Attaquer, lancer une attaque, se replier, défendre, quadriller, contrattaquer, ajuster, tirer, fusiller, fusiller le portier par un boulet de canon, un obus, un exocet, un missile. Non, il ne s’agit pas de guerre mais tout simplement d’une histoire à priori futile : une histoire de pieds, de ballons, d’arbitres. Voilà ! Et pourtant… Shosholozah, shosholozah, ku lezontabah Stimela siphum’ eSouth Africa ; Avance, va vers l’avant, à travers ces montagnes, train d’Afrique du Sud.
On joue demain, et la fièvre qui monte. Caramba, caramba, on joue demain, et les commentateurs qui commentent ; les commentateurs qui parlent stratégie et tactique : 4-3-3 ou 4-4-2 ; 3-2-2-3 ou 4-2-4 ? Quel sera le choix du coach ? Qu’importe, c’est le match de la mort et il faudra tout faire pour sortir victorieux de cet affrontement. Et les commentateurs qui commentent. Ah ! Les commentateurs ! Les commentateurs, ils savent tout : les signes, les détails, la configuration du match avant le match! Ils savent ce qu’il faut faire, ce qu’il faudra faire pour gagner ce match de la muerte ; et la tête, boule de cristal, la voix insatiable, ils parlent, ils parlent, ils parlent : il faudra, il faudra, il faudra… Il faudra tout faire… quitte à laisser ses tripes sur le terrain ! C’est une question d’honneur ! Une question d’honneur national. Ce match n’est pas à perdre. De toutes les façons, on ne joue pas pour perdre ; on joue pour gagner, gagner à tout prix. La gagne, rien que la gagne ! Telle est la devise. C’est une question d’honneur ; d’honneur national. On va gagner, on se doit de gagner ! Comme en 1998 ! 1998, ce moment de grâce absolu !
Il y eut d’abord, ce douzième jour de l’année 1992, ces deux coups de boule, coup sur coup, de Zizou. Deux coups de boule canon comme un double KO. Ensuite le coup de botte de Petit. Et un, et deux, et trois zéro. La seleçao KO ; KO debout. Il y eut enfin ces centaines de milliers de gens sur les champs Elysées, bras dessus, bras dessous, black-blanc-beur. La France pouvait parader devant le monde ; elle avait vaincu devant le monde et Didier Deschamps, le capitaine de l’équipe, pouvait déclarer : « Nous sommes sur le toit du monde pour l’éternité.» La France pouvait parader : elle était belle parce que multicolore. C’était un soir de juillet 1998 ; c’était il y a une éternité.
On joue aujourd’hui ; on joue tout à l’heure. Et la fièvre qui monte, la fièvre qui se répand comme une peste contagieuse. Marées humaines, étendards et banderoles, casquettes et badges, allégresse et liesse dans les travées, roulements de tambours, trompettes et vuvuzelas. Tintamarre de vuvuzelas et autres cornes de brume. Communion populaire, esprit de corps, fusion de chacun dans la conviction des tous : C’est qui les meilleurs ? C’est nous ! C’est qui les plus forts ? C’est nous ! Nous sommes invincibles ! Temple surchauffé, temple en ébullition. Et les gradins qui chantent, destins individuels et tracés collectifs mêlés: Shosholozah, shosholozah, ku lezontabah Stimela siphum’ eSouth Africa ; Avance, va vers l’avant, à travers ces montagnes, train d’Afrique du Sud.Avance.Garde la tête haute ; et n’aie pas peur de l’obscurité. A la fin de l’orage, il y a un ciel doré, et le doux chant argenté d’une alouette. Marche à travers le vent, marche à travers la pluie. Bien que tes rêves soient maltraités et soufflés, continue de marcher, avec l’espoir dans ton cœur ; et tu ne marcheras jamais seul. Le match ne devrait pas tarder. La pelouse a été arrosée ; la pelouse, champ sacré ; la pelouse et ses lignes, ses lignes de but, ses lignes médianes, ses lignes de touche. La pelouse, ce champ fermé ouvert sur le ciel.
Et la clameur qui monte, qui monte des gradins : Voilà enfin les acteurs, oui, voilà les deux équipes, onze contre onze qui déboulent sur la pelouse. Et la voix métallique du haut parleur qui égrène les noms et les numéros des joueurs. Le capitaine, le stratège, les attaquants, les défenseurs, le taulier, le gardien ; ils sont tous là. Les voilà tous, tous sur cette pelouse, là au sommet de la gloire, dieux du stade adulés, portés aux nues. Et pourtant, ils n’étaient pas bien nés. Fils de gens venus d’ailleurs ou fils de la misère, ils étaient plutôt destinés à l’usine, à la galère, à la zone rouge. Quelle belle revanche sur le destin ! Quel caractère ! Car s’ils sont là, là tout haut aujourd’hui, c’est qu’ils ont du bouger pour que la vie vaille vraiment la peine d’être vécue; s’ils sont là, c’est à la force de leur talent ; c’est à la force de leur sueur ; c’est à la force de leur seule volonté ; ce n’est ni grâce à leur sang bleue ni grâce à une quelconque sainte bienfaisance.
Ovations ! Applaudissements à pleines mains ! Les applaudissements ? Le sourire large ou parcimonieux, ils ne sont pas dupes: ils savent que leur destin est fragile et passager. Il suffit d’un but manqué, d’un but marqué contre son camp, d’un os fracassé, d’un muscle qui lâche, de l’âge qui se fait un peu pesant, et c’est fini. Finie l’odeur du vestiaire, l’odeur de cette huile camphrée coulant sur les muscles ; fini le bruit des crampons trépignant sur le ciment ; finies les consignes du coach ; finie la clameur des stades, finie la gloire, fini l’argent, vie brisée, vie réduite à l’anonymat ; bonjour les prolongations douloureuses. Je sais, dit un jour de cafard, Pelé, je sais, dit-il donc, je sais que le jour où j’arrêterai de jouer au foot je ne serai plus de nouveau qu’un Nègre ! Oui, qu’un Nègre. Mais qu’importe : aujourd’hui c’est le match de la mort et il faudra, il faudra, il faudra…
Silence dans le stade, exécution des hymnes nationaux. Hymne national du Mexique d’abord.Mexicanos, algrito de guerra … Mexicains, au cri de guerre ; préparez l’acier et le destrier. Et que tremble en ses cendres la terre, au sonore rugissement du canon… Guerre, guerre sans trêve à celui qui tente de la patrie souiller les blasons… Patrie ! Tes enfants te jurent qu’ils rendront jusqu’à leur dernier souffle pour ton honneur. .. A toi les lauriers de la victoire ! Pour eux, une tombe en leur honneur !Texte martial ; musique martiale !
Hymne de la France, ensuite! Texte martial et musique martiale aussi ! Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé ! …. Aux armes citoyens, formez bataillons, marchons, marchons, qu’un sang impur, abreuve nos sillons…. Sous nos drapeaux, que la victoire accoure à tes mâles accents ; que tes ennemis expirants voient ton triomphe et notre gloire. Chantez, chantez, il faut chanter, même la voix affreusement fausse, il faut chanter. Chanter l’amour de la patrie! Et pourquoi donc, pourquoi ce joueur-là refuse-t-il d’ouvrir sa bouche comme tout le monde ? Mais l’hymne national, bon sang ! La Marseillaise ! La Marseillaise est notre image ; s’abstenir de chanter la Marseillaise, c’est refuser d’embrasser notre image ! Notre image !
Echange de fanions entre les deux capitaines sous le regard de l’arbitre. L’arbitre ! Quel métier ! Sifflet à la bouche, toujours derrière le ballon, toujours derrière les joueurs ; il court et court, siffle, fait la loi ; court et court, accorde ou refuse un but. Carton rouge ou jaune à la main, il légifère sans appel, condamne celui-là à l’expulsion accorde un sursis à celui-ci. Qu’il siffle à tort ou à raison, il sera conspué, hué: son destin est d’être détesté.
Coup de sifflet de l’arbitre, coup d’envoi du match. Ca y’est, caramba, caramba, c’est parti pour 90 minutes de joie et de souffrance, de haine et d’admiration. Futebol arte ou futebol de resultados? La grâce, la virtuosité individuelle ou le quadrillage de terrain ? Ballet coloré, arabesques des ailiers, développement géométriques du jeu, envolées des gardiens, passes longues et passes courtes, balle à terre et jeu aérien, kick and rush, marquage individuelle et défense en zone. Sur la pelouse, on court, on sue, on dribble et dans les gradins, et derrière les écrans, petits ou géants, à Paris, à Marseille, à Bordeaux, à Toulouse, à Pointe-à-Pitre, à Cayenne, on commente, on commente, on gesticule, on encourage les siens, ceux de son équipe : Bravo ! Bravo les gars! Continuez, oui continuez ainsi. Taclez, Taclez ! A coup de crampons, allez-y, à coup de crampons ! Faites-vous respectez ! Soyez durs ! Soyez durs sur l’homme ! Soyez durs, brutes, pas de pitié ! On encourage, on encourage les siens, et on n’oublie pas de railler les joueurs d’en face, ces gringalets … Et on chante la poitrine bombée, on chante Aux armes citoyens, formez bataillons, marchons, marchons, qu’un sang impur, abreuve nos sillons….
Et on attend le but. On attend ce but. Ah ! Ce but! Le but! Goaooooooooooool ! Le but, l’orgasme, la jouissance suprême ! Goaooooooooooool ! Le but, on prie pour ce but ; on espère ce but. Ah ! Si seulement, si seulement ce but… Un but comme celui d’El Pibe de oro (le pied en or) caramba ! El Pibe ! El Pibe, l’homme qui naquit dans les faubourgs de Buenos Aires, le ballon collé sur son pied gauche ! Un but, un but comme celui qu’El Pibe mit un jour de juillet 1986 à l’équipe d’Angleterre. Non pas ce but de la cinquante unième minute, pas le but de la mano de dios ; non, pas celui-là, pas ce but qu’il planta avec la main de dieu en sautant plus haut que le gardien anglais; non le second. Celui qu’il met trois minutes plus tard au fond des filets, trois minutes après son coup de malin, le but qu’il met en partant de la ligne médiane. Folle chevauchée d’abord, slalom balle scotchée sur le pied gauche. Maradona, Maradona ! Oui, Maradona, Maradona, cheminant d’une ligne anglaise à l’autre en récitant, chemin faisant, les vers de Neruda et de Borges : le rêve n’est pas illicite hombre , la vie est un songe et le rêve n’est pas illicite et, nos raisons prosaïques sont irraisonnables. Et caramba, caramba, et de un, et de deux, et de trois, et de quatre, toute la défense anglaise passée en revue ; toute la défense anglaise envoyée dans le vent. Le gardien aussi. Et pourtant, et pourtant le coach anglais avait prévenu ses défenseurs : ne lâchez pas Maradona une seule seconde ; ne le lâchez pas ! Marquez-le à la culotte, et s’il va aux toilettes, n’hésitez pas une tierce de seconde : suivez-le, accompagnez-le, allez aux toilettes avec lui ; ne le lâchez pas, une seule seconde !
Si yo fuera Maradona viviria como el porque el mundo es una bola.… Si J’étais Maradona, je vivrais comme lui ; car le monde est une sphère qui se vit à fleur de peau ! Si j’étais Maradona, face à n’importe quel but, jamais je ne me tromperais ; si j’étais Maradona, lors d’une partie à gagner ; si j’étais Maradona perdu dans n’importe quel lieu. La vie est une tombola ; la nuit, le jour ; la vie est une tombola !
Un but comme celui de Maradona, quel rêve ! Mais… mais n’est pas El Pibe qui veut. Mais bon, on se dit qu’on ne sait jamais, que peut-être, que le ballon est rond et qu’en ce jour de gloire tout est possible… Mais bon qu’importe ! Pourvu que les filets tremblent. Qu’ils tremblent ! Pourvu que ce fichu but… Et cet avant-centre qui galvaude les occasions, qui manque l’immanquable ! Et qui l’a aligné d’ailleurs celui-là? Qui ? Le coach ? C’est un nul ce coach ! Et le peuple qui déverse sa cendre sur le coach et le peuple qui grince des dents : Domenech, ce Domenech, ce Domenech, il se fout de notre gueule ce Domenech, il se fout de notre gueule ; c’est un bouffon tragique, ce Domenech ; qu’il aille se coucher, ce Domenech ! Oh ! qu’il est facile, qu’il est facile de taper sur un homme, sur un seul homme !
Et le temps qui passe et le match qui s’anime : feinte de corps, dribble de l’intérieur, drible de l’extérieur, slalom à ras de terre, slalom tête vers l’avant, slalom vers l’arrière… Mais passe, passe la balle, lâche la balle, sacristi ! Il aurait dû passer la balle! Tire ! Tire ! Mais tire, bon sang ! Il dribble, il dribble, mais ensuite ? Il faut qu’il tire ! Il faut marquer, marquer, marquer !
Le football ? Ah ! Le football ! Caramba ! Caramba ! Certains affirment que le football n’est rien d’autre qu’une toxicomanie sociale, mondiale même, une nouvelle drogue sans frontières qui abrutirait la raison des peuples ; une obscure passion qui transformerait ses adeptes en névrosés agités. Ils disent, ils disent, que le football est une diversion sociale ; qu’une société occupée à parler de football est une société qui ne parle plus d’autre chose. De l’essentiel. Ils disent, ils disent, l’air entendu, grave ou désinvolte, que quand le football est là, le football, ce dérisoire combat de coqs, la meute n’est pas loin. Et ils parlent de ces supporters, de ces possédés, de ces hommes dépossédés volontairement d’eux-mêmes au profit des couleurs de leur team ; ce team glorifié, adoré, idolâtré, vénéré ; et ils parlent aussi de ces dictateurs, Franco et Perron en première ligne ; ils parlent de ces dictateurs bâtisseurs de stades ; et ils parlent de Mussolini célébrant la victoire de la squadra azzurra en coupe du Monde : « Chemises noires de la révolution ! Hommes et femmes de toute l’Italie ! Italiens, habitants dans toutes les régions du monde, au-delà des montagnes et des océans, le Duce vous parle ! La style de jeu de la squadra azzurra, le il metodo, vient de démontrer de manière éclatante, à la face du monde, la supériorité du fascisme sur les démocraties ! Un seul cœur, une seule volonté, une seule décision !»
Ah ! Le football ! Le football est un mystère ; le football est un jeu de boule qui rend fou ! Et on se lève dans les gradins, et on se lève derrière son écran, petit ou géant, et on chante à tue-tête, et on saute, et on fait la ola, et on rit, et on pleure, et on chante, on oublie ses misères, le football est un dos fait pour porter les misères de la vie ; et on chante, on chante : Gardien de but, prépare-toi ; tu es une sentinelle devant tes buts. Ne laisse rien passer : imagine que c’est la frontière d’Etat qui est tracée derrière ton dos. Et on donne de la voix, et on insulte, on se lâche, la gueule ouverte, on insulte copieusement ces gars qui courent derrière ce morceau de cuir : « Ces bariolés, qu’ils retournent à l’arbre ! » Et on tire, on tire à boulets rouge sur l’arbitre : « Regardez cet abruti ! Ce vendu ! Cet usurpateur ! Ce croque-mort ! Arbitre, salaud, le peuple aura ta peau ! » Et le chrono qui tourne et ce but, ce but qui n’arrive toujours pas. Un but. Un petit but. Et on espère ce petit but, et on donnerait sa vie, là, à l’instant, pour ce petit but de la muerte. Et on bave d’envie de ce petit but. Et on rêve, on rêve … Le souffle battant comme les tambours haletant, on rêve de ce but, de ce but libérateur ; d’un but, d’un tout petit but, un but par exemple à la Pelé. Ah ! Pelé, le roi Pelé de Santos ; le roi Pelé, Empereur mondial. Comment faisait-il, lui ? Quel était son secret ? Il commandait et la balle obéissait. La balle était à ses ordres. A ses pieds, elle s’offrait, glissait, glissait d’un pied à l’autre ; et Pelé en faisait ce qu’il voulait, il la caressait avec ses pieds, il la promenait d’une surface à l’autre, tantôt juchée sur sa poitrine, tantôt en couronne sur sa tête, toujours avec beauté et intensité. Et soudain, le geste gracieux, l’esthétique absolue, d’un coup de félin, il la déposait comme on dépose une couronne au fond des filets adverses! Ah ! Pelé !
Et toujours ce satané but, ce but de la délivrance qui n’arrive pas. Et ce ballon qui roule, qui s’envole, qui retombe, qui trace des cercles et des une-deux en triangles, qui part et repart d’une transversale à l’autre ; et ce ballon qui va et qui vient mais qui refuse de rentrer. Et cette jouissance reportée, contrariée ! Nervosité sur le terrain, contacts rugueux, duels impitoyables, tacles par derrière, tranchées dans les gradins, invectives, il faut mouiller le maillot, les gars ! De l’ardeur au combat; de l’ardeur ! Bon sang, on est dominés, on est malmenés, on est bousculés ! Ils nous baladent ces mexicains ! Et ces Mexicains, caramba, caramba, qui virevoltent sur le terrain, le rythme rapide, les pas complexes garnis de fiesta comme s’ils dansaient la Bamba : Arriba y arriba, y arriba y arriba, por ti sere, por ti sere. Yo no soy marinero, yo no soy marinero, soy captan, soy capitan. Bamba, bamba. Et en haut et en haut ; et en haut et en haut pour toi. Pour toi. Je ne suis pas un simple marin. Je ne suis pas un simple marin, je suis capitaine. Je suis capitaine. Bamba, bamba.
Et on crie dans les gradins : Réagissez les gars ! Remuez-vous les gars ! Remuez-vous ! Du corps à corps ! Renversez le jeu ! Renversez le jeu ! Allez à l’attaque ! Il faut marquer ! Il faut marquer ce but ! Il faut la mettre au fond ! Avec le pied, avec la main, avec le tibia ou la nuque, peu importe, il faut la mettre au fond! Il faut marquer, bon sang ! Et les insultes, et les noms d’oiseaux qui fusent. Qu’est-ce que c’est que ces joueurs ? Qu’est-ce que c’est que cette équipe ! Elle n’est pas à la hauteur de la grandeur de notre vénérable nation ! Et notre honneur, bon sang ! Notre honneur ! L’honneur du maillot ! L’honneur de la France ! Il faut tuer le match ! Qu’est-ce que vous attendez pour tuer ce match ? Fusiller ! Oui, il faut fusiller le gardien adverse! Pas de pitié ! Caramba ! Caramba ! Le football est un jeu de boule qui rend fou ! Le football est un jeu meurtrier : il s’agit donc de tuer, pardon de vaincre. De vaincre les autres, de vaincre devant le monde.
Et on attend, on attend ce but, ce but de la victoire et on souffre et on guette le miracle ; on espère le miracle ! Et puis soudain, cette percée dans la défense, la percée du goleador. Face-à-face : legoleador, l’assassin, le bombardier, le déchireur des filets et le gardien, le gardien cet ultime rempart, le gardien, l’homme du mystère, le gardien, l’aigle solitaire ; le gardien, ce seul joueur qui n’a pas droit à l’erreur. Face-à-face donc entre le goleador et le gardien. Eran las cinco de la tarde ; non, il n’était pas cinq heure de l’après-midi, comme dans le poème de Federico Garcia Lorca. Qu’importe d’ailleurs l’heure qu’il était. Il y eut cette frappe, cette frappe et cette clameur vers le ciel ! Ce but ! Quel but ! Quel but ! Fabuleux, énormissime, incroyable, extraordinaire, superbe, brillant ! Quel but ! Oui quel but, ce but, ce but comme un coup de couteau planté la nuit dans une ruelle sombre ! Ce but encaissé. Coup de tonnerre ! Tremblement de terre ! Nooon ! Nooon ! Noooon ! La défaite ! Noooon ! La défaite devant le monde entier ? La honte ?
Honte et larmes à Paris, à Marseille, à Toulouse, à Lyon, à Boulogne sur Mer, à Trappes, à Fort de France; et Bamba, Bamba à Mexico, à Guadalajara, à Puebla, à Chihuahua, toutes les rues du Mexique qui sortent l’allégresse, Bamba, Bamba : Et en haut et en haut ; et en haut et en haut pour toi. Pour toi. Je ne suis pas un simple marin. Je ne suis pas un simple marin, je suis capitaine. Je suis capitaine. Bamba, Bamba.
« Les buts, c’est comme du ketchup, a dit un jour une légende du football. Ils mettent parfois longtemps à venir et soudain, ils arrivent, ils arrivent tous en même temps ! » Un but encaissé, puis un autre encore. La débâcle. Et ces Mexicains qui virevoltent d’insouciance au-dessus de la pelouse, les ailes déployés ; et on implore le ciel : Oh ! Bonté divine que le restant de ces quatre vingt dix minutes passe, passe vite! C’est qu’on sent l’odeur de la raclée ; c’est qu’on craint une sortie à genoux. Et l’arbitre qui finit, enfin, par siffler la fin des hostilités. Rideau et défaite. Défaite devant le monde entier ! Les bleus n’ont pas su vaincre et pleurer n’en vaut pas la peine ; ca ne sert à rien. Alors dans les gradins et derrière les écrans, géants ou petits, le volcan bouillonne, tousse, toussote, crachote ! Sacrilège ! Et notre honneur, parbleu ! L’honneur de la France ! Notre honneur ! L’honneur national ! Nous sommes la risée du monde entier, parbleu ! La France éliminée, vaincue par des nations minimes ! Indignation, colère, hurlements ! Notre honneur ! Nous sommes blessés dans notre honneur ! Notre honneur ! A l’heure de la victoire devant le monde, on ne nous verra pas ! Notre honneur ! L’honneur national !
L’honneur national ! Il ne faut pas badiner avec l’honneur national ! Demandez aux joueurs Ivoiriens, demandez à Drogba et à ses copains, ils en savent quelque chose, eux. En janvier 2010, l’équipe nationale de la Cote d’Ivoire est éliminée de la Coupe africaine des Nations. Honte nationale, s’indigne le Général Président Robert Guei. Honte ! Inacceptable ! C’est quoi ces jeunes qui refusent de courir sur le terrain pour défendre l’honneur de la nation ? C’est quoi cette honte ? Le Général est en colère ! Dès leur retour à Abidjan, les footballeurs ivoiriens sont cueillis à l’aéroport et aussitôt conduits, sans sommation, à la caserne militaire de Zambakro. Arrêts militaires, marche au pas, une-deux, une-deux, hymne national chanté à tue-tête en boucle, gorges déployées au vent. C’est que le Général ne badine pas avec l’honneur national : « J’ai demandé que vous soyez mis aux arrêts et internés dans ce camp militaire pour vous donner matière à réflexion, car ce que vous avez fait est indigne d’un pays comme le nôtre. Nous avons payé vos primes avant la Coupe d’Afrique des Nations et vous n’avez montré aucune détermination. C’est la dernière fois…, menace-t-il. C’est la dernière fois… La prochaine fois… »
Oh ! Caramba, caramba, qu’il est difficile de regarder la défaite droit dans les yeux ; qu’il est pénible de la fixer du regard, les yeux dans les yeux et de se dire que 1998 en 2010, était une illusion, juste une illusion ; que 2010 ne rime pas avec 1998. Alors que fait-on ? On regarde à côté, à côté de la poussière. A qui la faute ? Mais oui, à qui la faute ? Et l’irrationnel qui laboure tout sur son passage, les langues lâchées : procès public. A qui la faute ? Le responsable, oui le responsable de cette débâcle. Qu’il soit nommé ! Et bien, c’est lui ! C’est lui le coupable ! Et chacun d’y aller de sa vacherie, de son crachat, da sa condamnation, la haine débordante, la haine dévoreuse, toutes canines dehors : il faut mordre, déchiqueter, tuer! C’est lui ! Flux et reflux de haine ; brutalité des mots, libération de la haine, cruauté verbale déchainée : c’est à qui sera le plus cruel dans l’anathème et l’invective. Crise de monomanie meurtrière! C’est lui ! C’est lui! C’est lui ! Les coups francs ratés ? C’est lui ! Ce jeu de l’équipe de France insipide ? C’est lui ! Les buts encaissés, c’est lui ! La vivacité des joueurs adverses, c’est lui ! La défaite ? C’est lui ! C’est un nul ! Un naze! La colère, la terrible colère du peuple ; tonnerre de malédictions ! Le peuple veut un meurtre ! C’est lui ! C’est lui ! C’est lui ! C’est un nul ! Un naze!
Morbleu ! Comment ? Il n’est pas si nul que ça ? Il brille de mille feux de l’autre côté de la Manche ? Il est né avec un talent surdimensionné ? C’est une star à Londres ? Chaque week-end, il survole les terrains de jeu là-bas ? Justement ! Pourquoi est-il alors si nul en équipe de France ? Pourquoi ? Vous ne le savez pas ? Et bien moi, je vais vous le dire : parce qu’il se fout pas mal de ce maillot bleu. Il n’aime pas ce maillot. Vous êtes d’accord, n’est-ce pas? Vous partagez mon avis, n’est-ce pas ? Evidement, une personne aussi intelligente, aussi sympathique que vous, ne saurait être que du côté de la raison, du côté de la majorité des gens, du côté de nous autres. Comment ? Qu’est-ce que vous dites ? Il n’est pas si naze que ça ? Mais qu’est-ce que vous en savez, vous, du football ? De toutes les façons, nul ou pas nul, naze ou pas naze, l’essentiel n’est pas là ! Là n’est pas la question ! Il nous faut bien un coupable et ce type-là, il a la gueule pour l’emploi ! Regardez sa dégaine. Oui, cette dégaine bizarre de bad boy qui cherche la culpabilité ! Il a une dégaine qui cherche la culpabilité ! Sa culpabilité n’existe que dans notre tête ? Mais, sacristi, que dites-vous ? Ouvrez bien les yeux et regardez sa gueule ! C’est flagrant ! Rien qu’à regardez sa gueule, on en déduit qu’il ne peut qu’être coupable de quelque chose ! Sa gueule vaut la culpabilité ; elle fait de lui un coupable. Mais attendez…. Caramba, caramba, le football est un jeu de boule qui rend fou !
Et ce regard ! Regardez son regard ! Comment ? Son regard est toute somme banal, normal? Doucereux même ? Mais que dites-vous ? Qu’est-ce que vous racontez ? Regardez bien. Non ? Vous ne voyez rien ? Rien vraiment ? Mais regardez bien, scrutez son regard ! Ses yeux ! Oui, ses yeux qui bougent. Quoi ? Que dites-vous? Tous les yeux sont faits pour bouger ? Mais non, je veux dire ses yeux ; ses yeux à lui. Regardez bien. Scrutez bien son regard et avec un peu de volonté, je suis sûr que vous finirez par y voir aussi cette chose… Alors ? Toujours rien ? Vous ne voyez rien ? C’est que vous êtes vraiment aveugles ! C’est pourtant flagrant, visible à l’œil nu! L’arrogance, diantre ! Au fond de ses yeux, il y a l’arrogance ! L’arrogance est sa marque de fabrique ! Mais… Pas de mais… de toutes les façons, on s’en balance… C’est lui !
Quoi ? Et s’il n’était pas coupable ? Tant pis : on peut être coupable sans être coupable ! C’est injuste ? Mais voyons, mon cher, vous sortez d’où vous ? Toutes les sociétés humaines, depuis que le monde est monde, sont fondées sur l’injustice! L’injustice est la règle du monde ! Voilà ! Et c’est tout ! Notre parole constitue à elle seule la preuve de sa culpabilité ! Donc c’est lui ! Et point à la ligne! Caramba, caramba, le peuple veut un coupable, une victime ; et on ne peut pas contrarier l’appétit de meurtre du peuple ; vox populi, vox dei ; le peuple est roi et son appétit un ordre ; donc c’est lui !
Pourquoi lui ? Parce que justement il est lui. Avez-vous remarqué ses mâchoires serrées ? Son encombrant silence ? Il ne parle pas et s’il ne parle pas, c’est que, évidement, cela va sans dire, c’est qu’il a bien quelque chose à cacher dans les replis de son silence. Quelque chose de louche, quelque chose de malsain. Vous dites ? De quoi est-il responsable ? Le chef d’inculpation ? Son crime ? Il a parlé. Oui, pour une fois… il a parlé ! Et qu’a-t-il donc dit de si terrible? Des propos… Des propos ? Oui des mots, des mots terribles ! Ah ! Bon ! Des mots terribles ! Des mots terribles comme… comme… Nous marcherons sur leurs jambes… Non, pire que ça. Nous marcherons sur leur ventre. Pire. Nous marcherons sur leur tête. Pire ! La transgression ! Il a transgressé les règles de jeu de la bienséance ! Il a proféré des propos inacceptables ! Injurieux ! Quoi ? Il a injurié… Injurié le coach ! Injurié le coach ? Oui, dans le vestiaire ? Et qu’a-t-il dit exactement ? Des mots non catéchisés, cornegidouille! Je comprends que cela ne vous fasse pas sursauter car, vous avez raison, il n’y a rien de surprenant en soi, nous savons tous, que là d’où il vient on ne sait pas parler ! On parle mal ! On ne parle pas comme nous autres. Mais qu’est-ce que vous êtes en train de suggérer ? Par Toutatis, ne faites pas l’ignorant, vous savez très bien, vous aussi, que là d’où il vient, ils parlent à l’envers ; ils parlent à la sauvette une langue à peine audible faite de galipettes verbales, une langue qui souffre de la manie de la trivialité! Là d’où, il vient, vous savez, les gens vivent dans l’anticulture ! Ils sont sombres au sens propre comme au sens figuré. Quoi ? Mais qu’est-ce que vous racontez ? Nom de Dieu, tout simplement ce que tout le monde pense tout bas! Ce que tous les gens intelligents et sympathiques, comme nous, pensent ! Pas plus, pas moins, morbleu !
Et de toutes les façons, nul n’a le droit de tenir les propos qu’il a tenus ; alors le verdict est simple : attendu que… Attendez, êtes-vous sûr qu’il a tenu ces propos ? On a dit qu’il a dit… Mais êtes-vous sûr et certains… Mais voyons ! Vous donc là, vous commencez vraiment à me fatiguer ! Ne seriez-vous pas par hasard, vous aussi, un de ces snob penseurs toujours à la recherche du faux sous le vrai? Essayez de comprendre, ce n’était peut être qu’un coup de sang ! La pression… Nous sommes tous des hommes capables de disjoncter un jour… Et vous le savez très bien que dans les vestiaires des stades, les jours de foot, la langue commune n’est pas celle des messes du dimanche ! Mais voyons : sacristi ! Des excuses ! Des circonstances atténuantes ! Et quoi, encore ? Mais, vous vous rendez compte ! Vous parlez, vous aussi, comme tous ces coupables ! De toutes les façons, qu’il ait dit ou qu’il n’ait pas dit, on s’en balance! Le peuple veut un meurtre ! Et ce gars-là a une gueule de coupable !
Caramba, caramba, un illustre savant a dit un jour qu’il n’existait dans la jungle des animaux qu’une seule et unique loi : manger ou être manger ; et, a-t-il ajouté, dans la jungle des hommes, cette loi s’énoncerait ainsi : définir ou être défini. Caramba, caramba, le dit savant avait vu juste ; il avait raison. Chez les hommes, on définit ; les hommes passent une partie de leurs vies à définir et définir les responsables de leurs propres échecs : c’est lui, c’est lui le coupable ! L’équipe de France, nation vaisseau des nations, ne pouvait pas perdre. La grandeur ne peut pas être défaite. Si notre équipe a été vaincue, c’est qu’il y a bien un responsable ! Et qui c’est ce coupable ? Lui, évidement lui ! Pourquoi ? Pourquoi donc lui ? Vous me demandez, vous nous demandez pourquoi ? Et bien, Jarnidieu, parce qu’il traîne avec lui une mauvaise odeur d’enfant rebelle depuis qu’il est né ! C’est un élément incontrôlable ? Et donc ? Donc hostile ! Comment ? De l’autre côté de la Manche, on dit pourtant de lui que c’est un gars bien et plutôt respectueux ? On s’en balance! Il nous faut un coupable et c’est lui ! Voilà ! Et c’est tout ! C’est lui le coupable ! Qu’il tende sa gorge. Le peuple a besoin d’une victime. Qu’il paie ; qu’il paie pour tout ce qui n’a pas marché ! Oui, qu’il paie pour tout! Le peuple veut un meurtre et notre accusation est fondée : il est écrit dans le livre : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure et que le peuple soit sauvé. »
Ah ! Le football ! Caramba, caramba, Moacir Barbosa était un gardien de la seleçao ; un gardien à la détente de chat et à la souplesse hors du commun. Il paralysait les attaquants adverses. Il était l’idole du pays de la samba jusqu’à ce match, cette finale contre l’Uruguay. Le stade Maracana était plein comme un œuf, ce 16 juillet 1950. Sur le terrain, l’ambiance lourde, tendue. Mais laseleçao ne peut que devenir enfin champion du Monde : elle mène 1 à 0 et Moacir Barbosa est dans les buts ; et comme toujours, il semble imbattable. Jusqu’à la soixante huitième minute, l’Uruguay égalise. Le match devient incertain, la seleçao est bousculée, dominée et à la 73èmeminute, Ghiggia, l’ailier à réaction uruguayen déborde Bigode, son vis-à-vis brésilien, repique au centre et lâche un boulet de canon au ras du poteau gauche. Barbosa se détend. Inutile. Les filets tremblent : l’Uruguay est champion du monde. « Le Brésil est mort », crie le public au bord du désespoir. Barbosa sera maudit à vie. « Au Brésil, dira-t-il, en 1993, quelques années avant sa mort, au Brésil, la peine majeure pour un crime est de 30 ans de prison. Moi, il y a 43 ans que je paye pour un crime que je n’ai pas commis. »
Caramba, caramba, le football est un jeu de boule qui rend fou. Et ces bleus qui n’ont pas su vaincre ; qui n’ont pas su vaincre devant le monde comme en 1998 ! Défaite ! Débâcle ! Et le coupable c’est donc lui ! Quoi, que dites-vous ? Ses coéquipiers ont décidé de faire front autour de lui ? Alors là, toutes les bornes sont dépassées. C’est la révolte de la gladiature! La mutinerie ! Mais voyons ! Qu’ont-ils à donc à dire ces fichtre gladiateurs des temps modernes? Qu’ont-ils à gémir ? Comment ? Cela fait des mois et des mois qu’ils sont maltraités, insultés, violentés, déshonorés, lacérés, fouettés, lynchés, publiquement, à longueur de commentaires ? Foutaises ! L’ordre ! Silence dans les rangs ! Chacun à sa place ! Ordre, discipline, hiérarchie ! Camisole ! Mettez-leur une camisole ! Car quiconque est tenté par la révolte présente indubitablement, naturellement une anomalie, un trouble du cerveau ! Camisole, donc ! Et les meneurs ; qui sont les meneurs ! Les conjurés. La liste des conjurés ! Les noms des conjurés! Evidement ! Tous des caïds ! Tous des caïds des cités ! Hallali sur ces caïds ! Cette équipe est un repère de caïds ; cette équipe est sous la coupe de caïds ! Et on glisse, caramba, caramba, on glisse et on voit dans ces conjurés, des caïds ; des caïds, chefs de tribus ; des caïds, chefs de gang ; des caïds, chefs de légions étrangères. Ils viennent des cités ; ce sont donc tous des caïds. Et on glisse, on glisse : ils étaient Français quand ils gagnaient et les voilà désignés maintenant, Français d’origine étrangère ; « ces Français d’origine étrangère qui ne chantent pas la Marseillaise » ; ces Français originaires d’outre-mer ; ces Français originaires d’Afrique ; ces Français, originaires des cités. On glisse, on glisse et progressivement on dépasse les limites de la décence. Tous mercenaires gangrenés par le pognon! Tous imposteurs, tous égoïstes, tous enfants gâtés, tous caïds de collège, tous arrogants, tous ignorants ! Et leurs casques sur les oreilles et leurs vêtements griffés et leurs porsches. Pourquoi roulent-ils en porsche ? Et de toutes les façons, qu’est-ce qu’on peut attendre de ces joueurs bariolés qui écoutent notre hymne national en mâchonnant du chewing-gum ? Ayayai ! Caramba, caramba, le football est un jeu de boule qui rend fou !
Conjurés, originaires des cités donc caïds ! Raccourci idéologique ! Qu’importe ! Que leurs noms soient étendus faces contre terre, flagellés publiquement. Un soldat qui se mutine ! On aura tout vu ! Et qu’il soit clairement, fermement, rappelé à chacun de ses nouveaux poilus que leur seule et unique utilité est, fichtre, de taper dans le ballon et non de réfléchir ; qui leur a demandé d’ailleurs de réfléchir ? Qui ? Leur seul devoir, morbleu, est de porter le maillot en toute loyauté! La loyauté au maillot ! L’amour du maillot. Le drapeau national ! Leur unique devoir, ventrebleu, leur devoir national est de nous donner la victoire ! Oui, la victoire ! Pourquoi n’aurions-nous, donc pas nous aussi droit aux médailles, à la coupe ? Comme en 1998 ? Hein ? Pourquoi ? Nous sommes profondément atteints dans notre honneur! Nous voici abaissés, humiliés ! C’est Waterloo ! Waterloo !
Quoi, que dites- vous ? Le football n’est pas la guerre ; le football n’est qu’un jeu. Un jeu qui nous apprend que… Qui nous apprend que quoi ? Que même le plus grand des géants peut devenir un jour le nain du dernier des nains ? Et alors ? Et que… Et que quoi encore ? Que la victoire n’est pas toujours au bout des mêmes pieds. Bon admettons que la victoire ne soit pas toujours au bout des mêmes crampons, que chaque compétition n’est pas France 98; mais quand même, qu’ils laissent au moins leurs tripes en sang sur le terrain ! Le maillot ! L’amour du maillot ! L’amour du drapeau ! Le sacrifice ! L’honneur national !
L’honneur national ! Caramba, caramba, on ne badine pas avec l’honneur national ! Demandez aux joueurs Ivoiriens, demandez à Drogba et à ses copains, ils en savent quelque chose, eux. Une défaite en Coupe africaine des Nations et la voix menaçante du Général Guei : « C’est la dernière fois… La prochaine fois…»
Ayayai ! Caramba, caramba, le football est un jeu de boule qui rend fou ! Oui, le football quand il devient fanatisme, il dégrade l’homme, l’attache à la vilenie et le dresse contre la raison. Et l’homme change de visage, il devient une pierre dure au toucher, une pierre sourde et laide prête à s’abattre sur d’autres hommes. Oui, le football est un jeu de boule qui peut rendre fou ! Caramba ! Caramba !
Superbe texte. Un délice pour qui aime le foot et pour qui aime la littérature. Et surtout pour qui aime les deux.