Tripoli est quasiment tombée entre les mains des insurgés, Kadhafi reste pour l’instant introuvable… Quelles sont les dernières informations en votre possession en provenance de la Libye ?

La nouvelle principale est que Tripoli est libérée. Cela s’est fait beaucoup plus facilement que ne nous l’annonçaient les Norpois et les Cassandres ; les tétanisés du despotisme, les fascinés de la méduse qui vivent dans l’idée que les despotes sont impossibles à renverser, qui nourrissent le fantasme de leur éternité. Eh bien, finalement non, Tripoli s’est effondrée comme un château de cartes !

Comment avez-vous suivi l’évolution de la situation ces derniers jours ?

J’ai passé ces trois dernières semaines en contacts fréquents avec Benghazi. J’étais ici, mais mon cœur battait à l’unisson du cœur de mes amis libyens. J’avais quelque idée, aussi, sur le calendrier du soulèvement. Je peux même vous raconter une histoire amusante car je pense qu’il y a prescription. C’était le soir de l’anniversaire de Jean Nouvel [le célèbre architecte est né le 12 août, N.D.L.R.]. Il était 22 h 30, pendant le dîner, j’ai reçu un appel sur mon portable : c’était l’un des responsables militaires de Benghazi qui souhaitait passer un message à une éminente personnalité française. Et ce message c’était, en gros, la confirmation de la date du soulèvement…

S’il sont capturés, que faire maintenant de Mouammar Kadhafi et de sa famille ?

C’est aux Libyens d’en décider. J’ai toutefois une préférence, les voir comparaître devant le TPI [Tribunal pénal international, N.D.L.R.]. Et je peux vous dire que le débat est en cours au sein des instances dirigeantes de transition à Benghazi. Je ne sais pas comment il sera tranché. Mais je ne suis pas inquiet car les dirigeants du Conseil national de transition [CNT, N.D.L.R.] font preuve d’une grande maturité politique. On n’est pas dans un schéma de justice expéditive, de volonté de vengeance, on est vraiment dans la pose des premières pierres d’un État de droit.

Peut-on croire à une transition démocratique en Libye mieux réussie qu’en Egypte ?

Ce sera très différent de l’Egypte. D’abord, et contrairement à ce que nous ont raconté les désinformateurs professionnels, s’il y a eu dans le passé des tentations islamistes radicales en Libye, elles sont beaucoup moins importantes qu’elles ne l’ont été et moins importantes en tout cas qu’en Egypte. La deuxième chose, c’est qu’une liberté aussi chèrement conquise, ça donne le temps de la maturation. C’est une libération qui a été coûteuse et comme on sait qu’on l’a payée cher on ne veut pas la brader, la corrompre, la laisser se déliter sous les coups de boutoirs de l’obscurantisme ou de l’incurie.

 

Cette libération de la Libye est-elle une victoire de Nicolas Sarkozy et de Bernard-Henri Lévy ?

C’est, d’abord et avant tout, une victoire des Libyens. Après, bien sûr, c’est une victoire de la France qui a été en pointe dans la coalition. Et une victoire personnelle pour le président Sarkozy que j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’observer ces six mois et qui m’a surpris dans sa ténacité, sa façon d’avancer sans écouter les sirènes du renoncement, sa détermination. Même quand, comme moi, on n’est pas sarkozyste, ça force le respect. Cela me fait mal d’avoir à le dire, mais c’est la vérité, Sarkozy a fait en Libye ce que Mitterrand n’a, hélas ! pas fait en Bosnie.

 

L’avez-vous eu au téléphone ces derniers jours ? Va-t-il se rendre en Libye prochainement ?

Oui, je l’ai eu encore ce matin [hier matin, N.D.L.R.]. Nous n’avons pas parlé de cela. Mais j’imagine, oui, qu’il se rendra en Libye.

L’accompagnerez-vous ?

S’il me le demande, naturellement.

Vos détracteurs vous présentaient comme l’âme du complot anti-libyen. En retirez-vous de la fierté ?

Je ne parlerai pas de fierté. Mais je suis heureux, oui, d’avoir contribué à convaincre le président de mon pays qu’il était possible de faire tomber un dictateur. Et je suis heureux d’avoir eu, chemin faisant, au fil de mes voyages, une ou deux intuitions qui se sont révélées bonnes. Cette guerre, si l’on y pense, c’est exactement le contraire de la guerre d’Irak.

Que pensez-vous de la médiation de dernière minute de Dominique de Villepin ?

Il a fait ce qu’il a pu. C’était un geste d’homme de bonne volonté. Mais totalement déphasé par rapport à la réalité de la situation. On était à quelques jours de l’assaut des rebelles sur le bunker. Et essayer, à ce moment-là, de sauver Kadhafi n’avait évidemment plus aucun sens. L’histoire oubliera ce faux pas…

La Syrie, votre prochain combat ?

On ne peut pas tout faire… Même si c’était mon plus cher désir, je ne peux certainement pas espérer répéter à Damas ce que j’ai fait à Benghazi ou Misrata. En revanche, ce qui est en train de se passer en Libye aura un effet mécanique en Syrie, j’en suis convaincu.

Interview de Bernard-Henri Lévy à Nice-Matin le mercredi 24 août