Bonjour Yann…
Bonjour Bertil…
Les fêtes se sont-elles bien passées ?
Oui, puisque je ne les ai pas fêtées.
Tu ne votes pas, tu ne fêtes pas Noël… Mon Dieu, quel rebelle !
N’est-ce pas ? J’ai essentiellement nagé, lu et écrit. Je travaille actuellement sur Naissance, mon prochain livre. J’en suis à un peu plus de la moitié. J’y aborde la question, comme le titre l’indique, de la venue au monde. Que signifie « venir au monde » ? C’est une expression étrange, puisqu’elle part du principe que le nouveau-né arrive dans quelque chose qui était là avant lui. Or, c’est évidemment plus compliqué que cela : en venant au monde, je participe à ce monde, je l’invente. Une nouvelle façon de l’appréhender, une manière inédite de le concevoir, de le subir, de le vivre fait irruption, se déploie – par conséquent, chaque venue au monde change le monde. Et le fait d’y arriver, d’en être un des nouveaux arrivants fait que nous ne faisons pas simplement que nous surajouter à un décor préexistant, puisqu’en quelque sorte ce décor est modifié par nous. Non modifié techniquement, empiriquement, « réellement », au sens où le monde connaîtrait à ma naissance des dysfonctionnements brutaux, des changements lisibles, des révolutions notables ou de palpables avatars. Mais le monde est modifié, comme je le disais, parce qu’avec moi, avec ce nouvel être impensable et impensé qui était moi et qui désormais est bel et bien là, va se développer un rapport au monde qui n’avait jamais existé depuis que le monde existe. Venir au monde, c’est donc aussi faire venir le monde à soi. Le monde, sans égocentrisme, n’existe qu’avec nous, au moment où nous y naissons et y vivons. Il n’a aucune réalité ni avant ni après. Du moins, la réalité qui le qualifie n’est-elle pas différente des contes, de la littérature, ou des légendes. C’est un monde livré à l’histoire. Et l’histoire est fixée sur des dates qui concernent ma culture, qui conditionnent mes habitudes, sans doute, mais d’où je puis toujours m’extirper si je le désire. Mais si par exemple, si je me convertis à l’islam, ou au judaïsme, j’utilise alors ma liberté pour contrecarrer les influences de ces événements dont j’étais le produit prévu, le résultat inéluctable. Tant que je suis libre, tant que je me donne les moyens de pouvoir penser, pour le meilleur et pour le pire, de manière tout à fait personnelle, le passé du monde n’est pour moi qu’une hypothèse de travail, un marqueur historique, quelque chose de totalement arbitraire auquel il est, non pas aisé, mais possible de se soustraire. L’histoire est facteur de conditionnement social, certes : toutefois, ce que je garde, ce que je mixe à partir de mes expériences, des livres lus, des films vus, des amours vécus, est là pour m’offrir sans arrêt une sortie d’autoroute qui court-circuite le parcours tracé d’avance et nie l’histoire de toutes ses forces comme aimant, comme référent, comme référentiel, comme point de départ, comme absolu.
Tu as envie de changer de vie ?
J’en change assez souvent, seulement cela ne se voit pas toujours de l’extérieur. C’est mon expérience intérieure, comme dirait Bataille, qui me modifie. Je ne crois aux modifications que si ces modifications sont profondes, qu’elles bouleversent l’être dans son entier. Les plus grands voyages ne sont pas liés, je crois, ni à la consommation de kilomètres, ni à la consommation de substances. Les grands mystiques voyagent en restant sur place – car la vraie révolution, au sens où les astres décrivent une ellipse autour d’astres plus gros qu’eux, c’est moins de parcourir le monde dans tous les sens – ce qui reste fabuleux, je ne le nie pas -, que de trouver sa place. Rester sur place, non. Rester à sa place, oui. Mais la trouver demande parfois une vie. Trouver sa place et y rester : c’est là la plus puissante des choses, la plus révolutionnaire, la plus subversive, la plus passionnante. Cela exige de l’acuité, beaucoup de patience et de courage, et surtout de l’humilité.
Prenons Edith Stein, par exemple, à laquelle tu as consacré en 2008 un de tes meilleurs livres, dirais-tu qu’elle a fini par trouver sa place ? Car, née juive, elle s’est convertie au christianisme après des années d’athéisme, pour finalement décider de mourir avec son peuple, à Auschwitz…
Edith Stein, évidemment, s’est cherchée. D’abord, elle a fui ce judaïsme, effectivement, qui lui échappait. Elle, subtile parmi les subtiles, et même au-delà puisqu’elle fut sans conteste une des plus grandes et des plus belles intelligences du 20ème siècle, ne comprenait pas ce qu’elle appelait les « subtilités talmudiques ». Ce qui est intéressant, c’est qu’elle était intellectuellement parfaitement bâtie pour maîtriser à la fois la science et la gymnastique talmudique. En effet, les livres qu’elle a écrits, d’une difficulté théorique et d’une profondeur philosophique extrêmes – elle fut la plus brillante des étudiantes de Husserl, qui l’adouba et la prit sous son aile – le prouvent. Mais non. Il ne lui semblait pas que ce qu’il est convenu, pour aller vite, d’intituler « Dieu » pût dépendre de connaissances aussi pointues, de bagages aussi élaborés, de raisonnements aussi sophistiqués que ceux que l’on rencontre dans le Talmud ou dans le Midrash. Elle, l’intellectuele absolue, l’intelligence incarnée, ne pouvait croire qu’en un Dieu détaché de ce matériel, de ce langage, de cette mathématique singulière. La religion juive associe la proximité de Dieu à la philosophie, à la pensée, à l’étude. Tout se passe donc si elle avait voulu clairement distinguer les deux. A droite, la pensée. A gauche, la grâce. A droite, la complexité. A gauche, la simplicité. A droite, les livres. A gauche, les promenades. A droite, les notes. A gauche, les prières.
C’est aussi dichotomique que cela ?
Non, bien sûr. Comme pas mal de grands chrétiens, Edith a eu la révélation de la grâce en une nuit. Mais, et c’est important, à la différence de Claudel par exemple, ou de saint Paul, ce foudroiement n’a pas été strictement charnel, épidermique, sensuel : le Mystère lui a été révélé par la lecture, c’est-à-dire d’une façon intellectuelle. Par le travail de la pensée. Et c’est ce que je trouve fascinant dans son cas : elle eut accès à la Croix par une sorte d’équivalent chrétien de l’étude juive. Mais évidemment, ceci est à nuancer dans la mesure où, à cette époque elle avait quarante ans et que le judaïsme était quelque chose de lointain déjà pour elle. Elle était alors une philosophe athée. Bien que je récuse le terme « athée » en ce qui la concerne. Lorsqu’on cherche sa place, et rien que sa place, on ne peut être athée. L’athéisme consiste à s’imaginer que notre place est partout. Que c’est partout notre place. L’athée pense non seulement que sa place lui est dûe, mais qu’elle se trouve là où bon lui semble. A peine installé, il s’agit d’ailleurs pour lui d’en changer. L’athée veut prendre la place : ce qui signifie prendre la place de l’autre, et occuper l’espace. Il veut prendre de la place. Ceci est parfaitement normal, puisque l’athée considère qu’il est lui-même son propre dieu. Son propre dieu unique ! L’athée est un monothéiste de lui-même. Il s’octroie le droit de penser qu’il peut donc occuper toutes les places, n’importe quelle place, et mieux que personne, à tout moment. Il est omniplace. Il est multiplace. Il est pluriplace. Sa place, c’est toutes les places à la fois. L’athée n’a foi qu’en lui. Il n’obéit qu’à lui-même, à partir de la pure fiction, autocélébratrice, de son pouvoir divin.
Très beau
Je ne suis pas totalement de votre avis sur le sujet que vous partagée des Athées qui non pas une vrai place
plutôt un peu partout comme vous le précisez !! je suis athée et je ne veux pas prendre une place on sein d’une religion . Je ne voix pas l’intèret ni l’utiliter depuis la nuit des temps l’hommes c’est battu pour une foie et tuer ces semblabes tous sa pour une religion ou des religions!!!Je dis »assez » de juger et vouloir croire qu’il faut abslument avoir un » Livre » de la foie.. » JE PREFERE CROIRE LIBREMENT QUE D’OBEIR SIMPLEMENT »
On a tous un cheminement de la vie. Mais là a dire qu’on veux prendre la place partout ces un peux tirrer par les cheveux.. Et d’ailleurs il y a pas de place a prendre partout, ces déjà assez difficile de garder le sien!!!
et au fait, sur les athées, on croirait entendre l’abbé Laguérie. Vous devriez lire son blog, vous adoreriez.
Tiens, au départ j’ai mal lu, j’ai cru (sérieusement) que votre nouveau bouquin s’appelait « Narcisse »…
courage pour la suite de cette naissance au monde qui n’en est qu’à quatre mois et demi. Je retiens la formule « l’athée est monothéiste de lui-même ». Bonne chance et bon voeux pour 2012. Damien