Article paru originellement le Lundi 2 Juin 1997 dans “Marianne”

Vous la connaissez, cette musique. C’est celle qui broie le noir des boîtes branchées, dans les nuits de Paris, de Londres ou de New York. Elle est l’œuvre, non d’artistes, mais d’étudiants en IUT d’informatique. C’est la techno. Les slowgiciels créeront demain, sans doute, les ruts cybernétiques de nos étés virtuels. Cette musique, on l’orchestre en blouse blanche, sur des computers qui trient, dans l’algèbre du son, toutes les combinaisons binaires. La disquette a enterré le disque. Le bal de Boole a commencé. Les souris dansent ! Voici le contraire du jazz: on a tué la mélodie, le miracle de l’envolée, la phrase de l’ambiance, pour ne conserver que l’arête du rythme, un squelette épuré de sa chair. Une petite pilule d’ecstasy, et hop, on pénètre dans la nuit électronique, on cyberdanse, l’électrode au cœur, beat à bit, on consomme du geste dans un funk d’acier trempé, tandis que crient des bruits monotones comme la mort.

Alors que la danse est ouverture, invitation, la techno semble avoir été inventée pour se couper du monde: elle invite à se retrouver seul, si seul avec soi-même que l’on se sent presque de trop dans son propre corps. Cette joie-là sent le cimetière. Danser sur les tombes, pour être le régal des jeunesses neuves, n’est pas un exercice macabre: loin d’annoncer la mort de la musique, voilà qui aide à la résurrection, extraordinaire et salvatrice, du rock pur souche. Nous militerons ici jusqu’au bout pour que la musique qui a des mains, des doigts, du larsen et des wah-wah, celles des tripes et de la sueur, des guitares et des voix humaines, redémarre. Nous découvrirons trois groupes extraordinaires et artisanaux à souhait comme Supergrass, Our Lady Peace et Big Soul, qui font l’événement de ce printemps. Techno, tes funérailles sont proches. Bêtes et impraticables, tes tempos d’acier s’oxydent doucement. Ton swing androïdal va finir chez les ferrailleurs. Ton maelström de mécaniques abruties, de transes de compas, tes valses au marteau-piqueur et tes solos de scie électrique font déjà la joie des brocantes. L’industrie, c’est sûr, est en crise.

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