Rum, Rumpi et Lê. Habillez les tambours ! Habillez les tambours. Face au vent ou porté par la tempête, habillez les tambours. Levez le pas. Levez le pas. Nous avançons tous sur le chemin de l’existence, cherchant chacun l’essentiel : le bonheur ; le bonheur, n’est-ce pas ? Mais où se trouve caché, niché ce trésor ? Où ? Dans le nombre des années ? Dans l’intensité de l’instant ? Habillez les tambours ! Saluez les tambours. Levez le pas ! Tournez ! Tournez ! Et Jimi Hendrix qui tourne ! Jimi Hendrix tourne : impossible de fermer l’œil. Jimi Hendrix tourne, tourne dans sa chambre : sa tête est assaillie, submergée par un flot, un tourbillon, un torrent de couleurs et d’images. Hendrix plane ; il plane, plane, refaisant, d’un bout à l’autre, le chemin de sa vie. Rum, Rumpi et Lê. Habillez les tambours ! Habillez les tambours ! Agoge, agogo ! Saluez les tambours !
La nuit où je suis né/ Seigneur, je jure que la lune a viré au rouge-feu/ Ma pauvre mère a crié : « Dieu, le gitan disait vrai ! »/ Et je l’ai vue tomber raide morte. / Alors les lions des montagnes m’ont trouvé là/Et ils m’ont posé sur l’aile d’un aigle/ Il m’a fait passer la frontière de l’infini/ En me ramenant, il m’a donné l’anneau magique de Venus. Vaudou ! Je suis un enfant vaudou.
Awessa ! Awessa ! Rum, Rumpi et Lê : Awessa, Awessa, appel des tambours, appels de la mémoire ! Seattle, revoici Seattle : c’est ici d’où je viens. J’ai passé toute mon enfance dans ce lieu; passé mon enfance sur cette terre à compter heure les étoiles dans les yeux de l’absence de ma mère ; passé mon enfance à dessiner sur le sable des routes sans retour, les routes de l’errance. S’évader, fouler le ciel d’autres terres, embrasser le firmament d’autres planètes, d’autres univers ; renaître ailleurs, loin de ce monde et de ses mises à part, loin de ce monde et des ses misères, de ses misères et de ses rats, ses rats de la misère qui courent, qui courent d’une pièce à l’autre, qui courent jour et nuit, mâchonnant, mâchonnant les restes de nos riens.
Seattle, l’enfance et l’haleine de la pauvreté : Mère et les affres de la picole ; Mère, saccagée par les tracas de la vie ; Mère errante dans la picole. La picole fut sa loi, good lord ; la volonté de la picole fut sa loi ! La picole et son rire terrifiant : « Hey, toi-là ! Oui, toi ! Ici ! Oui, ici ! Oui, toi ! Ici ! Quoi que tu fasses, tu ne m’échapperas pas ! Quoi que tu fasses ! Je suis le gibet et la corde ! » La picole ; ah ! la picole ! Elle te tire par les basques au détour d’un quart de bière et te voilà ramassé, à terre ! Te voilà à terre ! Tes yeux ne sont plus tes yeux ; ton nez n’est plus ton nez ; ta bouche n’est plus ta bouche ; ton front n’est plus ton front ; tu regardes dans un miroir et tu ne te reconnais plus !. Some day, gonna ride in my chariot… Un jour je roulerai dans mon char…
Ah ! La picole, tu la vomis jusqu’au dégout ; tu hurles ; tu vocifères ; tu cries : « Lâche-moi, lâche ma vie ! J’en ai marre, marre de toi ! Je te déteste ; je te hais ! lâche-moi ! » Peine perdue ! Elle ne te lâche pas ; elle ne te lâchera pas ; elle s’accroche ; elle te colle comme une sangsue. Et de bar en bar, elle te shoote sans pitié sur la gueule ; elle te plonge dans les tourbillons de l’absence. L’enfer, elle te fait vivre l’enfer ! Et la tête en morceaux, la gueule fracassée, l’œil éclaté, tu supplies, tu la supplies à genoux: « Aie pitié ! Aie pitié de moi; lâche-moi : ce sont mes derniers centimes.» Peine perdue ! Elle te regarde de haut et ricane ; elle éclate de rire ; et la voix sèche, elle ordonne, elle t’ordonne de donner, de vider tes poches: « Tes derniers cents ? Voyons, tu en auras d’autres. Donne, donne-les-moi. Vide, vide tes poches !» Et comme un soldat obéissant, tu te mets au garde-à-vous et tu t’exécutes : en marmonnant, certes ; en jurant sans doute « c’est la dernière fois ; c’est la dernière fois » mais tu t’exécutes. « Prends le verre ! » Et tu te saisis du verre. « Remplis le verre ! » Et tu remplis le verre. Avale ! Et tu avales ; tu avales : scotch, brandy, porto, rhum, tu avales. Cognac, crues de cognac; la main et les jambes tremblantes, tu avales. Un coup, encore un coup, un autre coup, un dernier, un tout dernier. Et chaque jour, goutte après goutte, litre après litre, tu bois un peu plus ta vie ; et chaque jour ta vie part ainsi ; elle s’en va, elle s’en va en épaves, elle s’en va comme une épave qui dérive, good lord ; elle s’en va sans retours. Some day, gonna ride in my chariot… Un jour je roulerai dans mon char…
Les mots peuvent-ils sauver de l’enfer ? J’aurais voulu trouver les mots qu’il faut pour arracher Mère des charbons ardents de la picole ; les mots pour la retenir, pour l’empêcher de sombrer dans le néant, dans l’abîme. Et chaque dimanche au temple, j’implorais, j’implorais, dans ma silencieuse prière ; j’implorais le Tout-Puissant : « Fasse Seigneur, fasse Seigneur que ma mère… Fasse que… Amen ! Amen ! » J’aurais voulu trouver les mots, les mots qu’il faut pour la retenir. Some day, gonna ride in my chariot… Un jour je roulerai dans mon char… Ah ! La picole ! La picole quand elle te tient ; cette saleté de picole quand elle s’empare de toi, elle se répand doucement comme le pire des venins dans tes veines ; et ton sang empoisonné tangue ; good lord, ton sang se fige et c’est fini, good lord, c’est fini! Some day, gonna ride in my chariot… Un jour je roulerai dans mon char…
Rum, Rumpi et Lê. Habillez les tambours ! Saluez les tambours ! Battez l’adarrum ! Agoge, agogo ! Tournez ! Tournez ! Jimi Hendrix tourne, tourne: qu’importe le flanc, il n’arrive pas à dormir. Rum, Rumpi et Lê, awessa, awessa : appel des tambours dans la nuit, fièvre dans la nuit ! Tournez ! Tournez ! Hendrix tourne, tourne, vole, plane, plane comme s’il était en état où rien ne pèse. Dans sa tête des souvenirs… Des souvenirs de fragments de vie: l’ukulélé et la première guitare bric-à-brac, cadeaux de Dady Al Hendrix. Et les conseils de Dady Al : « Joue, fils ; vas-y joue ! Joue, joue comme personne n’a jamais joué ! Joue et vise haut ! Toujours plus haut ! Mais ne confond jamais talent et art. L’art se travaille. Répéter ! il faut répéter ! Répéter ! Il faut travailler son talent ! Répéter, répéter, répéter. De l’obstination, fils, de l’obstination ! Joue fils, joue des cordes comme Armstrong embouchant sa trompette, le souffle vaste et le plexus solaire amplement ouvert sur l’infini. Souviens-toi : Armstrong fut aussi un sans-le-sou ; on le voulait cueilleur de coton à vie, cireur de pompes pour l’éternité, mais regarde là où il est aujourd’hui, fils ! Regarde là où il est: le monde entier est à ses pieds ! La terre entière résonne de son nom ! Joue, joue, fils ; joue comme Armstrong ; joue les sonorités célestes, joue les sonorités terreuses ; joue, joue et n’oublie pas, n’oublie jamais : on vient sur terre pour grandir ; n’oublie jamais que toute vie est croissance ! Tout est possible ! Tout est possible à qui sait rêver !
Rêver ! Oui, Rêver ! Que seraient nos vies sans nos rêves ? Que serait le monde sans nos passions, sans nos aspirations ? Rêvé. J’ai longtemps rêvé dans mon Seattle natal d’un hurlement ravageur de guitares déchaînées accompagné d’un roulement sauvage de batterie ! J’ai longtemps rêvé d’une session, d’une jam session autour de minuit, avec un orchestre à moi ! Un orchestre à tout-casser ! Un orchestre au nom retentissant jusqu’aux cœurs des jungles en béton !
Rocking Kings ! Rocking Kings, tel fut le nom de mon premier groupe ! Oui, Rocking Kings ; Rocking Kings comme transe, transport, comme exorcisme, comme envoûtement. Oui, envoûtement ! Car qui-suis-je, moi, sur cette planète ? Qui suis-je sinon un enfant vaudou ; un enfant vaudou à la peau multiple, à la peau jetée sur les routes de l’exode, les routes de la dispersion. Oui, regardez-moi, c’est une évidence : Honneur ! Je suis Makumba ! Honneur ! Je suis Yoruba ! Honneur ! Je suis Ewe , Fang, Congo, John Bown, Cherokee. Oui, Cherokee ! Honneur ! Je suis Cherokee aussi ! Cherokee comme le sang massacré. Honneur ! Habillez les tambours ! Saluez les tambours ! Battez les tambours. Je suis un enfant Vaudou jaune d’or ; un enfant vaudou bleu noir, blanc rouge, vert sève, vert sève de la vie. Oui, j’embrasse toutes les couleurs de mon exil et de ma mémoire ; et je les brandis haut, bien haut comme un étendard affirmant sur mon front la fraternité et la liberté. Honneur ! Je suis un enfant vaudou qui vit à la croisée des chemins. Je dis vaudou comme on dit les noms de la lignée de ses ancêtres. Rum, Rumpi et Lê. Habillez les tambours ! Habillez les tambours !
Les Rocking Kings ! Les Rocking Kings ! C’était après les ravages du boogie-woogie, l’époque des grondements de Chuck Berry ; Chuck Berry et ses crazy legs battant, battant la mesure à contretemps et faisant hurler, gémir, crier les filles ; Chuck Berry jouant de la guitare comme on sonne une cloche. C’était le temps de la fureur de vivre ! La fureur de vivre était dans l’air : Go, go, go Johnny go ! Go Johnny go ! Go Johnny go ! Dans les profondeurs de la Louisiane, près de la Nouvelle-Orléans/ En descendant les bois, parmi les arbres/ se dresse une cabane taillée dans un tronc, faite de bois et de terre/ Où vit un garçon campagnard nommé Johnny B Goode/ Qui n’a jamais apprit à vraiment bien écrire ou lire/ Mais qui peut jouer de la guitare comme on sonne une cloche/ Vas-y ! Vas-y ! Vas-y Johnny, va ! Vas –y ! Vas-y Johnny, va ! Vas-y !/ Vas-y Johnny, va ! Vas-y !/ Vas-y Johnny, va ! Vas-y ! Johnny B. Goode. / Il portait sa guitare dans un sac en forme d’étui à fusil/ Pour aller s’asseoir sous l’arbre à côté de la voie de chemin de fer/ Les vieux mécaniciens pouvaient le voir s’asseoir à l’ombre/ Grattant sa guitare avec le rythme que les conducteurs faisaient/ Quand les gens passant à ses côtés, ils s’arrêtaient et disaient. Oh mon C…, ce petit campagnard sait jouer/ Sa mère lui a dit : « un jour tu seras un homme/ Tu seras le leader d’un grand vieux groupe/ Beaucoup de gens, venant de très loin/ T’entendront jouer ta musique au coucher du soleil/ Peut-être qu’un jour ton nom serra en lettres luminescentes/ Disant Johnny B. Goode ce soir.
Les Rocking Kings et l’apprentissage du métier, puis… Puis ? Ensuite ? Ensuite il y’eut le pied à l’étrier chez Sam Cooke et Little Richard. Sam Cooke – oh ! glory alleluia ! – Sam Cooke, le roi de la soul. La soul, man. La vraie. Celle qui parle de la terre promise, de la traversée du Fleuve Jourdain, de la chute du mur de Jéricho. La soul, la vraie, man ! Prenez le vaisseau de la soul, man : il n’y a pas d’autre musique que celle-là ! Pas d’autre musique que celle-là! Pas d’autre musique avec autant de ferveur brulante. Il n’y a pas d’autre musique que celle-là ! Soul power, l’âme doit régner, pouvoir à la soul. Je suis né au bord de la rivière/ dans une petite tente/ Et comme la rivière/ je n’ai jamais cessé de courir depuis/ Ca fait un long, long moment que j’attends/ Mais je sais, le changement va arriver.
Le pied à l’étrier chez Sam Cooke, le décollage chez Sam Cooke, puis la verticale absolue chez Little Richard : Wop bop a loo bop a lop bam boom ! L’explosion. L’explosion : la scène, les projecteurs, la respiration du public, les mots et le son à faire passer en plein cœur. En plein cœur. Boum ! Boum ! Boum ! Tutti Frutti, oh rutti/ Tutti Frutti, oh rutti/ Tutti Frutti, oh rutti/ Tutti Frutti, oh rutti/ Tutti Frutti, oh rutti/ Wop bop a loo bop a lop bam boom ! Faire chavirer l’Est, faire chavirer l’Ouest ! Jouer avec ses tripes et son âme, faire sortir de sa guitare le growl des trombones, le walking bass des contrebasses, repousser les limites, jouer ce que nulle oreille n’a jamais entendue, jouer des sonorités venant de nulle part. Boum ! Boum ! Boum ! Faire chavirer l’Est, faire chavirer l’Ouest ! Improviser. Dire quelque chose de l’incertitude de la vie, dire quelque chose du mystère de la vie, dire quelque chose de ce mystère qui nous mène vers l’ailleurs, vers d’autres horizons. Boum ! Boum ! Boum ! Faire chavirer l’Est, faire chavirer l’Ouest ! Woo ! Woo ! Et le public ! Le public qui vibre, et le public qui crie, le public qui hurle : « Le guitariste ! My man, le solo du guitariste ! Le guitariste ! Good lord, ce gamin est un tueur; un tueur ! Un vrai de vrai ! Quel est son nom ? Jimi ? Jimi comment ? Jimi Hendrix. »
Rum, Rumpi et Lê. La procession des tambours. Hey toi-là, doucement ! La voix sèche de Little Richard ! Ondes négatives ! La voix sèche et sans appel de Little Richard, les cheveux dressés, la jalousie déchaînée : Hey, mon petit gars, comment oses-tu me dévisager ainsi ? Te … Oui, pourquoi tu me regardes avec cet air là ! Hein ? Tu me détestes ? Mais… Vas-y dis-le ! Qu’est-ce que tu cherches ? Tu veux ma mort ? Mais … Pourquoi tu joue alors ainsi ? Mais c’est pour toi, c’est pour t’aider… Pour m’aider ? Est-ce que je t’ai demandé, moi King Richard ; est-ce que je t’ai demandé de m’aider ? Pourquoi est-ce que, à ton avis, je t’ai fait venir ici ? Et les hot dogs, et mon whisky ? Oui , les litres de mon whisky ? Mon gin ? Mon rhum ? Pourquoi King Richard t’a-t-il donné ta chance ? Pour que tu lui fasses de l’ombre ? Pour que tu me fasses de l’ombre ? Hein, qu’est-ce que tu veux, mec ? Hein ? Qu’est-ce-que tu cherches? Etre Staaar ! Tu veux être staaar ? Rayonner ? Briller ? Etre Staar aussi ? Star comme moi ; moi, King Richard ? Et bien je vais te dire une chose, young boy : ici il n’y a qu’une seule Staar ! Une seule étoile! Et c’est Moi ! Moi ! Moi ! A l’heure du show, l’étoile des étoiles ici, c’est moi ! » Ondes négatives ! Bondissements énervés de Little Richard. La voix sèche de Little Richard : « Ici il n y a qu’un seul roi ici, et c’est moi ! Moi ! Moi ! Moi ! » Ondes négatives ! Et le blues, le blues qui pleure la nuit, le blues qui pleure le jour : « Je suis dans la panade depuis longtemps que je ne m’en soucie plus. When it thunders and lightining, and the wind begin to blow/There’s thousands of people, ain’t go no place to go/ Quand il fait du tonnerre et des éclairs et que le vent se met à souffler/ Il y a des milliers de gens qui n’ont pas d’endroit où aller. »
Rum, Rumpi et Lê : la procession des tambours. Agoge, agogo ! Saluez les tambours ! Battez l’adarrum ! Tournez ! Tournez ! Voyance dans la nuit ! Les tambours parlent la nuit et quand les tambours parlent la nuit, les ombres paradent : « Non, ne grince pas, Jimi ; ne te lamente pas ; laisse les lamentations à W C Handy, Jimi. Oui, ne te lamente pas : il faut rire, Jimi ; oui, rire, hé, hé, hé ! Rire pour ne pas pleurer ? Non rire, rire à gorges déployées car la douleur porteuse d’agonie sera muselée ; enfermée dans l’épaisseur des jours qui ne sont pas encore advenus. Il faut rire, Jimi ; oui, rire, hé, hé, hé ! Rire ! J’ai été voir le Babalawo, Jimi ; ogun obatalé, exu, legba étaient assemblées, et le Babalawo a jeté ses cauris sur le sable et le Babalawo a ri et j’ai ri aussi ; j’ai ri, Jimi. J’ai ri quand le Babalawo a ri ; j’ai ri quand le Babalawo a dit la palabre des cauris. Les cauris ont dit… » Qu’ont-ils donc dit de si réjouissant ces cauris ? « Que tu es né pour vaincre la gravité, Jimi; que tu es né pour explorer l’espace ; et que rien, rien ni personne ne doit et ne pourra jamais t’arrêter dans ta quête spatiale. J’ai été voir le Babalawo, Jimi ; le Babalawo a jeté ses cauris sur le sable et j’ai ri Jimi ; j’ai ri. J’ai ri quand les cauris ont dit, quand ils ont dit : celui-là est né le front tatoué de nova ; celui-là est né pour franchir tous les fleuves du temps et de l’espace. Celui-là fera danser jusqu’aux veines de Saturne et de Mars. Il n’ya pas de mots pour décrire l’immensité de l’avenir qui l’attend !
Alors, Jimi, plie bagages, prends ta guitare et saute dans le premier train pour New York. Il y a un rendez-vous inscrit sur ton agenda ; un rendez-vous sur l’agenda de ta vie. Les promesses de la lumière sont ailleurs, Jimi ; ailleurs ! Du côté de New York ! Met le cap sur New York ! Oui, New York, New York City. Si tu veux devenir l’astre dominant, l’astre attracteur, alors file vers New York ! Cours vers New York ; vole vers New York ; New York, the Big Apple ; New York, le zénith de la lumière ! Que ton art triomphe là-bas ! L’esprit du triomphe Jimi, l’esprit du triomphe ! N’oublie pas : avec le pouvoir de l’âme tout est possible ! »
I’ve been dogged and mistreated till I done made up my mind/ Gotta leave this old country, and my trouble behind/ J’ai été traqué, j’ai été maltraité jusqu’au jour où je me suis decide/ Je vais quitter ce vieux pays et derrière moi tous mes ennuis
Rum, Rumpi et Lê. La procession des tambours. Habillez les tambours ! Agoge, agogo ! Saluez les tambours ! Battez l’adarrum ! Tournez ! Tournez ! New York, New York , la lumière déployée, black, brown and beige ; New York, New York et le train A et le train B et le train D, profondeurs mystérieuses ; New York, New York, Broadway, dance-floor et swing entre deux tours tournés vers des hauteurs lointaines ; New York, New York, to be bop or not to be ; New York, New York, les pieds montés sur de grosses semelles donnant la cadence au monde ; New York, New York, la 125ème rue, et le Mississipi, et Alabama, et Georgia et Chicago qui débarquent des trains Jim Crow et déballent leurs affaires, toutes leurs affaires à Harlem.
Harlem et le cœur de Harlem, cymbales et tambours de Max Roach réinterprétant le temps : « Vis vite si tu veux vivre frère ! »; Harlem et l’esprit de Harlem, claviers de Duke et de Count free jazz à l’horizon : « Vis vite, frère, la vie a un prix élevé ici, vis vite ! »; Harlem et l’âme de Harlem, contrebasse de Mingus, le tempo du jour d’avant et du jour d’après entrelacés : « Vis vite, frère ; vis vite comme si tu devais repartir demain, frère, vis vite ! » ; Harlem et les poumons de Harlem, trompette de Louis, Louis Armstrong, le souffle bleu : « Vis vite, frère, car it’s a wonderful world ; vis, vite frère ! »; Harlem et la poitrine de Harlem, guitare, solos… Solos de qui ? Oui, solos de qui ? Et cette voix, cette voix : « Si tu veux devenir l’astre dominant, Jimi ; si tu veux devenir le grand attracteur, un grand, un vrai musicien, un guitariste de légende, Jimi, saisi ta chance ! Saisis-toi vite, oui, rapidement, de l’horizon… Vis vite, Jimi ! Vis vite car le temps de la vie est compté. Vis, vis vite ; il t’appartient de vivre mille ans en dix ans. »
New York, New York et Greenwich village ; Greenwich village, ville basse de Manhattan ; Greenwich village, la cité Bohème au jazz en session free. Et les premières sessions au Greenwich village et le bruit qui commence à courir, la rumeur qui naît, la rumeur qui croit : « Il se passe quelque chose au Café Wha ?! Il se passe quelque chose là-bas, les gars ! » « Et quoi donc ? » « Un guitariste ! » « Quoi ? » « Oui, il y a en ce moment, au Café Wha ?, un guitariste venu d’une autre planète. Ne vous attardez pas sur sa coupe de cheveux ; elle est étrange, bizarre même ! Tout aussi bizarre est d’ailleurs son accoutrement ! » « Comment ? » « Le gars ne porte ni costard ni cravate ! » « Ni cravate ? » « Encore un des ces Nègres qui sort directement de la forêt. Et qu’est-ce qu’il porte donc ? Un cache-sexe ? » « Une veste bizarre à longues franges et des bijoux tout aussi étranges ! » « Freak ! C’est un Freak ! » « Oui son look est un peu déjanté ! Mais les gars… le son… Ce gars joue de la guitare comme on n’en a jamais joué. Il a la guitare dans les viscères. Il se passe quelque chose du côté du Café Wha ?, les gars. Il se passe un truc !» Et le bruit qui court et la critique qui court tout aussi vite ; la critique qui ricane : « Wah-wah-wah ! Soyons sérieux ! Ne confondons pas originalité et génie ! Wah-wah-wah ! La vérité est que ce type ne sait même pas lire la musique ! Wah-wah-wah ! C’est du n’importe quoi ! Ce n’est pas de la musique comme il faut ! Et en plus il parait qu’il fume des choses bizarres ! » Ainsi le veut la loi des hommes : qui monte doit être descendu !
White collar conservative flashin down the street/ pointing their plastic finger at me, ha ! Les conservateurs « cols blancs » se la jouent dans la rue/ Ils me pointent de leur doigt en plastique, ha ! Ils espèrent que bientôt mon espèce va disparaître et mourir mais oh/ Je vais brandir ma bannière de marginal bien haut, bien haut ! Oww/ La brandir, la brandir/ Ah, ha, ha/ Y aurait pas quelqu’un qui sait de quoi je parle/ Je dois vivre ma propre vie/ Je suis celui qui mourra quand ce sera mon heure de mourir/ Alors laissez-moi vivre ma vie comme je le veux/ Ouais, chante mon frère, joue batteur !
Rum, Rumpi et Lê. Habillez les tambours ! Agoge, agogo ! Habillez les tambours ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! Jimi Hendrix ne dort pas. Il n’arrive pas à dormir. Ses paupières sont lourdes ; il n’en peut plus, mais il ne dormira pas. L’invisible a des choses à lui raconter, des rémanences à rappeler. Et voilà Jimi submergé par des voix, des voix qui parlent, qui parlent, des voix qui racontent, qui racontent des visions sans suite, des visions de traversées, des visions de traversées d’océans, de traversées de villes : tournée, tournée, tournée….
Hullo Jimi, je m’appelle Chas Chandler ! Je viens de Londres. Je suis producteur. Enchanté. Ravi de faire votre connaissance. On peut se tutoyer ? J’avais déjà entendu parler de vous mais là je suis époustouflé parce que j’ai vu et entendu ce soir ! On peut se tutoyer Chas. Jimi, il y a dans ta musique des rayons venus d’autres planètes, des pétales électroniques, des miracles. Merci… Merci… Que tu es aimable. Jimi, tu es le prophète de la musique de demain et l’Amérique ne te voit pas ! L’Amérique a des yeux mais elle ne voit pas ; l’Amérique a des oreilles mais elle n’entend pas ! Il faut partir d’ici, Jimi ; il faut aller voir ailleurs. Tu es au pays des aveugles et des sourds, Jimi. Viens avec moi à Londres et j’en suis certain, le monde entier se mettra en route pour venir t’écouter. Viens à Londres, Jimi. Il n’y a pas de mots pour décrire l’immensité de l’avenir qui t’attends là-bas ! Viens avec moi à Londres. Le moment est venu pour toi d’entrer en scène ! C’était donc toi, le rendez-vous ! C’était donc toi ! C’était donc toi, mon double !
Rum, Rumpi et Lê. Agoge, agogo ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! Aéroports, macadams, le sol qui roule, les villes, les cités bloc en béton ou en cristaux, les cités fluorescences, cités mystères, les Babels aux arbres rouillés, et l’horloge qui bat son plein : tournée, tournée, tournée ! Ladys and gentlemen, from Seattle, Washington… Réminiscences, flash-back : Me voilà sur scène… Ladys and gentlemen… Il fait nuit et il y a toutes ces lumières ; et cette foule, cette foule en délire qui s’étend à l’infini ! Ladys and gentlemen, sa musique est une célébration de la vie… Le monde s’est mis enfin en route pour venir m’écouter. Ladys and gentlemen, sa musique est un appel à la réjouissance ! Me voilà sur scène ! A moi de jouer ! Arracher la terre à sa banalité ; le manche en main, allumer la terre comme on allume la peau d’un ventre ! Le son doit pénétrer le corps ; le son doit pénétrer l’âme. Ladys and gentlemen, oui, sa musique nous convie à la réjouissance ! Me voilà sur scène : je suis le feu ; je suis la chaleur ; je suis la vitalité, je suis le flamboyant. Ladies and gentlemen, from Seattle, Washington please welcome… The one and only… Jimi Hendrix… Jimi Hendrix experience… Bonsoir à tous ! Bonsoir à toi, à toi et à toi. Merci à tous d’être venu ce soir ! Vous me rendez heureux. Je suis un homme heureux. Et quand je dis heureux, je veux dire très heureux. Et vous ? Etes-vous heureux ? J’espère que oui ! Car vous savez il n’est pas nécessaire d’attendre dix mille ans ni que toute l’or du monde soit entre nos mains pour être heureux ! Pas besoin d’attendre l’invention d’un élixir magique pour être heureux! On peut être heureux là, là tout de suite !
« Hey Joe, où est-ce que tu t’enfuis là ? Je m’en vais vers le Sud. Là-bas, je pourrai être libre. Et personne n’ira m’y chercher! »
Tournée ; tournée, tournée ! Et les critiques qui s’emballent ! Ah ! Les critiques ! « Mesdames et Messieurs, nous avons l’immense honneur de recevoir aujourd’hui dans nos studios, un immense artiste ; un guitariste exceptionnel. The one and only… Jimi Hendrix ! Merci Jimi Hendrix d’avoir accepté notre invitation. Il y a quelques années vous étiez encore un inconnu et vous voilà aujourd’hui star adulée ! Quel effet cela vous fait-il d’être ainsi applaudi et salué par tous les critiques ? Je pense ici notamment aux récents titres des journaux qui vous qualifient, je cite, de « guitariste exceptionnel », de « génie de première grandeur », de « lumière capable d’éblouir la lumière même ! » Les compliments ? Les éloges ? Cela ne m’intéresse vraiment pas. J’ai toujours refusé la tyrannie des miroirs ; les miroirs sont parfois déformants, vous savez ! Moi, je suis un peu comme les hounsi et les hougans : je marche le dos tourné aux miroirs. « Etes-vous conscient quand même que vous êtes le guitariste le plus doué de votre génération ? » Plus doué que qui ? La rivalité ne m’intéresse pas ! Je ne cherche ni à égaler, ni à dépasser qui que ce soit. Je joue pour le plaisir ! « Comment vous définiriez-vous ? » Je suis un explorateur des signes, un explorateur de l’espace. « Et quel est votre prochain objectif ? La lune ? » La lune ? Aller sur la lune ? La lune ne m’a jamais branché. Je préférerai marcher sur Saturne ou Venus, ou un truc de ce genre, un endroit avec des paysages !
Rum, Rumpi et Lê. Saluez les tambours ! Célébrez ! Célébrez ! Le vaisseau spatial est sur orbite. La rumeur est devenue une légende. Jimi Hendrix est maintenant une étoile. Finies les tournées galères, finis les hot-dog froids et les treizièmes rôles ; finie la galère ; bonjour les longues limousines aux vitres fumées et les Little Miss Lover. « Jimiiiiiii ! Oh, my god ! Jimiiiii ! La grâce ! Il est l’incarnation de la grâce! Il a la beauté d’un dieu ! Un autographe Jimi ! Jimi, je ne rêve que d’une seule chose : partager les confidences de ton parfum, me réveiller odorante de la sueur de ta peau ! Rien qu’une fois, une seule fois, Jimi ! Un autographe Jimi ! Un autographe ! Et si tu veux, Jimi, jusqu’au petit matin ! Jusqu’au petit matin, Jimi ! » Ca tombe bien Lady, j’ai quelque chose à vous dire mais vous allez rire et vous moquez de moi : je voudrais vous dire quelque chose Miss mais à l’oreille ! Les baisers, les amours : O les amours ! Les amours d’un quart d’heure ; les amours de quelques saisons ; les amours chuchotant ; les amours gémissants ; les amours, les amours… Diana, Carol, Rosa Lee, Faryne, Carmen, Kathy, Monika Dannemann… Les amours blondes, brunes, black, brown ; les Foxy ladies ! Sexy Lady/ Je n’ai qu’un désir brulant, laisse-moi me tenir près de ton feu/ Je vais te prendre à la maison, uh-huh, ouais/ Je ne vais pas te faire du mal, non, ha/ Maintenant uh, Je te vois, he he en bas sur la scène/ Oh rusée/ Tu me donnes envie de me lever et de crier Foxy Lady.
Rum, Rumpi et Lê. Agoge, agogo ! Saluez ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! Jimi Hendrix tourne, tourne: qu’importe le flanc, il n’arrive pas à dormir. L’insomnie est un couloir sans fin, un labyrinthe sans issue. Dans la tête de Jimi coule, coule un flot d’images. Réminiscences, flash-back, les souvenirs se souviennent ; les souvenirs volent, volent par delà les frontières ; les souvenirs volent, volent d’un continent à l’autre. « Vous êtes toujours à l’écoute de AB, votre radio musicale number one. Comme annoncé lors de notre dernier flash, nous vous confirmons le retour de Jimi Hendrix aux Etats-Unis. Son avion devrait atterrir dans quelques instants ! »
Amérique, me revoici. Je suis l’homme des retours! « Le désormais célèbre guitariste de Seattle est de retour pour une série de concerts. Il a été accueilli à l’aéroport par une foule de fans en délire. Me revoici Amérique, me revoici de retour! Tous les concerts de Jimi Hendrix affichent déjà complets. Selon son nouveau manager, d’autres dates devraient prochainement être rajoutées au calendrier du musicien pour pouvoir satisfaire tous ses fans. »
Me revoici de retour, Amérique. De retour. Sur les routes du monde, le souffle court, le souffle long, j’ai voyagé avec ma guitare, avec ma chair, avec mon cœur, avec ma peau, inventant chaque jour ma propre voie. Comme un peintre travaillant l’espace et les couleurs, je suis devenu l’homme qui joue pour griffer les limites de l’inconnu ; je suis l’homme dragueur impénitent de l’inaccessible ! Me revoici, Amérique ; la guitare tendue comme la brise ! Je t’enflammerai la peau, Amérique ; je t’enflammerai la peau d’un feu brulant. Entre Venus et Saturne, je te ferai onduler, Amérique ; je te ferai vibrer jusqu’aux flamboyants soupirs. Et tu gémiras, tu gémiras ; et tu trembleras, tu trembleras Amérique ; tu trembleras au feu de ma musique, jusqu’à l’extase sublime ; oui, tu gémiras ivre de vie et d’allégresse. Dans ta gorge retentiront les cris de ma guitare et tu m’en redemanderas encore et encore. Je peindrais sur ton visage, Amérique, je peindrai toutes les couleurs des délices inconnus !
« The men don’t know, but the little girls understand… Les mecs ne savent pas, seules les demoiselles savent de quoi il s’agit »
Awessa ! Awessa ! Rum, Rumpi et Lê : Awessa, Awessa, saluez les tambours ! Seattle. Seattle comme avant, Seattle comme après. Daddy Al comme avant, Dady Al comme après ; Dady Al et ses rêves ; Dady Al et l’ombre des ses rêves. Tout est possible ! Oui, tout est possible à qui sait rêver ! Me revoici père, me revoici là d’où je suis parti. « Bienvenu Fils ! » On ne peut pas fuir son passé. Même quand il est trou, crevasse, fente, dépression. Me revoici Père: Je suis l’homme des retours. « L’homme des retours qui a su tracer sa route jusqu’aux étoiles ; te voilà maintenant chez toi près des étoiles, fils ! Te voilà rêve flottant sur le monde ! Mais es-tu heureux ? » Que dire ? Ma bouche a avalé tant de poussière et de fumée. J’ai vu, entendu et vécu. La vie drapée d’ombres, la vie drapée de lumières, j’ai côtoyé les dieux et la fortune. « Te voilà tête couronnée maintenant mais fais attention, Jimi. A trop courir ne perds pas tes forces. » Ce n’est pas tant de forces dont j’ai besoin, Père. « De quoi d’autre donc? » J’aurais voulu que Mère soit là ; j’aurais voulu qu’elle me tienne dans ses bras ; j’aurais voulu qu’elle me berce, qu’elle me berce, qu’elle me berce. Tu sais Dady, il m’arrive parfois quand le désarroi me tient de l’appeler à la rescousse. Il m’arrive de l’apercevoir dans chaque ombre qui bouge. Il m’arrive d’entendre sa voix ; sa voix qui me dit : « Parle, Jimi, vas-y dis quelque chose; dis quelque chose au monde. Dis quelque chose avec ta guitare. Regarde, le monde s’est mis en route pour t’écouter, Jimi. Dis quelque chose; dis quelque chose des temps passés et des temps présents ; dis quelque chose des fièvres et des rêves avortés. Elle me dit, elle me dit : « Regarde-moi, Jimi ; c’est moi ; c’est moi.» « Fils, l’oubli de la mort est la condition de la vie. » Oui, mais est-il dans le pouvoir des hommes d’abolir le passé ? D’abolir les blessures du passé ? Je porte mon passé comme une écharde sous la peau et à chaque pousse de solitude, la nostalgie retrace les larmes de mon enfance, Père. Sometimes I feel like a motherless child along way from home…
Rum, Rumpi et Lê. Agoge, agogo ! Habillez les tambours ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! Jimi regarde ; Jimi voit, observe maintenant la terre du haut de son orbite : aube, crépuscule, couché de soleil : Jésus Christ, Bouddha, Krishna, télévision dans les salons et heure biblique : « Repentez-vous pauvres pêcheurs, repentez-vous ! Ô vous, vous nés de la terre, vous les perdus dans la jouissance, revenez à Dieu ! La jouissance est ténèbres, souillure, malédiction ! La jouissance est sacrilège ; le corps est péché. Revenez à Dieu : Obéissance, travail, famille, patrie. Obéissance.»
Aube, crépuscule, coucher de soleil, obéissance. Et JFK assassiné, le Président assassiné, et obéir ; et le King assassiné, et obéir. Et la ségrégation qui continue et obéir ? Mais jusqu’à quand ? Brooklyn Bedford-Stuyvesant, Rochester, Watt, Sacramento, Omaha, Cleveland, Chicago, Newark, Detroit; burn baby burn! Et les ghettos à l’ombre de Kwamé ; les ghettos à l’ombre de Stockley, à l’ombre d’Angela, à l’ombre de Bobby Seale et les prophètes au coin des rues qui prophétisent, qui prophétisent : il ne s’agit pas, frères, de savoir comment combattre mais qui et pourquoi. Les ghettos qui s’enflamment, et les sirènes qui hurlent, et les chiens qui gueulent, et les tireurs d’élite perchés sur les toits, et les parachutistes dans les rues … Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que … « Ces gamins qui manifestent sont des rouges ! Rouges tous les Negros, rouges aussi leurs copains Blancs, rouge tout le monde. » Pourquoi ? Pourquoi ces mensonges ? C’est ainsi. C’est ainsi que ça se passe. Et cette voix, cette voix, cette voix qui dit : « Parle, Jimi ; vas-y dis quelque chose ; dis quelque chose au monde avec ta guitare. Dis quelque chose, dis quelque chose des rêves avortés. Dis-quelque chose. » Et le Président assassiné et le King assassiné ! Mais pourquoi, pourquoi nos rêves sont-ils toujours condamnés à être remis à plus tard, à être repoussés aux calendes grecques, à être assassinés ?
Freedom, freedom/ Give to me/ That’s what I need/ La liberté, la Liberté/ Donnez-moi ma liberté/ C’est tout ce dont j’ai besoin/
La liberté. Rum, Rumpi et Lê. Agoge, agogo ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! La liberté ! La liberté pour les Nègres. La liberté pour les Chicanos. La liberté pour les Cherokee. La liberté pour les femmes. La liberté pour tous. La liberté. Rum, Rumpi et Lê. Agoge, agogo ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! Woodstock. Oui, Woodstock ! « Jimi Hendrix est-il vrai que vous avez accepté de vous produire au festival tant attendu de Woodstock ? » Oui, je serai bien présent avec mon nouveau groupe, les Gypsies.
Woodstock ! Woodstock ! Yes, Woodstock et les pattes d’éléphants, et les jupes gitanes, et les crinières interminablement longues, et les touffes afros ; Woodstock, oui, Woodstock : se retrouver ensemble, jouer ensemble, danser ensemble, parler ensemble, refaire le monde ensemble. Woodstock, le temps de toutes les libertés : la liberté du corps, la liberté de l’esprit : la liberté est la condition même de la vie ; l’humanité s’incarne dans la liberté! Woodstock l’audace ludique, extravagante, éclatante et retentissante jusqu’au fond du vertige. Woodstock, Woodstock, ouragans de watts, feux d’artifices hypnotiques, tremblements de corps, convulsions, sortilège. Woodstock, Jimi Hendrix le Voodoo chile, le solo ravageur, s’emparant de l’hymne américain, la guitare hurlant comme le Vietnam, comme une pluie de rouille saignant les rizières jusqu’à la lune par-dessus le Mékong.
Rum, Rumpi et Lê. Agoge, agogo ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! « Monsieur Hendrix pourquoi cette provocation ? » Quelle provocation ? « Cette façon, cette manière de jouer de l’hymne national… » Je ne sais pas. « Vous ne savez pas ? » Tout ce que je sais c’est que je suis américain : ce pays est celui de mes parents, de mes grands-parents, des mes arrières, arrières grands-parents. Tout ce que je sais c’est que des champs de coton aux machines de Detroit, j’ai contribué à faire grandir ce pays. Tout ce que je sais c’est qu’on m’a toujours fait chanter cet hymne, à l’école. « Alors ? » Alors c’était un flash back, vous voyez (rires)… « Disons les choses clairement, Monsieur Hendrix : seriez-vous contre la guerre. » La guerre est une obscénité. « Vous êtes donc un de ces adeptes de la désobéissance civile ? » Je ne suis pas venu sur cette terre planète pour porter des fleurs aux Aigles et aux Jaguars. « Mais le respect de la loi Monsieur Hendrix? Qu’est-ce que vous faites du respect de la loi ? » Il y a deux sortes de lois, disait le King : les lois justes et les lois injustes. C’est King qu’il a dit. Je suis le premier à préconiser l’obéissance aux lois injustes, a-t-il ajouté ; c’est une responsabilité morale aussi bien que légale. Or cette même responsabilité nous commande inversement de désobéir aux lois injustes. Yeah, je suis d’accord avec le King : c’est l’obéissance aveugle qui est le mal pour la société et non la désobéissance. C’est la docilité des hommes qui pose problème ; c’est du conformisme des hommes dont il faut se méfier. « Vous rêvez de changer les choses ? » Les artistes sont là pour questionner l’ordre. Tout ordre. « Pensez-vous vraiment qu’il est possible de changer le monde ? » Nous nous condamnons à ce monde lorsque nous nous levons chaque matin en nous disant qu’il est impossible de changer les choses. « Mais quel est votre projet ? Votre programme ? » Pas besoin de projet, pas besoin de programme pour quitter ce monde et commencer à rêver d’un autre monde. Il faut tout simplement se mettre à vivre vite, vivre vite pour vivre longtemps. « Revenons à la musique, une partie des critiques affirme que vous êtes un rockeur… » Ah ! le Rock, man ! Le rock et le son révulsant, le son colère du bonheur ; le rock, et le solo électrique, le solo hypnotique, tortueux, le trip transcendance de l’espace, ouverture des valves de l’inconscient. Le rock, c’est de la musique, man. « Monsieur Hendrix, ma question est la suivante : une partie des critiques affirme que vous êtes un rockeur et l’autre partie, un bluesman. Comment vous situez-vous par rapport au blues et au rock ? » Je joue ce qui me plait : la musique doit être plaisir et allégresse. « Alors blues ou rock? » Blues et rock. Tantôt le blues, tantôt le rock, tantôt le rock et le blues. Je joue ce qui me plait : je mélange les genres. J’abolis les frontières. Tantôt le rock ; tantôt le blues. Tantôt le rock et le blues. « Et qu’est-ce le blues pour vous ? » Le blues ? Les coups, les coups qui font mal ; l’odeur du coton et l’enfer des plantations ; les coups, les coups de la misère, l’enfer de la misère, les chaussures usées jusqu’à la corde, les coups de la solitude. Et puis chanter pour exorciser la souffrance, chanter pour préserver sa dignité d’homme; chanter, chanter le désir malgré tout ; chanter l’amour, chanter l’amour quand il tourne mal ; bien au fond du trou, chanter la perte, la désillusion, les tourments de l’âme, chanter pour exorciser l’enfer de la vie… Le blues, le blues, man, le blues.
There is a red house over yonder/ that’s where my baby stays… Il y a une maison rouge là-bas/ C’est là où vit mon Bébé/ Seigneur, il y a une maison rouge là-bas/ Seigneur, c’est là où vit mon Bébé/ Je ne suis pas revenu à la maison voir mon Bébé/ depuis 99 jours et demi./ Attends une minute, y a quelque chose qui ne va pas ici/ la clé ne veut pas ouvrir cette porte/ Seigneur prends pitié, cette clé ne veut pas ouvrir cette porte, y a quelque chose qui ne va pas ici/ J’ai le mauvais pré-sentiment que mon Bébé ne vit plus ici/ Eh bien, je pourrais aussi bien retourner là-bas/ revenir sur la colline ca serait à faire/ Seigneur, je pourrais aussi bien retourner là-bas/ revenir sur la colline/ Parce que si mon Bébé ne m’aime plus/ Je sais que sa sœur m’aimera.
Rum, Rumpi et Lê. Saluez les tambours ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! « Jimi vous êtes maintenant une star ; une méga star ! Quatre années, quatre albums qui s’arrachent comme des petits pains ! Bravo ! Mais ne vous arrêtez pas en si bon chemin ! Ca serait une grossière erreur ! » Que voulez-vous dire ? « Il est temps de sortir un nouvel album. Auriez-vous déjà une idée ? » Une idée ? Beaucoup d’idées ! J’ai encore beaucoup de choses à dire. Des choses nouvelles, des choses jamais dites. « Oui, mais concrètement. Soyons concrets. » Jouer avec Miles par exemple. Oui avec Miles. Au-delà du réel, peindre avec Miles tantôt la lune, tantôt le soleil ; tantôt le désir, tantôt le chaos. Le son vif, le son en distorsion, le son nouveau ; réaliser l’unité entre le rythme et la vie, confondre la vie et la musique. « Monsieur Hendrix, je ne vous parle pas de peinture mais de musique . » La musique, la peinture ? Je suis venu pour alimenter la musique en couleurs, en vagues luminescentes. La musique c’est la lumière. « Monsieur Hendrix je veux quelque chose de concret, quelque chose de commercial, quelque chose qui se vend. Un produit. » Feindre en somme d’être ce que je ne suis pas? Etre un produit qui se vend ? Poser au type à la mode ? Jamais. Jamais, faux ! Ma mission est de créer pour rendre témoignage à la vérité. « Penses à ta carrière. » Je me fous complètement de ma carrière. Je veux juste être sûr de pouvoir sortir ce que je veux. Rien ne pourra m’arrêter dans mon désir d’explorer l’espace. Ma musique est expérience et résonnance des fréquences de l’imagination ; c’est par l’imagination que l’homme multiplie ses dons, c’est par l’imagination que l’homme crée ce qui n’existait pas auparavant. La création appartient à l’imagination. Je suis un explorateur et rien ne pourra m’arrêter dans mon désir d’explorer l’espace… «Je vois, je vois : imprévisible… » Si vous voulez ! Je suis là pour créer. « Et moi je suis là pour faire des affaires ! Je suis un businessman. Et ce qui compte pour moi, c’est la réalité et non l’imagination. » Et quelle est donc la différence entre la réalité et l’imagination ? « L’imagination, l’imaginaire, si vous voulez, est insaisissable ; la réalité, elle, elle est palpable. La réalité, vois-tu, est tangible ; la réalité est ce quelque chose de plus fort que nous, de plus fort que nos désirs, de plus fort que nos rêves. Elle est maître de tout ; elle s’impose aux sens, à l’esprit. La réalité ce sont les livres de compte, la comptabilité, la monnaie, les dollars à ramasser. Ce qui compte, Jimi, ce sont les dollars à ramasser. » Le gain n’est pas mon objectif ! Je ne joue pas pour faire fortune. La fortune n’est pas ma raison d’être. « Il faut être réaliste ! » La réalité c’est notre vision du monde. C’est le rêve qui crée la réalité. « Fais ce que je te demande, Jimi, sinon… » Je ferai ce que j’ai envie de faire ; je serai celui que j’ai envie d’être ! « Fais ce que je te dis, sinon… » Sinon ? « Sinon, i il y a des hommes qui valent plus morts que vivants ! Ha ! Ha ! Ha ! »
Les tourbillons de la célébrité. Les eaux de la célébrité sont peuplées de crocodiles mangeurs de viande humaine. La nuit de stars est peuplée de bâillement de crocodiles, de cris de hiboux et de solitude. Jimi Hendrix est seul. Il est seul. Que faire ? Il décroche le téléphone, compose le numéro de Chandler à Londres. Il appelle Chandler, Chandler son pote. Le téléphone sonne, sonne. Vas-y Chandler décroche, décroche… Chandler n’est pas chez lui. Le téléphone de Chandler sonne, sonne dans le vide. Répondeur. La voix de Chandler : « Je ne suis pas là pour l’instant. Veillez laissez votre message. Je vous rappellerai dès que possible. » Hendrix, l’esprit enroulé, embrouillé, laisse un message: «I need help bad man. I need help. J’ai besoin d’aide, j’ai besoin d’aide. Je serai bientôt à Londres. Je suis l’homme des retours. »
Rum, Rumpi et Lê. Saluez les tambours ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! Londres, septembre 1970. « Après quelques mois passés aux Etats Unis, Jimi Hendrix est de retour à Londres pour une série de concert. Voici l’interview qu’il a bien voulu nous accorder aujourd’hui. Beaucoup de choses ont été dites sur vous, Jimi. On dit que vous êtes un tombeur, un sexe symbole, que vous êtes l’incarnation de l’amour, de la volupté, du désir, de la passion ? Quelle est la vérité ? La varie vérité dans tout ça? » La vérité est que nous sommes tous nés un jour, et que le temps d’un clic, nous ne serons plus là le jour venu. Nous aurons été et nous ne serons plus. Ce jour-là, il faudra alors avoir vécu. Avoir aimé. Avoir aimé malgré les blessures des corps et de l’âme ; avoir aimé malgré les vanités. N’ayez pas peur de l’amour : l’amour est notre unique chance de salut. Croyez-moi, l’immortalité est dans l’amour. Oui, l’immortalité est dans l’amour. Celui qui refuse l’amour refuse la liberté et l’immortalité. Je crois en l’amour ; l’amour est ma seule religion. Bonne nuit vaste univers, bonne nuit.
Scuse-me while I kiss the sky/ Excuse-moi pendant que j’embrasse le ciel/ Une brume violette tout autour/ Je ne sais pas si je monte ou je descends/ Suis-je heureux ou misérable ?/ Peu importe ce que c’est, cette fille m’a jeté un sort.
Londres, 18 septembre 1970. Chambre 507 de l’hôtel Samarkand. Jimi Hendrix est épuisé : il n’en peut plus. Quel que soit le flanc, le sommeil ne vient pas. Jimi Hendrix n’arrive pas à dormir. Il plane, plane dans un nuage de lumières. Par-delà la brume de ce ciel terre d’ombre, Hendrix voit des couleurs, les couleurs de l’extase, les couleurs de la danse des étoiles. Sa vie vient des ces étoiles-là ; gloire à ces lointaines étoiles. Il a vécu fort de leur énergie. Sa respiration est faite de leur lumière et de leur souffle. Un jour, se dit-il, une autre étoile apparaitra dans l’univers. Un jour. Mais ce jour-là qui se souviendra de moi ? Qui se souviendra de ma guitare, de mes guitares ? Qui se souviendra de Supro, la blanche, de Danelectro, la rouge, de Ky, d’Epiphone, de Stratocaster la blanche, de Stratacoster la noire, de Goya, l’italienne, de Gretsch la rouge cerise, de Flying ? Qui se souviendra d’elles ? Les courbes carrées, cintrées ou rondes, le corps lisse ou en écaille de tortue, les cordes tendues et retenduEs, le cri moelleux, limpide, grave ou aigu, elles ont partagées ma respiration, mes émois, mes remords. Qui se souviendra d’elles ? Qui se souviendra de moi ?
Les mains de Hendrix tremblent. Jimi Hendrix tend le bras. Dormir ne plus penser à rien. « Non ne fais pas ça Jimi. Ne fais pas ça. N’oublie pas ton chemin : « J’ai l’intention de former un orchestre symphonique avec douze violons et trois joueurs de harpe et nous peindrons des tableaux de l’univers. » Hendrix tend le bras. Dormir ne plus penser à rien. Le salut, le sommeil ? Neuf. Neuf le chiffre fétiche de Hendrix. Neuf est un chiffre parfois bon, parfois mauvais. Neuf, neuf cachets. Le salut, le sommeil ? Réveille-le Monika Dannemann … Réveille-le. Si un mec s’endort ainsi ; il faut le réveiller, il faut le garder réveillé. Si tu le laisses s’endormir, il part pour le sommeil eternel. Réveille-le Monika. Réveille-le.
« Hullo ? Hullo ? Y’a-t-il quelqu’un ici? C’est le service des urgences. Une femme nous a appelés. C’est bien la chambre 507, non ? Tu as vu toutes ces guitares ? C’est sans doute un musicien. Hullo ? C’est le service des urgences. » Le sommeil. Le vide, le néant. A l’âge de vingt-sept ans seulement. Comme une étoile filante. Comme une de ces étoiles filantes qui brillent d’un coup, d’un seul coup, qui brillent de près et de loin d’un éclat surprenant, d’une beauté indicible et qui soudain, s’en vont vers d’autres frontières. Le sommeil. Le sommeil ? Long et eternel sommeil ou poursuite du dialogue avec les loas ? Qui sait ? Rum, Rumpi et Lê. Habillez les tambours ! Agoge, agogo ! Habillez les tambours ! Saluez les tambours ! Tournez ! Tournez ! La liberté. Comme le fleuve initiatique et éternel, la liberté est un gage d’immortalité, la liberté transcende la mort.
I want to say one more last thing…/ Je veux dire encore une dernière chose/ Je ne voulais pas te prendre tout ton précieux temps/ Je vais te le rendre un d ces jours/ Ha !Ha !Ha !/ J’ai dit : Je ne voulais pas te prendre tout ton précieux temps/ Je vais te le rendre un d ces jours/ Oh ouais/ Si je ne te revois pas en ce bas-monde alors, oh/ Je te verrai dans le prochain/ Et ne sois pas en retard/ Ne sois pas en retard/ Parce que je suis un enfant vaudou/ Dieu sait que je suis un enfant vaudou/ He ! Hey ! Hey !
Madame, Monsieur,
Je me permet de vous contacter pour vous présenter un nouveau clip sur la chanson « Voodoo Child » de Jimi Hendrix, réalisé par notre jeune collectif « Pirates Pépères Pictures » en l’honneur des 40 ans de la mort du guitariste. C’est un mélange de stop motion, de prises réelles et d’infographie. L’idée de base était de s’inspirer du concept utilisé par Disney dans « Fantasia », mais transposé dans le rock psychédélique d’Hendrix.
Si le projet vous intéresse vous pouvez consulter notre profil sur le site ulule.com où nous tentons de réunir, via des donateurs internautes, l’argent nécessaire à l’achat des droits de la musique. Nous avons pour cela besoin d’étendre
sa diffusion, nous nous permettons donc de vous soumettre le lien : http://fr.ulule.com/the-experience/
Merci d’avance de prêter attention à notre projet.
Cordialement,
Mickaël Lepers
Pirates Pépères Pictures