Tandis que « le mariage » fait couler la salive et courir les plumes, une des quelques rares et donc précieuses maximes tombées des lèvres paternelles m’est revenue : « le mariage, c’est un garde-fou ». Il l’avait dit non pas à moi, mais à celui qui, plutôt adepte de ladite union libre avec laquelle le lien matrimonial faisait couple en ce temps-là, ne se pressait pas assez, selon son goût, de lui demander la main de sa fille. L’énoncé eut pour effet d’accélérer la demande et bientôt la cérémonie, juste après laquelle fut répandu dans mon oreille bien marrie le sel de cette conversation des deux compères. « On se marie pour dix ans » avait été le corollaire de la maxime, devais-je apprendre trois ans plus tard quand s’imposerait le divorce, prématuré donc, par rapport à un idéal déjà bien tempéré. Restait l’énigme de la portée d’un tel axiome : qui le fou, qui le garde, et à quelle fin cette [bonne ?] garde ? Si le lexique, en cela rigide, distribue le masculin et le féminin et détermine que le fou ne peut être que l’homme, cette évidence lexicale ne m’assurait pas de ce qu’était un homme, ni donc un fou.

Autrement précise, la topologie indiquait qu’il y avait un trou, autour duquel s’enroulait une protection nommée mariage. L’enjamber, c’était être fou. Mais par quel autre tour de folie se marier serait ne l’être pas ?

1964 : sept ans avant cette union éphémère, je découvre, dans la mise en scène de Jorge Lavelli, la pièce de Gombrowicz intitulée Le Mariage au Récamier. Ferraillant avec Lucien Goldman, Gombrowicz écrit : « Ce qui devrait être familier aux spectateurs, c’est la façon même dont se crée, dans Le Mariage, la réalité. Je pense ici à l’action, à son écoulement titubant, somnambulique et fou d’une scène à l’autre. On dirait que la pièce marche, qu’elle avance comme un ivrogne ou un fou. Eh bien, l’Histoire aujourd’hui ne marche plus comme avant ! Aujourd’hui, l’homme s’est senti délivré de tous les principes absolus et libre de se former, de se forger lui-même, à travers les autres hommes ! Ce fait ne devait-il pas se refléter dans l’écriture dramatique ? »

Le mariage concentre donc la folie ? La perspective dans laquelle il apparaît ici débouche sur son défaut de garantie divine. Perdurant, opaque et seul, il dérive jusqu’à percuter un vivant, en faire un héros, lequel, dès lors, ne veut plus que se marier… Mais comment authentifier ses noces, sinon par un sacrifice ? Le dramaturge renonce au sang, et fait tomber le rideau : le mariage n’aura pas lieu. La dramaturgie a-t-elle eu raison du mariage lui-même ?

En effet, tout démontre que ce n’est que si « le mariage » cesse d’être Le mariage que les fous que nous sommes tous peuvent y trouver un abri. Lacan, dans son Séminaire sur l’identification, situant la loi dans sa dimension toute prosaïque, réservait celle du drame aux personnages que les névrosés figurent sur la scène du monde, et qui se distinguent de payer le prix d’un accès au savoir, sur une Autre scène : « Sommes-nous chargés de donner justification à la subsistance pratique du mariage comme institution à travers même nos transformations les plus révolutionnaires ? […] Les nécessités du mariage s’avèrent, pour nous, être un trait proprement social de notre conditionnement : elles laissent complètement ouvert le problème des insatisfactions qui en résultent, à savoir du conflit permanent où se trouve le sujet humain, pour cela seul qu’il est humain, avec les effets, les retentissements de cette loi du mariage. »

Or, si c’est au corps que la morsure du signifiant imprime sa jouissance énigmatique, le lien entre la loi privée qu’est la répétition au-delà du principe de plaisir et la loi au sens du droit reste en question. Entre la norme et la folie aucune cartographie, sinon de prêt-à-porter de mode ou de conformité, n’a lieu. Dans cet écart, reste une chance, alors, de faufiler un savoir cru en son propre, dans une langue, vivante, et susceptible de faire lien social, in ou out marriage, facultatif.

Restent les prêtres, condamnés, encore, au célibat…