Selon une dépêche AFP du 21 juin, les sanctions prises contre la France «  à propos du génocide arménien » ont été levées. Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a même déclaré à la chaîne d’information CNN-Türk que le premier ministre Recep Tayyip Erdogan « a donné les instructions nécessaires après son entrevue avec le président Hollande (au sommet de Rio ndlr). Les sanctions ne seront plus d’actualité en raison de la nouvelle position de la France ».

On ne peut bien sûr que se féliciter de cette marche arrière des dirigeants turcs. Leur réaction à l’endroit de cette loi française sur le négationnisme (puisque c’est de cela qu’il s’agit) trahissait la pérennisation d’une hostilité forte envers les Arméniens. Une aversion s’inscrivant dans la logique de l’extermination de cette minorité par le gouvernement « Jeune-turc » et participant du même état esprit. Si Ankara a pris conscience de la gravité de son attitude, de ce qu’elle disait du degré de continuité et de complicité entre les autorités turques de 1915 et de 2012, c’est vraiment tant mieux. Une telle évolution ouvrirait la voie à tous les possibles en matière de justice. Elle augurerait d’un futur arméno-turc pacifié. Cette issue, la seule qui soit porteuse d’avenir, chacun l’appelle de ses vœux. Et si le président de la République à l’occasion du G20 de Rio a réussi à incliner la position d’Erdogan en ce sens, il s’agit vraiment d’une très bonne nouvelle.

Mais si hélas l’inverse s’est produit, comme tend à vouloir le faire croire la déclaration ambiguë d’Ahmet Davutoglu, la déception serait alors d’une terrible ampleur.

On ne peut pourtant sérieusement imaginer que François Hollande, constant défenseur depuis 15 ans de la cause arménienne, initiateur de la première loi du 13 octobre 2006 pénalisant la négation du génocide arménien, comme il l’a lui-même rappelé le 24 avril dernier lors de la commémoration à Paris du crime, puisse faire ainsi volte-face au détour d’une rencontre en marge d’un sommet international. Lui prêter une telle légèreté serait l’insulter. Et l’on connaît trop la profondeur et la permanence de son engagement sur le sujet pour le soupçonner de le trahir à la première occasion, sous l’influence d’un ministre islamo-conservateur lui faisant des sourires. Arrêtons !

Par deux fois (en 2006 et 2011) l’Assemblée nationale a voté en faveur de la répression du négationnisme du génocide arménien. Le Sénat s’est également rallié le 23 janvier 2012 à cette position. Ce projet de loi a même constitué le seul point de convergence de la présidentielle entre Nicolas Sarkozy et François Hollande qui ont tous deux promis de proposer un nouveau projet gouvernemental en ce sens. L’unique réserve concernait la nécessité d’en travailler la forme de façon à prévenir tout risque d’invalidation par le Conseil constitutionnel, comme en février dernier. Mais le fond, lui, ne souffrait pas du moindre doute. Et pour être très clair, François Hollande avait insisté à Paris : « Je n’ai jamais changé de discours en fonction des circonstances (…) Votre histoire ne sera jamais oubliée parce qu’elle ne pourra jamais plus être contestée. »

Le négationnisme est assimilé en France à un délit depuis la loi Gayssot. Les victimes et les rescapés du génocide arménien sont particulièrement visés par ce fléau qui perpétue les souffrances et avive les brûlures de ce crime impuni. Et il est du devoir de l’État, de les en protéger. Au nom de la dignité humaine, qui figure au fronton de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Au nom aussi du principe d’égalité, comme n’ont de cesse de le rappeler Serge Klarsfeld, Bernard-Henri Lévy, la Licra, SOS racisme, l’UEJF et tant d’autres. Cette exigence, qui renvoie à la manière dont l’État français entend préserver tout ou partie de ses citoyens, fussent-ils d’ascendance arménienne, ne regarde aucun pays tiers. Les organisations des survivants de ce peuple assassiné ne s’adressent d’ailleurs pas en la circonstance à la Turquie. Quand bien même seraient-elles fondées à le faire, elles ne demandent pas non plus que le commerce franco-turc soit conditionné à la reconnaissance du génocide par Ankara. Mais n’est-il pas à tout point de vue inadmissible qu a contrario la Turquie vienne se mêler de la façon dont la Ve République traite les Français d’origine arménienne ? Et que contre toute morale – sans parler des règles de l’OMC- les marchés turcs se ferment à la France à mesure qu’elle ouvre son droit à cette composante de la nation ? Le ministre des Affaires étrangères turques sera à Paris le 5 juillet. Puisse-t-il clarifier ses positions sur le sujet, et cesser de peser au même trébuchet, le prix des Airbus et celui des victimes d’un génocide.

Un commentaire

  1. Je suis arménien (ou plus exactement d’origine arménienne), et je lis toujours les articles qui concernent la cause arménienne avec intérêt. Mais je dois dire que je suis rarement d’accord. Là pas plus que d’habitude. Affirmer que « les victimes et les rescapés du génocide arménien sont particulièrement visés par ce fléau (le négationnisme) qui perpétue les souffrances et avive les brûlures de ce crime impuni » et qu’ « il est du devoir de l’État de les en protéger », je suis désolé mais non. En l’occurrence 1) les négationnistes ne me semblent pas une menace très sérieuse et 2) même s’ils me semblaient l’être, je ne vois pas en quoi la loi Gayssot et l’état français me préserveraient. En outre ça ne me fait pas fantasmer de me dire qu’une loi me permet si je le souhaite de faire se taire un autre, quelle que soit son opinion.

    Il m’est arrivé une fois, en alsace où j’ai résidé, de me faire casser la gueule par des autochtones. À cette occasion, on m’a traité de ‘sale turc’ (en alsace, comme en Allemagne, l’immigration est majoritairement turque). Je me suis défendu tout seul. Je ne suis pas rentré dans une explication de texte, je n’ai pas appelé les flics.

    La loi Gayssot est une loi qui limite la liberté d’expression. C’est un mal. Mais il y a pire : elle entretient l’esprit de délation, de dénonciation. Par contre, elle ne change pas l’opinion des personnes visées, qui continuent à penser tout bas. Au contraire, en stigmatisant leur point de vue, elle encourage ceux qui le partagent à développer le sens de la résistance et du combat, car les points de vue réprimés deviennent au mieux des marottes auxquelles on s’identifie, au pire des certitudes. C’est donc non seulement une loi mauvaise, mais une loi stupide. La coercition n’a jamais eu le dernier mot.

    Je sais bien pour en parler autour de moi, avec ma famille, avec des amis, que je suis quasiment le seul à penser ainsi, et pourtant c’est le seul point de vue qui me semble non seulement juste, mais sain. Les lois coercitives, les dénonciations, le délit d’opinion, pour moi ce sont des manières de collabos.

    C’est d’autant plus triste lorsqu’il s’agit de descendants de peuples qui ont connu la souffrance, cette manière de se réfugier derrière les lois, derrière l’état, pour n’en rien faire d’autre finalement que sévir. C’est triste et ça soulève le coeur. Peut-être même pas pour des raisons éthiques. Ne serait-ce qu’esthétiquement, c’est d’une laideur totale. Ni éthique ni esthétique… Ça fait peu.