Il a 38 ans, il vient d’être père de deux garçons, et il annonce sur son site officiel ce 29 mars 2010 : « Je suis fier de déclarer que j’accepte ma chance d’être homosexuel, ce cadeau que m’a fait la vie, je me sens béni d’être ce que je suis. »
Soit en mêlant les deux langues qui seront celles de ses enfants, de ses jumeaux, celles de West Side Story et de sa patrie, Puerto Rico : « I am proud to say that I am a fortunate homosexual man. I am very blessed to be what I am », « Hoy accepto mi homosexualidad como un regalo que me da la vida. Me siento bendecido de ser quien soy. »
Loués soient nos seigneurs, comme dirait l’homophobe ringard débile Régis Debray, le fidèle castré de sa terrible mère et de Mitterrand réunis : au formidable coup de tonnerre planétaire simple et tranquille de Ricky Martin, béni soit-il en effet, toutes mes pensées vont à la sainte mémoire du grand homme entre tous que fut le compositeur, pianiste et chef d’orchestre juif et homosexuel Leonard Bernstein, celui qui imposa à la planète par son West Side Story l’amour de Puerto Rico…
Ecoutons-le ici piquer sa crise pour obtenir que l’on prononce tel que le veut sa partition – et c’est souligné en rouge, précise-t-il depuis son pull-over rouge -, le prénom féminin qui réunit depuis des millénaires les trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam), et nous dédions ici cette vidéo à toutes celles qui le portent, pour qu’elle les accompagne exactement selon le mot de Ricky et de Berstein, “bénédiction”, c’est-à-dire bien-diction, bien dire pour dire le bien :
CARRERAS ! CARRERAS ! BERNSTEIN ! BERNSTEIN ! Retenez-moi, je suis au bord de l’infarctus. « Grea-ea-tt take ! » « Fann-tass-ticc ! » Cet arrêt subit du chanteur qui stoppe tout alors qu’il est au plus haut du plongeoir, parce qu’il n’ose plus se lancer… Et le chef qui lui dit « Aoh… Come on… ! You do it wonderful ! »… Il s’effondre sur son pupitre, le vieux lion à la crinère blanche, de fatigue : « Ce Carreras… Ses problèmes… »… Pendant qu’une des plus belles voix du siècle fait claquer le parquet en se précipitant vers la sortie, rageant contre les syndicats qui obligent à interrompre la séance, et frustré par sa prestation… Et puis le miracle. Ce José Carreras dont on ne devrait prononcer le nom qu’à voix basse tant à lui seul déjà il esquisse de duende, de temple… Il chante avec ses yeux, les deux ronds noirs de ses pupilles à l’encre de Chine collés, agrippés au regard de Bernstein comme un sauteur à sa perche… Emotion de ses explications : il a eu tellement honte de refuser l’obstacle, « but it’s the way it is ». Il se pourrait qu’il ait eu besoin de changer de chemise ; même si la noire lui allait mieux. Le technicien chauve regarde son voisin : mais qu’est-ce qu’il se passe, le ciel est en train de s’ouvrir ? Chaque fois je me demande comment on fait pour survivre à de tels instants, comme des syncopes ; j’ai l’impression de ne pas me souvenir, alors je réécoute : et je chavire encore plus, je me raccroche au moindre morceau de bois qui passe ; je n’ai plus un poil de sec… C’est absurde, et pourtant… Ça n’a pas de sens : ça en a trop. C’est aberrant, mais je me rassure : je ne suis pas le seul. Il se pourrait que ce soit tout sauf une erreur.
Elles sont bien là, l’histoire, la civilisation. Il y a plus d’intelligence et de vérité dans un millimètre carré des lunettes de Leonard Bernstein que dans les œuvres complètes de Fukuyama et Huntington additionnées. Parce qu’il a réécrit Shakespeare en presque mieux – les amants de Vérone à Puerto Rico, qui reviennent en Europe en 1990 au cœur de la Ville éternelle pour un triple sacre vocal :
Ricky Martin dit que la naissance de ses fils l’aurait “obligé” à se libérer, à « Saisir ce jour, cette heure, ce moment », seize the time. Avec ses jumeaux issus d’une “mère porteuse”, le roi de la fiesta reste le déhanché le plus classique de la salsa, musclé mais pas body-buildé, tatoué mais pas trop, un de ces peu nombreux dans la top-list des “métrosexuels” mondiaux dont le prince est évidemment David Beckham, cet Achille sans la colère, ce Mick Jagger sans Keith Richards. Il est né un soir de Noël, à San Juan de Puerto Rico, le 24 décembre 1971, de son vrai nom Enrique Jose Martin Morales. Une cascade de dizaines de millions d’albums : Maria (Un, Dos, Tres), Livin’ la Vida Loca, et la scie officielle du Mondial de football en 1998 , La Copa de la Vida (The Cup of Life). Il est en train d’écrire ses Mémoires, qui feront un tabac après ce coming out de mars 2010 : décidément ses petits garçons ne manqueront de rien. Et un jour leur papa leur apprendra leur “hymne national”, qui se murmure au final dans le plus beau « Buenas noches » de l’histoire de l’humanité :
Ricky n’en pouvait plus de démentir le gossip qui n’en était pas un. Il explose comme un arbre en fleurs : quel beau printemps pour les centaines de millions d’homosexuels anonymes, pas “people” et même pas veufs de grands couturiers ! Quel bon tour joué à tous ces arrogants de l’exclusion ordinaire pour qui devenir père, ou grand-père, sert de prétexte à ajuster encore plus serré leur masque d’une “tolérance” qui tolère, c’est-à-dire dénie l’égalité !En trio en janvier 2009 ; et en duo en la playa avec le tonton — Ricky et son frère après Rocco et ses frères de Visconti et Alain Delon :