« Le dogme européen procède d’une démarche supranationale, c’est-à-dire fondamentalement antinationale ». Relisons cette perle de Marine Le Pen, une bonne occasion d’apprendre avec nos amis du FN la philosophie, l’histoire et la politique, tout en nous amusant joyeusement. Pour Marine Le Pen, c’est entendu, la souveraineté ne peut s’exercer qu’au niveau de l’Etat-Nation. Toute tentative de surpasser ce radian d’identité éclatante participerait donc d’une entreprise mondialiste (on ne sait pas ce que ça veut dire, mais ça fait sérieux), totalitaire, et disons-le, fascistoïde,  de créer un « Homme Nouveau », lequel, sans attaches, orphelins de toutes racines, n’est qu’une chimère, un Frankenstein ectoplasmique, aussi transparent et vide que l’orbite droite de Jean-Marie Le Pen.

Et oui, là est la malheureuse leçon de la professeure Le Pen.

On nous impose, à nous, braves gens bien Français avec une identité AOC contrôlée, de ravaler notre France, boire l’Allemagne jusqu’à la lie, accepter sans rechigner le Portugal, la Grèce, et je ne parle même pas du péril ottoman,  pour nous fondre dans une « superstructure technocratique », une supra-nation imaginaire et sans fondements, éthérée et sans identité propre. Ce monstre, cette abomination, mesdames et messieurs, c’est « l’Europe de Bruxelles », laquelle  n’existe que dans les délires de ces gnomes aux commissions orwelliennes, ces « Monsieur Barroso » et autres « Monsieur Delors ». Un tel processus de lobotomisation des identités nationales, simplement afin de satisfaire les fantasmes de quelques technocrates dégénérés, vendus à la mondialisation libérale.

Allons-bon. Marine Le Pen, vous, moi, Eric Zemmour, les gens sensés, en somme, savons bien que la France, l’Etat-Nation il n’y a que ça de vrai, franchement.

Ainsi donc, c’est terrible, c’est atroce, l’Europe nierait les identités. Une langue, un peuple, un Etat, une politique, franco-centrée. Vous n’êtes pas chez Hegel, peut-être chez Joseph de Maistre, en tous cas, au XIXème siècle. Voilà ce que nous enseigne depuis des mois Marine Le Pen à chaque coin de discours.

(A ce moment précis du raisonnement, il est permis de rigoler un grand coup.)

Personnellement, j’imagine très bien, au détour d’une page opaline, imprimée avec délicatesse, d’une vieille édition de Michelet, Marine Le Pen transportée en plein XIIIème siècle. Oui, rêvons : une jacquerie régionaliste, les étendards de Louis XI, un crachin aimable sur la lande, et la leader frontiste, à la tête d’une petite cohorte de braves gens, déclarant tout de go, devant une foule bas-bretonne: « Le dogme national procède d’une démarche suprarégionale, c’est à dire, fondamentalement antirégionale ».

Et oui, pensons-y, dans l’esprit de « Monsieur Capet » ou de « Monsieur Bonaparte » (Marine Le Pen dit toujours : « Monsieur », à part quand elle va à Vienne, là, on appelle par le prénom), dans l’esprit donc de ces dirigeants étranges, tyranniques, et déracinés, l’identité régionale n’existe pas ; dans leurs folles visées d’horribles supra-régionaux, de francocrates mondialisés, de « gnomes de Paris », la langue bretonne, la culture bretonne, le kouig-amman et toutes nos belles traditions entre Nantes et Saint-Malo, cette identité si ancrée, pluriséculaire, celle de la Bretagne, pourrait donc aisément se fondre dans une « superstructure  technocratique », se mêler avec la culture provençale, s’encrasser des purulences normandes, se dissoudre dans le marais poitevin, se perdre, en s’encanaillant avec ces monstrueux Alsaciens. Ainsi, pour complaire à une petite élite parisienne, fantasmant une identité imaginaire, il faudrait abdiquer, mourir, tout ça pour quoi, on se le demande ? Créer une supra-région, la « France de Paris », qui n’existe que dans la tête de ces technocrates dégénérés ? Laissez-moi rire, ha ha.

Et oui, Marine Le Pen n’a pas très bien lu Jules Michelet. Après quelques siècles de péripéties, on s’est aperçu, qu’en fait, eh bien la France existait. Etonnant non ? Apprendre la naissance des Etats-Nations avec Marine Le Pen, c’est quand même plus rigolo qu’avec Renan.

L’identité n’est jamais que le « surpassement d’identités indépendantes ». Pas besoin d’avoir lu tout Husserl pour comprendre que l’Europe est justement le lieu de naissance de ce formidable processus d’ « entéléchie », c’est-à-dire, par la projection de visées communes, la reconnaissance et la fusion d’identités séquentes, mais semblables. Parce que la Bretagne avait, malgré la myopie des Eric Zemmour sévissant sous Louis IX, quelques traits communs avec le Poitou ou la Narbonnaise, parce que toutes ces régions, à travers la mosaïque de leurs héritages distincts, ne formaient que la grande fresque française, qu’elles avaient des intérêts, des héritages, une culture, des valeurs communes, la souveraineté nationale, surpassant celle de la région, était le niveau naturel d’épanouissement de leurs identités intrinsèques. On peut être breton et Français, Français et Européen, Européen et citoyen du monde. L’identité par cercles concentriques, librement consentie et régulée par le droit de vote, on ne voudrait pas dire, mais ce n’est pas l’invention du siècle.

Chère Marine Le Pen : en histoire des peuples, destinée des états, et même en amour, parfois, c’est quand même mieux à deux. D’abord d’un point de vue pratique : dans le XVIIIème des Bourbons, il valait mieux être Français, que seulement Breton, tout seul, dans son coin, pour défendre Saint-Malo et les crêpes au sarrasin. Au XXIème siècle, face à la Chine, au Qatar et au Brésil, les économies de la France et l’Allemagne sont si interpénétrées réciproquement, de façon presque torride, qu’il vaut mieux s’allier, pour affronter le monde. Avec 80 millions de nouveaux amis germaniques, on est moins seuls, tout à coup. La Lombardie, la Catalogne, la Bavière ou le Québec ont des identités bien établies, mais toutes ces régions ont choisi un mariage de raison, car dans une Terre à 7 milliards d’habitants, le célibat géopolitique, c’est compliqué. Et puis, parfois, en histoire comme en amour, il y a un peu plus que du simple intérêt. On peut être autre chose qu’un François-Marie Banier des frontières. On peut s’apercevoir tout à coup, que ce partenaire, contre lequel on se blottit, a un parcours, des valeurs similaires aux nôtres, qu’on a vécu quand même de belles choses ensemble, et que nos projets peuvent converger. La Bretagne a une belle liaison avec l’Ile de France depuis un bout de temps, et pas seulement dans les boulangeries vendant des Paris-Brest. Barcelone a fini par s’accommoder de Madrid, même si elle s’obstine à parler castillan. Et la France et l’Allemagne, qui ont vécu des tragédies communes ( je ne parle pas de la finale perdue de 1982), se sont aperçues que in fine, leurs destins étaient liés. Qu’elles partageaient ensemble une vision commune, l’Etat social, la démocratie, Kant et Hugo, Husserl et Merleau-Ponty, et puis, bien sûr, Daniel Cohen-Bendit. Plein de raisons, comme on dit, de faire un bout de chemin ensemble. On peut parfois être différents, et s’aimer d’un amour démocratique.

Amusons-nous encore un peu. Un dernier exemple, encore plus microcosmique. Un couple. Au hasard : Marine Le Pen et Louis Aliot (la présidente et le vice-président du FN, qui sont ensemble, ce n’est pas un scoop). A priori, tout les oppose. Leurs identités sont épouvantablement contradictoires. Pensons-y : quoi de commun entre une Bretonne 100% pur beurre de Noirmoutier et un avocat du Sud-Ouest ? Pire : je ne voudrais pas décevoir Marine Le Pen, mais Louis Aliot est un homme. Et elle, une femme. Objectivement, c’est un sacré fossé anatomique. Franchement, pourquoi se mettre en couple ? Eric Zemmour dirait : Je ne connais qu’un stade de souveraineté, l’individu, je ne vois pas pourquoi on irait s’unir à deux, ce n’est que le fantasme d’une petite élite, etc. Et pourtant, ces deux êtres se sont retrouvés autour de valeurs, de projets communs, de franches rigolades avec Gilbert Collard. Ils se sont aperçus, par ce miracle de l’amour, que leurs destins semblables mais différents les enjoignaient de se retrouver, que tout ce temps perdu à vivre séparé, il fallait le rattraper. Dans une mystique presque lévinassienne, l’Autre a permis à chacun de s’affermir, de s’épanouir. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Et depuis, cela se passe bien, du moins on espère. Chacun a gardé son identité, ses racines, mais l’avenir désormais, s’adossant à un passé fait de congruences mystérieuses, se construit à deux. Se décide à deux, démocratiquement. Chez les Le Pen-Aliot, comme dans tous les couples démocratiques, pour trancher les grandes questions pratiques (lequel de nous deux va sur BFM TV ? dans quel hôtel descend-t-on à Vienne ? qui se coltine Gilbert Collard à déjeuner ?), on discute, on s’accorde, on fait des compromis car les amours souverainistes finissent mal, en général.

Et il ne viendrait pas à l’esprit de Marine Le Pen de déclarer : « Le dogme marital procède d’une démarche supra-individuelle, c’est à dire, fondamentalement anti-individuelle ».

A chaque fois, cette fusion vers un degré plus haut de confédération couple, tribu, ville, régions, pays, continent, doit être acceptée, votée, entérinée. Les mariages dissymétriques ne sont plus de saison. Evidemment, au-delà des badineries, Marine Le Pen a beau jeu de critiquer l’absence de démocratie d’une Europe construite contre les peuples (ce qui est bien  faux, puisque chaque abandon de souveraineté a été décidé par des gouvernements nationaux légitimes et élus, mais passons). On nous forcerait aux épousailles. Mais Marine Le Pen, une fois le constat posé, ne cherche pas de solutions, pourtant nombreuses : renforcer le rôle du Parlement Européen, élire des listes transnationales, voter pour un Président de l’UE, obtenir la responsabilité parlementaire de la Commission… Non, Marine Le Pen se sert de cet argument avec une parfaite mauvaise foi pour vouloir divorcer, totalement. Je ne suis pas conseiller conjugal, mais il me semble que dans les cas où on se dispute à coups de vaisselle sur sa Banque Centrale commune, il vaut mieux en parler, plutôt que dormir sur le canapé et rentrer chez sa mère.

La seule bonne question que personne ne se pose vraiment dans cette histoire, reste celle de la construction d’une démocratie à plusieurs langues. Comment se parler entre Espagnols et Anglais, Grecs et Polonais ? Comment construire ce champ démocratique européen, cette agora où va se construire notre destin ? Historiquement, il est vrai, avoir une langue commune semble un préalable pour discuter, faire des compromis, se dire des mots tendres, débattre. Cependant, les cas de la Belgique, du Canada, de l’Espagne, apparaissent comme de formidables contre-exemples. Sans compter tous ces couples en Tour de Babel, tous ces cœurs, ventriculant des langages opposés, français, arabes, malinké ou anglais, et qui, n’en déplaise à Marine Le Pen, se retrouvent chaque jour à la surface du globe, et dans notre pays, en se comprenant malgré le fossé linguistique.  Et puis, faisons-nous confiance. Entreprenons des efforts. Notre jeunesse, emplie d’Erasmus, baragouine désormais un anglais universel, en attendant, qu’un jour, partout en Europe, nous puissions débattre avec un ouvrier allemand, un patron italien ou un artiste espagnol, parce que nous aurions appris depuis l’enfance leurs paroles chamarrées. Il faudrait, un jour, imposer l’allemand en première langue aux jeunes générations de ce pays, parallèlement à la réciproque de l’autre côté du Rhin.

Ayons espoir : même chez les Le Pen, d’après ce qu’on a compris, depuis tout petit, on pratique couramment, par une immersion culturelle et de ludiques voyages linguistiques, l’allemand, et même l’autrichien.

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Un commentaire

  1. Je ne suis pas d’accord avec la thèse présentée, mais c’est excellemment écrit. Sa lecture fut un vrai plaisir.