Jeter en prison un homme pour des faits vieux de trente-deux ans et alors même que la plainte contre lui a été levée depuis des décennies est un acte grave, absurde et scandaleux. Si cet homme, par surcroît, a atteint sa soixante-seizième année, cet acte devient en outre abject. Mais le plus angoissant demeure la banalité que semble désormais revêtir, dans notre présent, une telle abjection.
Si, enfin, il se trouve que ce vieil homme est un grand artiste – imaginons qu’il s’agisse de Roman Polanski, par exemple – à l’abjection s’ajoute le fait que la haine de l’art est aujourd’hui ouverte et désinhibée. L’heure est à la fierté misomuse. La misomuse-pride bat son plein.
Comme Milan Kundera l’a superbement mis en lumière dès 1993 dans Les testaments trahis, le règne de « l’esprit du tribunal » ne s’est pas éteint avec la fin du nazisme et du stalinisme. Le tribunal démocratique et médiatique ne vise certes plus la liquidation physique de ceux dont il instruit le procès. Il se cantonne humblement à la destruction symbolique totale de ceux qu’il livre en sacrifice. Par sa haine de la complexité et sa négation forcenée de la sphère privée, le tribunal démokratiste s’inscrit très fidèlement dans la continuité du monde totalitaire.
Pour rejeter un être en dehors du monde humain, la prédilection du tribunal post-historique se porte pour l’essentiel vers trois chefs d’accusation dont son enthousiasme morbide semble ne jamais devoir se lasser : la pédophilie, le racisme et l’accointance totalitaire. Dans ces trois cas, le tribunal ne s’attache que très exceptionnellement à établir des faits. Les faits l’ennuient à mourir. Seule la personnalité de ses victimes l’intéresse. Le tribunal brûle d’une ardente passion pour l’intériorité de ses victimes. Il collectionne avec ferveur et patience les détails les plus insignifiants, dans lesquels il décèle invariablement les signes d’une subjectivité monstrueuse (pédophile, raciste, totalitaire).
Sa perversion redoutable tient en outre au fait qu’il incite puissamment ceux qui souhaitent prendre la défense de ses victimes à violer elles aussi, à leur tour, l’intimité de l’être qu’il a décidé d’exposer à tous, béant comme un quartier de viande. Il oblige même ses adversaires à entrer dans la viande de ses victimes.
Les prétendues « Affaires » Polanski et Mitterrand s’inscrivent dans cette longue histoire du ressentiment malfaisant et infatigable. Toutes deux usent la corde éculée de la « pédophilie ». Cependant, une question demeure. Comment le tribunal post-historique choisit-il ses victimes ? Deux critères paraissent insistants : la célébrité, d’une part ; le fait, d’autre part, d’être dans sa chair un homme de l’ancien monde historique. Roman Polanski et Frédéric Mitterrand ont la malchance de satisfaire à ces deux critères.
Avec Internet, le tribunal a pu s’étendre et se « démocratiser » dans des proportions nouvelles. Le déchaînement du ressentiment contre les hommes d’exception, les hommes libres, les hommes « coupables », les hommes à l’ancienne, n’y connaît plus de limites. Le réseau mondial du flicage et de la haine s’étend.
Ainsi triomphe la meute sadique des innocents.
Une première version de ce texte a paru en octobre 2009 dans Causeur, au vif de l’Affaire Polanski.
Meute? Quelle meute?
Elle n’existe que dans votre imagination et ne vous sert qu’à donner un pédigrée « résistant » à vos actions stupides.
Oui stupides, car si il y a largement de quoi argumenter contre le comportement de la justice américaine, vous ne rendez aucun service à Polanski en mettant en avant l’ancienneté de l’affaire et le statut de l’accusé comme argument pour clore le dossier.
Je doute que vous seriez aussi magnanime si la victime avait été votre petite sœur et non une jeune américaine inconnue de vous.
Vous sombrez carrément dans le ridicule quand vous gloser sur le « tribunal internet », car vous en faites partie!
Ma foi, les commentaires ne sont pas nombreux mais abondent dans le même sens…
Cette meute dont vous dénoncez les agissement ne trouve son fondement que dans l’hypocrisie de ces voix qui se sont élevées pr la défense de cet « homme d’exception » (cette posture qui viserait à justifier insidieusement qu’il faudrait y appliquer une justice d’exception est insoutenable!).
Cet homme m’indiffère totalement, tant par ses « productions artistiques » que par sa vie privée!
Ce qui me choque en revanche, c’est que soient évoqués son statut et son âge comme arguments de défense :
-« Si, enfin, il se trouve que ce vieil homme est un grand artiste » cet argument vaut tant pour ses détracteurs que pr ses défenseurs, il n’aurait pas trouvé tant de soutien parmi « nos intellos » s’il s’était agi d’un simple quidam!!! Alors ce procès d’intentons peut aisément vous être retourné 🙂
-« Si cet homme, par surcroît, a atteint sa soixante-seizième année, cet acte devient en outre abject », ah vous pourriez certainement nous éclairer : ds le droit existe-t-il une dispense -dont bénéficieraient les personnes âgées- de se conformer aux lois et de se soumettre à la justice???
Le seul argument sérieux que vs avanciez est l’ancienneté des faits, s’il y a prescription etc… Mais il me semble toutefois que c’est à la justice de se prononcer. L’erreur étant là justement, de la part des détracteurs comme des défenseurs, qui se sont arroger toute autorité pour en juger… Tous motivés par la notoriété de l’intéressé, en fonction de la bassesse ou de la grandeur qu’ils lui attribuent.
Quant à cette phrase « à l’abjection s’ajoute le fait que la haine de l’art est aujourd’hui ouverte et désinhibée », vous frôleriez le ridicule, si ce n’était une habile pirouette visant à masquer l’hypocrisie. Ce qui motive cette « meute sadique », ce n’est certainement pas l’art de ce type (par son contenu), mais bien le fait que vous voudriez qu’il suffise à protéger tous ces « grands hommes » de l’opprobre que leurs actes auraient valu à bien d’autres sans que personne ne s’en indigne -et bien pire, protéger du devoir répondre à la justice. Ce n’est assurément pas l’Art qui est visé. Mais il y aurait beaucoup à dire d’une certaine forme de « corporatisme » dont certains font preuve.
« Seule la personnalité de ses victimes l’intéresse. Le tribunal brûle d’une ardente passion pour l’intériorité de ses victimes. Il collectionne avec ferveur et patience les détails les plus insignifiant »
C’est amusant que cela vous surprenne ou vous choque sachant l’évolution de la société et de son intérêt croissant pour la chose privée (jeu auquel se prêtent allègrement nos bons artistes) et que le milieu artistique se soit d’ailleurs attribué la démarche, trouvant très souvent un axe de lecture aux œuvres des artistes ds les détails de leurs biographie…
La meute est moins pugnace lorsqu’il s’agit de juger les crimes qui ont lieu tous les jours et notamment ceux qui concernent la pédophilie au Pakistan par exemple. Chez les enragés de l’islam, les gosses sont des proies faciles.
Je suis d’accord avec Moix : Polanski c’est le génie et en plus il est juif, pas de bol…
Cependant, j’ai célébré son ours d’argent à Berlin et j’ai pensé à tous ces caques qui hurlent comme des hyènes. Ah que c’était bon, rien que d’imaginer leur bile remontant dans leur gorge, ça m’a fait un bien fou.
Certainement les victimes de pédophilie se posent-elles la question de savoir l’origine ou la religion du « pauv’vieux dégueulasse » qui abuse d’elles pour déterminer le degré de d’abjection de tels actes. (« Chez les enragés de l’islam, les gosses sont des proies faciles. […] et en plus il est juif, pas de bol »)
Vous vous appropriez parfaitement la démarche supposée de vos adversaires, à la différence qu’avec vous elle est avérée puisque vous soulignez ces appartenances et que vous en faites le motif de votre jugement!
On est d’accord. Que les Yann Moix et BHL continuent cependant d’accuser pour antisémitisme ceux qui veulent juger Polanski, que l’on continue cependant à critiquer d’homophobie ceux qui condamnent le tourisme sexuel d’un Frédéric Mitterand. Que tous ceux-là réunis continuent cependant de dire que le peuple est fasciste.
Faisons le choix entre la meute sadique des innocents et la meute sadique des coupables.
C’est exact. Il est donc temps qu’on en finisse avec ces accusations abjectes contre l’Eglise, et plus récemment les Jésuites. Il est également temps de réhabiliter Gabriel Matzneff, qui a le tort de croire qu’une muse est plus efficace horizontale que verticale. Enfin, il faut sauver Yann Moix de « La Meute ». Un homme qui glorifie Claude François et Michael Jacskon est un bienfaiteur de l’art.