De plus, l’influence croissante des islamistes radicaux ne représente pas un danger pour la seule Syrie, mais bel et bien aussi pour ses voisins, que ce soit la Jordanie, le Liban ou Israël.
Quiconque est comme nous convaincu que les révolutions au Moyen-Orient ont ouvert une nouvelle phase historique susceptible d’aboutir à cette démocratie à laquelle le monde arabo-musulman a tout autant droit que l’Occident, ne peut que dénoncer l’incroyable pusillanimité et l’aveuglement politique de nos gouvernants. Les Syriens payent aujourd’hui un lourd tribut de sang et de désolation à la lâcheté occidentale. Si nous abandonnons à leurs bourreaux les hommes, femmes et enfants de ce pays, demain toute la région risque d’en payer à son tour le prix. Ce que là-bas nul n’oublierait. Les États-Unis et l’Europe doivent donc jouer leur rôle avant qu’il ne soit trop tard : il faut intervenir pour sauver la révolution démocratique syrienne !
« Les États-Unis et l’Europe doivent donc jouer leur rôle avant qu’il ne soit trop tard : il faut intervenir pour sauver la révolution démocratique syrienne ! »
« démocratique » comme en Lybie?
Moi je ne serai pas volontaire pour être ambassadeur dans ce pays une fois que l’inertie occidentale aura fini de « favoriser l’influence des islamistes les plus radicaux » comme elle l’a fait en Lybie…. avec le résultat qu’on connait aujourd’hui …
Je n’ai pas mes entrées au Pentagone ou à la CIA, mais j’ai du mal à croire que les plus brillants esprits de l’hyperpuissance qui depuis 1945 protège nos petits culs d’une WWIII soient inconscients du fait que si Assad est un président syrien normal au même titre que Hollande est un président français normal, cela en dit long sur la nature des régimes politiques de l’un et l’autre de ces chef d’État. Bachar le Boucher purge déjà sa peine, la poudre du Shuar de Beetlejuice est passée à ce que je vois au-dessus de son crâne de crâneur, il n’est plus vraiment là, comme Béchir ou Mladić, aussi impossible à approfondir qu’une personnalité inhumaine peut l’être. Un criminel sans armes de destruction massive, or le précédent Bush ne doit pétrifier aucune main humaniste dans l’élan que fait naître la paume étoilée de notre fraternité naissante, comme souvent dans le sang.
La révolution démocratique syrienne ne s’accomplira pas sans que soit placé sous mandat d’arrêt le criminel de droit commun et international répondant au nom de Bachar al-Assad, lequel s’il est encore besoin d’en faire une démonstration, n’est plus, n’est pas, ne fut jamais d’ailleurs à proprement parler un représentant du peuple. Bachar al-Assad, héritier de cette figure emblématique du fascislamisme qu’était devenu feû son père Hafez al-Assad, hommes sans envergure, monstres arendtiens s’il en fut pratiquant le crime contre l’humanité comme les petites frappes vivent leur petite vie devant la glace de Travis Bickle. Assad se fait des films, sur son degré de puissance, sur le respect dans lequel il tient ses ennemis; l’Occident n’a pas d’essence à gaspiller pour lui dans une opération aérienne de risque minimal et d’efficacité optimale. Assad n’est pas dangereux, comme cela doit l’agacer… mais Assad est-il aussi méprisable qu’il y paraît? À l’échelle des enjeux internationaux, Assad est un pion. C’est donc sur le joueur dostoïevskien auquel il ne reste finalement plus tellement de pages, – comme le temps passe! – à niquer sa maligne maîtresse que je m’attarderai. Ce petit joueur bombardé par lui-même adversaire de Kasparov, – la guigne! – Ce joueur qui protège ses pions syrien, iranien, et quelques autres du même acabit, mais les sacrifiera au premier remuement de truffe de ce chien d’Amerikov. Vladimir Poutine n’est pas exactement ce qu’on peut appeler un minable. Il utilise les techniques de communication de son temps et si elles nous le kitschéisent à souhait, elles ont de quoi tenir! La propagande soviétique dont elles tétèrent le sein a produit/fut produite par/ des génies de type Rodtchenko, capable de vous décliner Klein en Triptyque, 1921, sept ans avant qu’il n’ouvre un premier œil. Les slaves savent se fondre dans la couleur d’une âme à l’émotion irrésistible et montrent ainsi leur inclination à l’engouement collectif. Ils n’ont pas attendu le collectivisme ni le productivisme pour se lever comme un seul homme à l’appel du yéti intérieur, abominable ambivalence du brasier en hibernation. Ainsi des pogroms d’Elisabethgrad aux hécatombes de Stalingrad, l’âme russe ne vacille pas, toujours aussi partante, aussi riante, aussi pleurante, aussi nostalgiante, aussi imbibée de l’ivresse du combat. Mais ce génie du serrement de poing décuplant la force des doigts cache néanmoins une zone de fébrilité. Où est passé l’individu? sa responsabilité individuelle? sa liberté individuée? son éducation individualisée? Mais je vois déjà Son altesse impériale Vladimir Ier m’incruster dans la grande scène du Grand Inquisiteur des Frères Karamazov, et me faire apparaître au patriarche Kirill qui me savonne la bouche pour l’utopie dangereuse que diffuse mon esprit de suppôt du Grand Bouc et faiseur de sabbat, esprit dément capable de faire passer une belle âme comme la sienne pour monstrueuse à chaque fois que la raison l’oblige à transgresser mes préceptes fantasques pour arracher une langue? Il peut le faire, comme dirait Blanche à Dac, sauf que pour son malheur, je ne suis pas le poltergeist du Christ.
Bonjour M SCHALSCHA
J’ai lu avec intérêt votre article intitulé « Aider la Syrie avant qu’il ne soit trop tard ! ». Isolé dans ma campagne de l’Eure, les actions locales en faveur d’une paix imposée en Syrie sont bien peu nombreuses voire inexistantes. c’est pourquoi j’ai humblement lancé une mouvement corpusculaire appelé « 1min/day for Syria ». Participer au mouvement se traduit par 1min d’arrêt chaque jour et si possible de manière coordonnée(voire explications sur la page Facebook). L’avantage de cette action est de pouvoir être universelle. Mais depuis trois mois je ne parvient pas à médiatiser l’action ou si peu. J’espère donc des conseils ou une aide de votre part.
Merci