Je ne vais pas verser une larme sur le sort tragique de Kadhafi, mais je m’inquiète quand même de ces écoeurantes images de chambre froide avec exposition du cadavre, avidement photographié par des voyeurs à portable. J’aimerais bien qu’on me parle des contrats en cours, d’argent, quoi, comme d’habitude. J’applaudis aux 90% de votants tunisiens, et je ne demande pas mieux que de croire à une évolution démocratique d’un islam modéré, genre turc. Il n’en reste pas moins que le grand vainqueur de la séquence guerrière en Libye est Bernard-Henri Lévy, comme le prouve son passionnant dernier livre, La Guerre sans l’aimer. Lévy est un virtuose de la communication mais il a inventé une guérilla personnelle nouvelle. Qu’il soit dans un hôtel de luxe à Paris ou à New York, ou bien dans le désert ou à Benghazi, il voit tout, entend tout, se glisse partout, et téléphone par satellite. Le récit de ses entretiens téléphoniques avec Sarkozy pour le convaincre d’arrêter militairement un massacre inéluctable en recevant les responsables de la rébellion est ahurissant. La ligne grésille, Sarkozy est d’accord, BHL va le voir à Paris, ils se tutoient comme au bon vieux temps, portraits précis et drôles, dialogues réussis, l’Histoire est un roman en train de s’écrire. Au passage, notre aventurier, qu’on devrait appeler maintenant Lévy d’Arabie (en référence à Lawrence, le super-as de la guérilla), livre des secrets personnels, notamment sur son père. Si on lui demande pourquoi, après tout, il mène cette vie épuisante (voyages incessants, téléphonages à toute heure), la réponse est là.
Malraux a perdu la guerre d’Espagne, il gagne, lui, la guerre de Libye. Ca n’a pas de prix.
(Extrait de l’article par dans le Journal du dimanche du 30 octobre 2011)