¡Viva Crombecque!

Alain Crombecque vient de s’occulter (comme Christian Bourgois). Sobrement. Il y a presque un demi-siècle, il avait surgi de nulle part (comme Ch.B.). À  Vélosolex. Rien d’étonnant s’il a fini ses jours dans le métro.

Il se taisait dans un univers où nous ne savons pas rester silencieux. Dans un monde d’histoires drôles de jacuzzi pour la Joconde. Il a abordé le théâtre, pour la première fois, avec mes pièces. Une vingtaine d’entre elles. (Ch.B. allait publier 47 de mes livres). Il les a accompagnées à titre d’“attaché de presse”; le moins approprié s’agissant de lui. Mission absurde qu’il a accomplie absurdement en silence. En remportant des  succès absurdes. Quand les larmes ont un goût de whisky-new-god.

Il a donc commencé sa vie « spectaculaire » par mon théâtre. Lequel a été immédiatement et absurdement qualifié de « théâtre de l’absurde ». À cause de lui? Sans aucun commentaire  de sa part, il a « défendu » mes pièces. Je dirais plutôt qu’il a brillé, malgré lui, par son titre. En réalité plus que brillé, il a tout caché. En se cloîtrant dans le dernier des recoins. Avec  l’espérance araméenne de Paul Gauguin.

C’était un vrai plaisir de le voir face au critique « le plus important du siècle » ou au « journaliste le plus influent de la terre ». Il était capable, dans ses bons jours, d’ouvrir la bouche. Mais il restait imperturbable. Et, enfin disert, il pouvait opiner d’un bbrr en néo-espagnol. Mais tout ce qu’il touchait devenait un succès. Et parfois même  financièrement. Madame Roubéjanski pouvait jouer tous les soirs au casino l’argent qu’elle gagnait grâce à lui. Ou le célèbre comédien son pourcentage en prostituées de luxe et en trios dans la « città di sole ».

Depuis « Et ils passèrent des menottes aux fleurs » jusqu’à « Bestialité érotique » en passant par « Une tortue nommée Dostoïevski » ou « Les deux bourreaux » et grâce à sa taciturnité,  mes pièces sont l’objet d’une constante attention. Mieux encore : il a fait de mon « Cimetière des voitures » un spectacle « culte ». En tendant la main à Ramón Lameda, Ruth Escobar, Jorge Lavelli, Antonio Díaz Florián, etc., il est parvenu à créer mes pièces à Paris et « dans le monde entier ». Disposait-il d’une troisième main comme Cervantès ?

Parfois je me suis trouvé à Londres en même temps que lui. Inoubliable mon – non: « son » – « Labyrinthe » mis en scène par Jérôme Savary. Ou à São Paulo « ma » « Communion solennelle »  réalisée par un Víctor García éblouissant. Il savait se taire, au-delà des frontières, avec la même dextérité polyglotte quand bâille l’immortalité.

Puis je me suis éloigné de lui par le passage zébré. (Comme de Ch.B.). Sans m’en rendre compte, en fakir avale-boeings. Est-ce que je me sens trop « anar » pour coudoyer ceux qui triomphent? J’ai appris qu’à (très) juste titre, il était devenu une sorte de vice-ministre de la Culture. Normal. J’ai su qu’il dirigeait avec le même succès le Festival d’Automne que celui d’Avignon. Plus normal encore avec des lunes de Kabuki.

Soudain et sans savoir pourquoi il y a quelques jours nous avons déjeuné ensemble. (Comme auparavant avec Ch.B.). Au bout de quatre-vingt-dix ans et quelques. Il souhaitait me voir enseigner les échecs à sa fille adorée. Son adorable Hélène. Pour courir vers le passé; plus vite! J’ai dû lui avouer que, bien que depuis un demi-siècle je me trouve toujours devant « mon éternelle partie d’échecs » (Breton « dixit »; et  ajoutait-il, comme un blâme de plus, « avec Marcel Duchamp»), ce jeu est l’une de mes frustrations. J’ai autant de chances de battre aux échecs l’adolescente chinoise Hou Yifan que Tyson sur un ring. Entre deux silences Crombecque a profité d’une pause pour  me montrer la copie d’une lettre. Dans laquelle il demandait au directeur de « la maison rouge » d’organiser pour moi un hommage lors du Festival de 2010. (Comme Ch.B. m’avait promis de rééditer les 47 livres qu’il avait commencé à publier dans sa jeunesse).

Puis il m’a emmené dans son petit appartement beckettien. Presque monacal. Je n’aurais pas été surpris si, comme Beckett rue des Favorites, il s’était contenté du divan proche de sa cuisine de poche.

La  douleur nous fait chanceler, après la mort de l’ami. Moi aussi je voudrais croire que, entre la vie et la mort, le ciel et la terre, il y a un pont tricolore que l’on nomme arc-en-ciel. ¡Viva Crombecque!

Fernando Arrabal. Paris, 12-X-09 (« vulgaris ») ou 7, Haha de 137 de l’E.’P  (S. Proust abbé).

3 Commentaires

  1. Mais où sont les blogs??????????????????
    Merdre!!!!!!!!!!!!
    Vivement Arrabal now!!!!!!!!!!!!!!!!

  2. Beckett a écrit une centaine de lettres à Arrabal. La plus longue, fut adressée en 1966 aux juges madrilènes qui gardaient l’Espagnol en prison. Une vraie régle du « jeu » … d’écrire. Elle est d’une précision grandiose. Très meritée par le T.S pataphysique.

  3. Quel texcte fou & précis & amical & différent à tout.
    Excellebt début por vos blogs chère « régle du jeu »