Reprenons depuis le début, pour ne pas déstabiliser ceux qui sont encore à peine sur Facebook, réseau social bientôt relayé au grenier du web 2.0.
Il était une fois un petit oiseau qui voulait conquérir le monde. Après avoir atteint la centaine de millions d’utilisateurs aux Etats-Unis en deux battements d’ailes, il eut plus de mal à prendre son envol sur la toile hexagonale. Jusqu’à l’élection présidentielle 2012, qui lui donna du grain à moudre, et de quoi remplir les TL (listes de tweets) françaises jusque-là peu bavardes.

Que s’est-il donc passé pour que la population de Twittos français double en un an ? Une campagne présidentielle avec des candidats se voulant modernes, des estimations de vote sous «haute» surveillance, des meetings, des défilés, des émissions et des débats enflammés qui ont suscité des commentaires passionnés.

La campagne version Twitter ? Des centaines de milliers de tweets, des dizaines de jeunes réquisitionnés pour gérer les comptes officiels des candidats, 531 dénominations référencées pour désigner Nicolas Sarkozy et François Hollande. Et deux hashtags peu flatteurs mais devenus emblématiques de cette course à la présidence : #Flamby VS #Rolex.
Si ce réseau social reste timide en France (5,2 millions d’utilisateurs en février 2012, contre 20,54 millions sur Facebook à la même date), il a représenté un véritable bouleversement dans la campagne, première véritable élection présidentielle 2.0. De nombreux hommes et femmes politiques disposaient déjà d’un compte bien avant la campagne, une des pionnières étant Nathalie Kosciusko-Morizet, avec 158 330 followers (personnes qui sont abonnées à son compte). Or, le réseau a été véritablement dopé par la campagne et l’approche des enjeux électoraux.

Hashtag rétro

Sarkozy-nez-rougePour les Français, l’attrait pour Twitter et le saut dans la modernité s’est matérialisé par un retour dans le passé médiatique : #radiolondres. Dans mon entourage (c’est-à-dire dans une tranche d’âge jeune et susceptible d’utiliser Twitter), nombreux sont les comptes créés dans l’unique but d’assister au phénomène Radio Londres, ambiance « on déjoue la censure », comme des enfants jouant à la guerre, fantasme enfoui d’entrer en Résistance, celle qui n’a d’ennemi que la très dangereuse Commission des sondages… Une fois la campagne terminée, les comptes seront fermés.

C’est avec un ordinateur sur les genoux ou un smartphone entre des doigts crispés que de nombreux Français ont suivi les résultats des élections. En groupe, France Télévision en bruit de fond, un ordinateur connecté à des sites belges, Radio Londres sur Twitter, et des SMS d’amis assistant aux dépouillages : notre version de la soirée du premier tour, la toute première élection présidentielle à laquelle nous avons pu voter, ayant manqué de peu le coche en 2007.

Pour le grand débat, on réitère, parce qu’on y prend vite goût : installée au fond d’un canapé, des provisions à portée de main, face à la télé, et bien évidemment, Twitter sous les yeux (quelques comptes « stars » followés en plus pour l’occasion).

Twitter semble être le lieu démocratique par excellence : hommes politiques, journalistes et anonymes se côtoient, échangent, se citent mutuellement. Les plus grands rédacteurs utilisent, par le biais du « retweet », les formules de monsieur X ou madame Y, célébrités éphémères. Il y a par conséquent un véritable renversement dans l’équilibre des pouvoirs. Ainsi, les tweets d’anonymes, de simples citoyens amateurs de mots d’esprit, ont-ils dicté la campagne présidentielle ?

Le réseau social a abrité tous les avatars de l’anti-sarkozysme. Les railleries sur l’UMP, Nicolas Sarkozy, son quinquennat (et son épouse) ont fusé. En témoignent simplement les nombres de dénominations, pour la plupart moqueuses, comptabilisées pour le président sortant, 415, contre 116 pour François Hollande. Certains tweets en faveur de Nicolas Sarkozy ont été utilisés par des électeurs socialistes pour ridiculiser et décrédibiliser l’électorat de droite : les dérapages de Nadine Morano, notamment, ou encore les déclarations d’un Michael Vendetta peu regardant sur l’orthographe, et dont l’engagement politique survolté n’était guère soupçonné jusque -là.
En cela, les gazouillis semblent avoir eu un pouvoir d’influence.
En outre, Twitter étant un véritable levier de la contestation, il semblerait naturel qu’il soit investi par l’opposition. La France serait alors entrée dans la politique 2.0. (seulement un an après les pays arabes…). Mais ce raccourci associant automatiquement la contestation à la gauche serait bien naïf, et tout juste digne d’un oisillon à peine sorti de sa coquille.

Twitter a-t-il été le reflet de la France durant cette campagne ? Si l’on se fie au nombre de followers de chacun des deux candidats du deuxième tour, 291 348 pour François Hollande contre 215 786 pour Nicolas Sarkozy, Twitter est un thermomètre assez fiable de l’électorat français. Pourtant, ces données ne sont pas nécessairement révélatrices : on peut être abonné à Marine Le Pen sans voter FN, tout comme je suis abonnée à Demi Moore sans que cela révèle une admiration particulière pour son talent d’actrice.
De plus, il est nécessaire de prendre en compte les données sociologiques des utilisateurs français du réseau social : on y retrouve en majorité des citadins, CSP+, sans compter les hordes de journalistes de ce que Technikart appelle ce mois-ci « la gauche Converse » (comprenez les représentants du « socialisme cool »).
Les comptes officiels des candidats, quant à eux, sont notamment utilisés pour retranscrire les citations importantes de leurs discours respectifs ; des gazouillis pour faire écho à la réalité. Mais aussi, paradoxalement, pour humaniser la campagne : François Hollande se prend en photo au concert de Zebda au printemps de Bourges (hashtag à l’appui, s’il vous plaît).

Humour vache

flambyOr, bien plus qu’un théâtre des hostilités entre partisans, Twitter en campagne semble plutôt avoir pris la forme d’une farce comique. Bien plus que l’affrontement partisan ou l’argumentation idéologique, l’humour est omniprésent. Du côté des Twittos anonymes tout autant que chez les journalistes, le message politique est délivré par un bon mot, un calembour, une plaisanterie.
Ainsi, le Nouvel Obs a récompensé les meilleures blagues sur chacun des évènements de la campagne, en décernant des tweets d’or, les « twittors ».

Pourtant, si le président sortant, victime de ces moqueries, avait demandé à ce que l’on ferme tous les comptes parodiques le concernant, notre Flamby rose n’est pas en reste. Les électeurs de l’UMP, eux non plus, n’ont pas oublié d’être comiques. Le surnom Flamby a d’ailleurs largement dépassé les frontières hexagonales : @mikelemora (Miguel Mora, dans la vie hors de Twitter), correspondant du journal espagnol El Pais à Paris, ou encore le New York Times, font également mention du dessert caramélisé.
Que l’on se rassure, tout-de-même : la Fédération officielle des gobeurs de Flamby se maintient en deuxième position des résultats Google.

Par conséquent, comment reconnaître le tweet-blague du tweet-information ? En effet, plus que pour obtenir les résultats des élections en avance, Radio Londres semble avoir été consultée pour prendre part à un mouvement inédit, pour se tenir au courant des derniers surnoms, et, avouons-le, pour se bidonner un coup. Ainsi, les tweets ont commencé à se multiplier sur #radiolondres quelques jours avant le premier tour, alors qu’aucun bureau de vote n’était encore ouvert.
Twitter, en ce qui concerne la campagne, représenterait donc le plaisir de la forme, en oubliant presque le fond. Les tweets proposent une autre grille de lecture du jeu politique en marche : la campagne comme divertissement.
Comment savoir, sur Twitter, où se situe la ligne de partage entre humour et véracité de l’information ? Certaines photos ont fait le buzz (par exemple celle du camion de déménageurs devant l’Elysée), mais il est impossible de savoir quand elles ont été prises et si elles datent bien du jour où elles sont tweetées. Les critères habituels permettant au lecteur ou au spectateur d’identifier le ton humoristique explosent avec Twitter. La confiance que l’on accorde aux journalistes reconnus ne tient plus, puisqu’ils se mettent eux-aussi à jouer les comiques. Face à un tweet surprenant, il peut y avoir hésitation : « soit il détient le scoop de l’année, soit il se fout de ma gueule », est-on tenté de penser quelques instants. Ainsi, lorsque, avant et après le débat de l’entre-deux tours, des journalistes tweetent des bruits de couloirs, le nom du journaliste ne suffit plus pour que l’information soit prise au sérieux. Sur Twitter, tout se mélange, les hiérarchies s’effacent. Les journalistes et hommes politiques font des blagues, tandis que des anonymes peuvent sortir des scoops. En témoignent le compte de Jean-Luc Mélenchon pendant le débat, parfait exemple de la LOLitique twitterienne.

Ce réseau social, qui reste avant tout le lieu de la boutade, n’a jamais vu une analyse politique d’un intérêt décisif en 140 caractères. Si Twitter a servi de thermomètre tout à fait relatif des tendances politiques, une chose est sûre : nos concitoyens font preuve d’une créativité sans borne.

2 Commentaires

  1. Pas mal l’idée de comparer les proportions de tweets émis avec les résultats des élections. C’est vrai que ça à l’air aussi serré sur la toile que dans les urnes.