Jésus-Christ est relâché par Ponce-Pilate, toutes les télés se jettent à ses genoux, elles savent que sa première interview leur vaudra des centaines de millions de spectateurs, sur toute la planète. Dans toute la France, ce soir-là, les rues seront vidées : tous et toutes devant l’écran pour le regarder libre et en forme, et pour boire ses paroles qui seront “d’Evangile” : tout ce qu’il dira sera juste et bon, marqué du sceau de la vérité, il sera sanctifié par son épreuve, revenant de l’au-delà. De trois jours en Enfer dans la cellule anti-suicide et la prison île-forteresse comme celle de Monte-Cristo. On tente de résister à cette comparaison, à cette grille de lecture : Anne Sinclair n’est pas l’abbé Faria, d’aucun point de vue (heureusement), et il n’y a pas de trésor caché.  Pas d’illusions pourtant ; le romanesque et le fantasme ne vont pas lâcher le morceau. Après tout ce que l’acharnement contre DSK avait d’archaïque dans la négativité, jusqu’à la négation, la volonté de punir jusqu’à l’anéantissement, l’annihilation, le mythologique persistera à investir son énergie mais cette fois en positif, avec le “renversement” du 1er juillet qui le transfigure aussi sec en Innocenté, en personnage christique dostoievskien, en quasi-saint. L’innocenté est un innocent à la puissance supérieure : il a traversé les épreuves, la mort psychologique, morale et sociale, il est de l’acier trempé, comme une épée ; alors qu’un innocent ça fait toujours un peu benêt, agneau. L’innocent se laisse vivre. L’innocenté a envie de vivre. Et il a quelque chose à rattraper. Que se passe-t-il quand un ressuscité revient ? C’est la question de Monte-Cristo, le roman le plus lu au monde. Réponse : il se venge. La planète entière sait cela, et elle attend que Dominique Strauss-Kahn se comporte comme le personnage de l’étonnant griot mulâtre, Alexandre Dumas, plus français que lui tu meurs.

On veut de la “vingince” comme disait Rimbaud. Déjà on cherche à deviner “la” liste, on se compose chacun la sienne, on se transmet des versions, on compare, on discute. La liste des auteurs de son malheur, par Monte-Cristo. Mais ce peut être une liste de profiteurs d’un accident, même s’ils n’y ont pas participé : des naufrageurs. Il n’y a pas que des complots en amont, avant un événement : des complots se forment pour profiter d’un événement, après qu’il ait eu lieu, en aval. Et sur la liste on trouve des gens qui avaient parlé pour se réjouir de la chute de l’Innocenté, ou poussé par leurs commentaires à le faire tomber encore plus.

On a beaucoup parlé de la liste de ceux qui avaient machiné, monté, fabriqué, instrumentalisé, la pseudo-“affaire Markovic” : établie, dit-on, par Georges Pompidou qui l’aurait portée toujours sur lui. On se répète qu’y figurait au premier chef le représentant français le plus en vue de ce même puritanisme calviniste qui vient de frapper un Français innocent en 2011 à New York, exactement au centenaire de la naissance de Georges Pompidou (né en 1911). Dans la continuité du crime puritain calviniste originel des débuts des Etats-Unis : la pendaison des prétendues sorcières de Salem (1692).

Les patrons de télés se précipitent chez Jésus Monte-C(h)risto lorsqu’il est libéré par le procur(at)eur Pilate : frissonnant à l’idée que leur nom figurerait sur “la” liste, à genoux, certains même allongés de tout leur long, ils geignent qu’ils n’ont rien fait, qu’ils ont bien toujours su qu’il était innocent, sans oser le dire, ils sont tellement timides. Qu’ils n’ont rien retransmis, oh non, jamais, jamais, c’est pas leur genre !, de ces images illégales d’humiliation d’un prévenu que la loi française leur interdit depuis la ministre Elisabeth Guigou.

Alors l’Innocenté se lève, avec son “plus” par rapport à l’innocent tout court parce qu’on lui doit réparation — pourquoi pas des dommages-intérêts de la part de l’Etat de New York, et de l’hôtel Sofitel. Le voici incarnation de l’innocence, dans les pays imbibés, imprégnés, gonflés de christianisme. Et il balance ses conditions : le direct à une heure de grande écoute, et Moati. Ce sera sa façon de célébrer le passage à la télé de François Mitterrand en 1981. Et de contredire à une célébration, que l’on avait effacée, mais que “l’affaire DSK” était en train de réaliser sur le fond : celle de Céline. Parce que chaque mot de toutes les saloperies qui venaient d’être dites et écrites sur le compte de DSK depuis six semaines interminables autant que minables aurait pu figurer dans un pamphlet antisémite.

Que le rapport de Jésus-Christ et Monte-Cristo avec “DSK” comme personnage fantasmé ne soit pas du tout une plaisanterie, mais la réalité du fantasme collectif, de l’irrationnel massifié en acte — cela va des mythologies de Roland Barthes à la psychologie des foules de Le Bon et Freud et à toutes les sémiologies anthropologiques — s’est prouvé sans cesse dans toute cette “affaire” comme scène originaire réapparue. Là-dessus, rien de neuf, mais le retour du refoulé.

La nouveauté est dans un choc fusionnel à travers “l’affaire DSK” entre les trois puritanismes viraux et contagieux du moment : le calviniste, le féministe et l’islamiste.

Des “frères” auto-proclamés de l’accusatrice, dont on a su qu’ils n’étaient pas de sa famille, pas ses frères biologiques, sont venus déclarer devant les micros et caméras qu’elle serait une “bonne musulmane”. Il fallait entendre, bien sûr, la contraction de tout cela dans le syntagme “frères musulmans”. A quelques pas du Ground Zéro, du lieu de l’attentat du 11 septembre 2001 ! Voilà pourquoi j’avais donné un surnom à la prétendue affaire Strauss-Kahn : “la troisième tour du World Trade Center”. Je désignais par là, pour le dixième anniversaire, un attentat “soft”, qui tue moralement et socialement par la diffamation, et qui rapporte des millions de dollars. Avec toujours une odeur forte d’antisémitisme.

LA  “PERP WALK”, SCENE CLASSIQUE DU “CHRIST AUX OUTRAGES”

 

Ce qui a le plus heurté était le plus connu, mais pas reconnu : la “perp walk”, la “marche du perpétreur”, cette monstration d’un supposé monstre, menotté et encadré par des flics. Elle ne fait que reproduire une des scènes les plus classiques de la grande peinture occidentale, celle du “Christ aux outrages”, ce “topos” (lieu commun) du christianisme, répété à des millions d’exemplaires depuis deux mille ans dans les images des missels et catéchismes et surtout dans ces tableaux qui racontent la Passion sur les murs des églises, les “chemins de croix ” : le Christ a les mains liées, on le montre au peuple, il est encadré par des sbires. Quel commentateur (commente-hâtif) a vu ce déjà-vu ? La “perp walk », le supplice du pilori par l’exhibition médiatique humiliante, dont se repaissent les égalitaristes jacobino-calvinistes, n’a pas cessé d’être présente dans les églises catholiques, alors qu’eux-mêmes prétendaient purifier leurs temples des images. Or les voici, par retour de refoulé, qui passent à l’acte en réalisant cette  même scène, pas pour un Jésus de peinture, mais pour des êtres humains réels, traités avant procès comme des coupables. Dans le cas de Dominique Strauss-Kahn, avec paparazzis, télévisions, la planète entière. Et ils ne font pas le rapprochement ! Personne ne leur dit que « le roi est nu » ! Ne leur fait remarquer : mais réveillez-vous, c’est du mauvais théâtre, vous vous croyez au Moyen Age en train de rejouer la Passion… Des centaines à transmettre, des centaines de millions à regarder, et pas un qui voit ?

La logique symbolique-imaginaire la plus exacte, stricte, scrupuleuse, incontournable, irréfutable telle un constat d’huissier, de cette… “résurrection” en faveur de DSK, de la scène bi-millénaire dite du “Christ aux outrages” est très clairement qu’au lieu de “prendre” soixante-dix ans de prison il va récupérer l’aura de deux mille ans de gloire et de majesté genre “Christ en gloire” et “Christ en majesté”. Un des “frères”-sic de l’accusatrice avait proclamé, offrant de la religiosité aux gogos : « Trois personnes savent ce qui s’est passé : elle, lui et Dieu ». On se demandait comment le troisième allait témoigner. Voilà, c’est fait.

Le “retournement” est une technique des services de renseignements, en américain l’“intelligence” : il prend ici l’allure du “doigt de Dieu”, de la “justice de Dieu”. De l’ordalie, l’épreuve dont vous ne devriez pas réchapper mais qui vous désigne comme aimé de Dieu si c’est le cas ; donc juste, innocenté. Celui qui a traversé des épreuves “pires que la mort” récupère toutes les forces qui d’ordinaire nuisent à la vie, et il est réputé presque invincible car protégé par la mort qui l’a épargné et ainsi pris sous sa protection ; elle devient sa “marraine”, ou son “parrain” dans les langues où la mort est au masculin (comme l’allemand) : voir le texte magistral sur cette question de Emmanuel Le Roy Ladurie, La mort parrain (d’après le titre d’un conte des frères Grimm ; c’est le dessin, le ressort mythologique profond, du Monte-Cristo de Dumas). Je serais concurrent(e) de DSK ou je figurerais sur “la” liste, je m’inquièterais…

LE SAUVEUR DE LA MONNAIE HONGROISE APPELE POUR L’EURO

 

« Quel renversement par la main de Dieu lui-même à la commande ! », « Welch eine Wendung durch Gottes Führung ! » : tel fut le télégramme du roi de Prusse Guillaume Ier (bientôt proclamé empereur au château de Versailles) au soir de sa victoire de Sedan le 2 septembre 1870 à son épouse. C’était une allusion biblique (psaume « Mon Seigneur et mon Dieu »), et c’est devenu un slogan. Il a traversé devant le retournement de New York tous les esprits formés dans cet esprit. Comme il est gravé sur la porte de Brandebourg à Berlin, tout le monde en Europe le trimballe symboliquement dans sa poche avec ce monument militaire qui, bizarrement, est une des illustrations des pièces de cinquant cents d’euro.  Le jour de l’attentat à la diffamation, Dominique Strauss-Kahn s’apprêtait à aller “sauver” l’euro en prenant l’avion pour Berlin.

Tout comme il avait quelques années auparavant sauvé le forint, la monnaie hongroise, terrassant la spéculation. Cela n’a pas été assez perçu en France. De là date mon admiration. J’en suis resté bluffé, ébahi. Comme devant des pompiers vainqueurs d’un incendie : mon signifiant “pompier”, s’agissant de DSK, n’est pas du tout celui du tout-venant. Le tout-venant s’y ralliera.

Mélanchon interrogé sur DSK avait été correct sur la présomption d’innocence, mais il avait eu le tort d’ajouter aussitôt des reproches à propos de la Grèce que le président du FMI aurait fait sombrer : c’était prouver qu’il n’avait rien compris au film, puisque au contraire, comme dans le cas de la Hongrie (et de pas mal d’autres), DSK pouvait être (ce n’est pas fini) le meilleur chirurgien, réparateur et relanceur. A l’inverse du Mélancheur-de-pinceaux, rien d’aberrant chez Christine Lagarde : elle ne doit pas sa présidence à une injustice, puisque de toute façon son prédécesseur allait démissionner (il a quitté le FMI, mais pas le PS).

LES DERIVES POPULISTES ET LYNCHEUSES DU FEMINISME

En général la frénésie de diffamation, mâle et femelle, s’est cru voyeuse de ce qu’elle imaginait, c’est-à-dire des images qu’elle se formait elle-même et qu’elle hallucinait extérieures, existant dans le réel, par exemple dans une chambre d’hôtel, alors qu’en réalité, bien sûr, elle se les projetait sur son écran intérieur, parce qu’elle les désirait pour son propre usage.

En particulier nous disposerons désormais, “grâce” à cet épisode dont tout le féminisme doit se sentir honteux, mais dont le féminisme n’est pas responsable en tant que tel, de toute une moisson de documents qui serviront à l’horreur pour le fémino-populisme, et donc à la consolidation du féminisme sain. De quoi élaborer des vaccins contre ces fièvres, ces épidémies, ces contagions du délire.

Ce qui vient de se passer restera comme un désastre pour le féminisme. La cause de cette catastrophe grave réside dans l’arrogance de se croire politically correct(es) par définition, énonciatrices du bon droit dès lors que l’on se réclame d’une impunité permanente qui autoriserait à dénoncer, à juger et à condamner à perte de vue sous prétexte de visions : on a vu et entendu des femmes décrire avec une précision hallucinante une scène qu’elles n’avaient pas vue et qu’elles hallucinaient. Des Possédées de Loudun du XXIème siècle qui prendraient DSK pour un Urbain Grandier. La dure, violente intensité qu’a décrite Euripide dans sa pièce les Bacchantes. Ce qui parla contre Dominique Strauss-Kahn dans ces semaines-là fut une brusque prise de gel collective de ce que Lacan appelle si justement « la paranoïa féminine », c’est-à-dire une forme de paranoïa indissociable du féminin. La pertinence de ce concept vient une fois de plus de se vérifier.

Il existe une section lyncheuse du féminisme, dans une régression aux Bacchantes, aux désireuses déchireuses de corps dans leur rage contradictoire de désirer et ne pas être satisfaites. Il faut s’y faire : un féminisme affiché, proclamé, n’est pas du tout une garantie ; au contraire s’il propage des illusions sur ce dont sont capables des femmes. C’est ce que rappelle un roman qui vient de paraître sur les “femmes fortes” au côté des dirigeants fascistes espagnols, et souvent pour les trouver trop mous, les pousser au pire : Secrets d’alcôve/les trois femmes les plus influentes de la Phalange de Carmen Domingo, chez Stock ; et il faut revenir au livre de Claudia Koonz : les Mères-patries du Troisième Reich, les femmes nazies (éditions Lieu Commun 1989, en allemand en 1986). Qu’il y ait eu du féminisme nazi ne change rien à la nécessité du féminisme. Mais la nécessité du féminisme ne saurait faire taire et censurer la vérité sur les dérives. Tout comme la gauche la mieux intentionnée au départ a été complice du crime stalinien, tout comme le patriotisme peut déraper à tout moment dans le nationalisme, tout comme le luthéranisme le mieux intentionné au départ a conflué à fond dans l’antisémitisme et le nazisme, etc — de même le féminisme n’immunise pas contre l’injustice : c’est ce qui vient de se produire.

Pendant cette campagne militaro-médiatique mondiale d’un désir “féministe” de déchirer le bouc (émissaire) Strauss-Kahn, je lisais le Cimetière de Pragued’Umberto Eco (Grasset 2011), et d’évidence une de ses “poursuites” dans la réalité d’aujourd’hui concerne le fémino-populisme qui en vient à fricoter avec le fascisme et l’antisémitisme en s’exonérant d’avance par l’excuse commode de l’hystérie. Je dis “poursuites” au sens du théâtre : ces pinceaux de lumière braqués par les éclairagistes. Le roman d’Eco lance des coups de phares sur le réel des idéologies, et l’un d’eux atteint cette part obscure du féminisme qui s’est révélée, exhibée, obscénisée au cours de la prétendue “affaire Strauss-Kahn”.

 

UNE LISTE DE “BONS” ET DE “MAUVAIS” DE L’AFFAIRE DIALLO

Dans ce qu’il faudra désormais appeler “l’affaire Diallo”, il importe de saluer l’absence de surenchères du côté des communautés “noires” en France, et des Africains d’Afrique. Une retenue et une bonne tenue d’autant plus remarquables par contraste avec les dérapages de tant de “Blancs” délirants et hallucinés. Je tiens à insister sur ce point. A l’inverse, le cas d’une personne manipulée par un gang et téléphonant à un trafiquant de drogue emprisonné pour lui demander ses instructions dans la tentative d’extorsion puis la prise en otage de Dominique Strauss-Kahn par la machine judiciaire et le système médiatique — ne doit être absolument pas être imputé à charge aux “Blacks” et auxAfricain(e)s.

Peu importe que “Nafissatou Diallo” soit un pseudonyme ou non (on n’a pas fini de découvrir des trucages) : en tout cas il est effarant qu’il ait servi de porte-avions pour des nuées soudaines d’allumé(e)s volant en escadrilles et dont des tumeurs psychologiques malignes, déjà en place, s’enflammèrent. Ils se ruèrent dans la servitude de leurs pulsions de destruction et de nihilisme, dans la rage de leur aveuglement voire pire si affinités (je parle, oui, de l’antisémitisme). Ce prénom et ce nom auquel ils/elles se collèrent avec une immédiateté d’amour étrange et inquiétante, ils l’auront cajolé et mignoté jusqu’à l’écœurement, s’identifiant à lui comme à un drapeau, une identité commune et rassembleuse, à longueurs de milliers d’interventions d’auditeurs sur les radios et de lecteurs au bas des articles en ligne. Quelle folie !

Des amis nous ont attristés. Déplorons simplement que le magazine Télérama ait attaqué un des hommes les plus authentiquement nobles au monde, Alexandre Adler, parce qu’il avait rappelé l’impératif catégorique de la présomption d’innocence. Nous ne toucherons pas non plus à notre pote Laurent Joffrin : ce n’est pas la première fois que nous l’apercevons comme troublé, s’enferrant dans un embarras sous la surface de froideur étudiée qui lui sert à la fois de cuirasse de protection et de tunique de Nessus. Mais sa “passe d’armes” dans un studio pour tenter de contraindre Robert Badinter ( que l’on m’excuse pour l’oxymore presque comique “contraindre Robert Badinter” ; autant faire passer un rhinocéros par le chas d’une aiguille ! ) à dire “la victime” et non “l’accusatrice” pour la dame Diallo, tout en prétendant que dire “la victime” ne serait pas été attentatoire à la présomption d’innocence de celui qui déjà pouvait apparaître comme la véritable victime (c’était mon point de vue), parut exorbitante. Il va de soi de “pardonner” à Télérama et à Laurent Joffrin. Mais au moins, qu’ils ne se drapent pas maintenant dans des dénégations. ll serait plutôt profitable pour tous qu’ils pratiquent mieux que l’auto-critique : l’auto-analyse.

Cela nous changera de la fausse psychanalyse, qui a encore déferlé, au prétexte de “l’affaire”, en torrents de boue de bêtise et d’incompétence. Assez ! Un moment de mini-cauchemar me restera de ces semaines de plomb : lorsque je dus assister à un débat où l’animateur s’inanima d’emblée, se vidant de toute âme, en assenant d’un air d’Homais replet très content de lui, auto-disqualification, qu’il serait possible de parler au nom de la psychanalyse sans l’avoir pratiquée, donc sans la connaître, sans en avoir longuement et sérieusement installé en soi-même le logiciel. Cette tricherie intellectuelle et morale s’est banalisée, elle reste vulgaire. Si cette façon absurde de se délégitimer n’était nuisible que pour ceux qui s’y accrochent, ce ne serait pas gênant ; mais comment s’étonner après cela des succès de Michel Onfray ? Je me disais que sur un terrain de football on brandirait un carton rouge, avec mise sur la touche ou renvoi au vestiaire : où l’on voit que le niveau de moralité de ce sport pourtant si corrompu s’avère très supérieur à celui de la scène parisienne supposée penser. Un psy de service, dégoisa un graillon où surnageaient pêle mêle la pulsion, le péché originel, et le nom de Freud hélas très compromis (en deux mots plus qu’en un). Bien entendu, c’était le fait même d’évoquer la psychanalyse, dans ce lieu, dans ces conditions, à propos d’un procès, qui était anti-analytique. Et surtout anti-DSK : cette façon de le traiter comme un cas relevant de la discussion entre le normal et le pathologique… Un lourd “pavé de l’ours”.

Au haut du “palmarès”, le nom d’une femme : Michèle Sabban, qui a tout de suite aperçu la vérité, n’a pas varié, a tenu bon. Et avec elle un “hors concours ”, Robert Badinter, qui au cœur du cyclone hystérico-médiatique aura imposé la fermeté, la rigueur et l’ardeur de l’abolition de la peine de mort, en l’année de son anniversaire. Cette fois contre le “meurtre de réputation” (“Rufmord”) qu’est la diffamation : elle devient un meurtre collectif, comme la guillotine, lorsqu’elle est publique, médiatique, mondiale.

Trois hommes ont eu dès les premiers jours de l’affaire Diallo — de cette réplique sismique en 2011 de l’attentat du 11 septembre 2001 — l’excellent réflexe d’attirer sur eux la meute médiatico-populiste, et par là de la disperser, de la détourner en partie de Dominique Strauss-Kahn : Jean-François Kahn, Jack Lang, Bernard-Henri Lévy. Mais leurs choix différents des mots les fait ressortir de l’affaire dans des positions qui ne sont pas semblables.

Jean-François Kahn est celui qui restera marqué. Il aura prouvé à ses dépens, une fois de plus, que les questions sexuelles ne lui portent pas bonheur. Sa fréquentation assidue de Victor Hugo, gros consommateur de “petites bonnes”qui serait tout à fait “limite” aujourd’hui du point de vue de la pédophilie, explique mais ne suffira pas à excuser son expression « troussage de domestique ».  Déjà en juin 2009 il avait dû renoncer à son élection comme député européen à Metz et laisser son siège à sa suivante sur la liste Modem, parce que son patron politique Bayrou avait commis la très grave erreur de lancer en face à face à la télé une grenade dégoupillée à thème sexuel contre Dany Cohn-Bendit et qu’au lieu d’apporter des voix cela en fit perdre en masse à ses candidat(e)s : la preuve était faite que l’électorat français non seulement ne réagit pas de façon moutonnière aux paniques artificielles que l’on tente de lui imposer sur les questions sexuelles, mais punit ceux qui le soumettent à de tels électrochocs, le traitent de cette façon brutale ; il se considère offensé qu’on lui suppose une telle arriération réactionnelle et réactionnaire. Une leçon qui ne semble pas pas avoir été retenue à l’Elysée en 2011 à propos de l’affaire Diallo.

Jack Lang avec sa maestria de professeur de droit est parvenu à envelopper le taureau médiatique dans une série de passes serrées aboutissant à traduire son expression spontanée qui fit d’abord problème, « Il n’y a pas mort d’homme », en un argument juridique solide : on avait traité, c’est-à-dire maltraité Dominique Strauss-Kahn comme s’il avait commis un homicide.

Bernard-Henri Lévy, dès le 16 mai, a écrit ce qu’il n’a pas eu à traduire ou à défendre, puisqu’il parlait en son nom, et énonçait des jugements moraux personnels, à la fois certitudes ( « ce que je sais » ) et  désaveux ( « J’en veux à… » )  : « Ce que je sais c’est que rien ne permet que le monde entier soit invité à se repaître du spectacle de sa silhouette menottée… Ce que je sais, encore, c’est que le Strauss-Kahn que je connais, le Strauss-Kahn dont je suis l’ami depuis vingt cinq ans et dont je resterai l’ami, ne ressemble pas au monstre que l’on nous décrit… J’en veux au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images … J’en veux à un système judiciaire… J’en veux à cette presse tabloïd new-yorkaise, honte de la profession… »

En résumé, on aura eu une affaire Jean-François Kahn se greffant sur l’affaire Diallo, plus une demie-affaire Jack Lang, ramenée à un quart ; mais pas du tout d’affaire BHL.

 

Le Christ aux outrages, chapelle St Jacques en Tréméven, Bretagne
Le Christ aux outrages, chapelle St Jacques en Tréméven, Bretagne

BERNARD DEBRE EST-IL UN « HOMME RECOMMANDABLE » ?

On détachera comme le pompon la précieuse expression de l’exquis Bernard Debré, proférée par lui depuis la Chine où il était en voyage : « Dominique Strauss-Kahn est un homme peu recommandable ». Un député de la République française accable depuis un pays étranger un autre élu de la nation détenu comme prisonnier dans un autre pays étranger, et dont en tant que collègue il se doit plus qu’aucun autre de protéger  la présomption d’innocence. C’est exactement comme s’il insultait un otage français détenu par des fanatiques : ici des talibans calvinistes soumis aux surenchères populistes. Cette délation pétainiste de niveau international était assortie chez ce médecin de pronostics et diagnostics “sauvages”, comme eût dit Freud, qui auraient de toute façon violé (c’est le cas de le dire) le secret médical s’il avait été le médecin traitant de celui qu’il harcelait de façon planétaire. Mais ce n’était même pas le cas : alors de quoi je me mêle, finiront par objecter l’électeur et l’électrice de bon sens en remarquant que cette trahison de l’éthique professionnelle s’ajoute à celle de l’honneur patriotique. Deux instances avaient mission de rappeler à ces deux éthiques le “recommandeur” qui se prenait pour la statue du Commandeur : le bureau de l’Assemblée nationale et le Conseil de l’Ordre des médecins.

Il faut reconnaître à la formulation choisie de l’élégant Bernard Debré une vertu pédagogique en cette année anniversaire de la Commune de Paris de 1871, puisqu’elle rappelle une vérité de base de la science politique dans notre cher et vieux pays : en France on peut toujours compter sur la droite pour être anti-nationale.

Et là, maître d’hôtel Bernard Debré, sur le menu, la carte, vous avez quoi de “recommandable” ? Votre rancœur ou votre jalousie, votre méchanceté ou votre mesquinerie, votre insulte au sens élémentaire de la citoyenneté, ou votre tricherie avec l’honneur en ne démissionnant pas de vos mandats après cette trahison radicale du nom de Français ? Si vous teniez à être beaucoup ou même passionnément “recommandable”, c’est mal barré : vous voilà dans le peu ou le pas du tout. Vous venez de commettre la même erreur que Bayrou devant Cohn-Bendit ; vous ne regardez pas la télé ? Vous ne vous intéressez pas aux enseignements des élections ? Vous voilà par votre faute dans la catégorie félon, dénonciateur, traître. Lisez la page superbe, quasiment historique, en tout cas historienne, que Jean-Marie Rouart a publiée dans Paris-Match début juin contre les é-cucu-lubrations de Luc Ferry, sur le thème : les Français ont horreur des délateurs. Une horreur physique. Une répulsion intime, s’exprimant donc dans l’isoloir. Et quand vous en rajoutez une couche avec votre usage abusif de la médecine, au milieu d’une éructation qui manifestement est elle-même maladive, comment voulez-vous que l’électeur et l’électrice ne  hochent pas la tête en jugeant que vous feriez mieux d’aller vous faire soigner vous-même ?

« Dominique Strauss-Kahn est un homme peu recommandable » : n’oublions jamais que cette phrase fut prononcée depuis la Chine et qu’elle déshonorait la France. Des Chinois eux-mêmes la désavouèrent ; eux ne feraient pas ça. C’était le retour de la haine versaillaise, jusqu’à la trahison : une fusillade à bout portant sur un mur du Père-Lachaise médiatique. L’auteur de cette phrase a affaibli l’image de la République dans le monde. Donc contredit à la Constitution, rédigée par son père, Michel Debré. Il a sali ses ancêtres, éclaboussés dès lors qu’il se portait ainsi en avant pour participer à une campagne antisémite, forcément antisémite.

Il y eut « Arbeit macht frei » au-dessus de la grille d’entrée à Auschwitz-Birkenau, il y eut « Jedem das Seine » à Buchenwald, il y a maintenant la phrase de Bernard Debré qui est la même chose exactement. En vérité, je le dis : elle ne peut pas ne pas être entendue, comprise, reçue, autrement que comme la même chose exactement. Attention : certains dans la droite française tout en se présentant comme non lepénistes viennent de s’avérer capable de formuler et de soutenir la “recommandation” — et à l’étranger ! — de détruire, liquider, exterminer Strauss-Kahn. Tenez-vous sur vos gardes : voilà de quoi ils seront à tout instant toujours capables. Déjà ils remettent leurs masques, mais conservez leurs émissions, leurs articles, leurs interventions dans ce qu’ils appelaient “l’affaire Strauss-Kahn” et où ils voyaient leur “bonne affaire”. Rien de plus instructif : en trahissant, ils se sont trahis.

 

7 Commentaires

  1. « Il y eut « Arbeit macht frei » au-dessus de la grille d’entrée à Auschwitz-Birkenau, il y eut « Jedem das Seine » à Buchenwald, il y a maintenant la phrase de Bernard Debré qui est la même chose exactement. En vérité, je le dis : elle ne peut pas ne pas être entendue, comprise, reçue, autrement que comme la même chose exactement »

    Ce genre d’exagération ne peut qu’apporter de l’eau au moulin du négationnisme. En mettant Auschwitz à toutes les sauces, en accusant d’antisémitisme toute manifestation d’hostilité à quelqu’un qui se trouve être juif (même si nulle part sa judéité n’est évoquée dans les attaques contre lui), en équivalant la Shoah et la peu agréable mais loin d’être mortelle « perp walk » infligée à DSK, l’auteur ne rend service ni à DSK, ni aux Juifs, ni à la mémoire, ni à l’histoire.

  2. Excellent article, vraiment.

    Je crois que, maintenant que l’embrouille est sur le point d’étre démélée, il faut se préparer à défendre la manipulatrice qui va, très certainement, faire l’objet des foudres d’un Cyrus Vance et d’une opinion pudique américaine qui retournera sa « vingince » contre le symbole, qu’elle commence déjà à incarner, de la duplicité des émigrés qui veulent profiter de l’american way of life. Cette fois, personne ne voudra la défendre car il n’y aura plus rien à y gagner.

    Quelle misère de Justice et la nôtre n’est pas plus belle, non plus.
    Mor.

  3. Je ne suis pas particulièrement bon en maths mais il me semble qu’il y aurait comme un cafouillage en ce qui concerne votre sondage. Et je suis surpris que certains commentaires soient validés puis disparaissent. Je ne remets pas en cause votre droit à la publication ou à la non-publication, ce qui vous regarde, mais je vous le dis au cas où ce serait le fait de personnes malveillantes. Très cordialement.

  4. « Il est préférable de guérir l’offense plutôt que de la venger. La vengeance prend beaucoup de temps, elle expose à bien des offenses ». Sénèque Extrait de De la colère

  5. Nous n’en avons pas fini avec les révélations. Ce n’est qu’un début. Patientons et pas d’emballement! Une seule attitude: le mépris absolu pour tous ceux qui ont jugé et condamné. Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair et les enfants vont retrouver les grand air de la liberté, ce ne sera sûrement pas pour s’enfermer dans la prison de la vengeance. Honte à ceux qui hurlaient, ils n’ont plus qu’à se taire et retourner leur haine sur eux-mêmes.

  6. L’affaire DSK est-elle un complot pour écarter Mr DSK de la tête du FMI avant le G8 de Deauville ?
    Vraiment étrange l’ empressement de tous à nommer au pas de charge la française Lagarde à la tête de l’ institution …
    Mme Lagarde officiellement nommée et voilà l’affaire DSK qui semble se dégonfler , étrange.
    Nos médias français s’emballent aujourd’hui contre la femme de ménage, exactement comme ils se sont emballés contre Dominique Strauss-Khan au début de l’affaire, pas un média ne semble se poser plus de questions que ça sur les possibles manipulations hier ou aujourd’hui !

    Qui avait des raisons de faire démissionner DSK de son mandat du FMI avant qu’il le décide de lui-même ?
    Avant que cette sombre affaire n’ éclate, DSK avait lui même annoncé qu’on voulait le faire tomber et pourtant nos médias ne se posent pas de questions , rien .
    DSK aurait-il démissionné de son poste au FMI si la juge ne l’avait pas envoyé à la prison de Rikers Island ?
    Je me pose beaucoup de questions sur cette triste affaire , je ne suis certainement pas la seule à m’en poser !