« …En 1963, trois textes fondateurs de Panique viennent bousculer les conformismes de l’époque : Poulet rôti de Jodorowsky, Premier manifeste panique d’Arrabal et Mémento panique de Topor . Quatre décennies plus tard, Arrabal lance un nouveau manifeste panique pour le troisième millénaire. Le livre Panique.
Manifeste pour le troisième millénaire est publié chez Punctum éditions. Il rassemble l’ensemble des textes qui avaient été publiés en 1973 dans la collection 10/18 dirigé par Christian Bourgois auxquels s’ajoute ce Deuxième manifeste panique et un entretien inédit de Fernando Arrabal avec Jean-Marc Debenedetti.
Avec ce livre, vous aurez donc en main les textes essentiels du corpus panique.
Constatant que le virus de la connerie n’a cessé de se propager, que notre époque est figée, de manière « colossale« , Jean-Marc Debenedetti dans son prologue à Panique replace cette création dans le serpent des mouvements qui «se sont manifestés pour refuser la mort de l’esprit» qui comporte notamment le Romantisme, le Symbolisme et le Surréalisme. Concevant ces mouvements comme des poupées russes emboîtées, il insiste à raison, ou plutôt à folie salvatrice, sur « l‘absolue nécessité de la résurgence d’une utopie« .
Au départ, Panique, comme presque toujours, ne veut pas être un mouvement mais une attitude rebelle à toute forme de conformisme, à toute forme tendant à se pérenniser même puisque Panique s’opposa au Surréalisme avec lequel il partage pourtant bien des aspects, le Surréalisme initiant d’une certaine manière le Panique.
Panique naît d’un rien au début des années 60. L’année 1963 semble décisive. Arrabal parcourt le monde pour à la fois découvrir, développer et transmettre « l’idée de L’Homme panique ». De nombreuses publications viennent bousculer les forts préjugés ambiants et font scandales. Trois textes importants sont publiés en 1965 : Théâtre panique d’Arrabal, Panic de Topor et Teatro panico de Jodorowsky. Il faut noter que Panique fut l’un des rares mouvements d’avant-garde à s’emparer avec succès de la scène théâtrale. Mais la littérature et le cinéma ne sont pas en reste. D’autres noms Abel Ogier, Szafran, Zeimert, Ruellan, jalonnent ce mouvement d’oeuvres fortes et essentielles.
Jean-Marc Debenedetti fait bien entendu le lien avec les mouvements de Mai 1968 : « s’il n’est pas douteux que le panique prenne racine dans le terreau du Surréalisme historique finissant, il caracole avec le Situationnisme et la Beat generation. » Il voit dans les révoltes de Mai 68 un magnifique exemple de la confusion à laquelle se référait Arrabal dès le premier manifeste, la confusion comme « unique vérité » : « Tout ce qui est humain est confus. » clamait puis écrivait Arrabal en 1963 dans L’homme panique, et aussi : « Toute tentative de perfection est une activité tendant à créer une situation artificielle (de non-confusion) : c’est donc une entreprise inhumaine. »
Le Deuxième manifeste panique. Troisième millénaire se présente en trois parties. La première partie définit sans définir : Univers panique, Séquence panique, Panique, Confusion, Temps, Espace, Réalité, Théorie panique. La théorie panique qualifiée « d’a-théorique » est située par rapport à la mécanique quantique d’une part, à la relativité d’autre part :
« Les trois avatars du Théâtre de la réalité » :
Dans le premier avatar Newton (comme Démocrite) décrit le « Théâtre de la réalité » comme s’il était dominé par le temps et l’espace « réels ».
Dans le second, Planck et les « quantiques » décrivent le « Théâtre de la réalité » comme s’il était dominé par « l’irréalité » de l’espace et du temps.
Dans le troisième, Einstein et les « relativistes » décrivent le « Théâtre de la réalité » comme s’il était dominé par un seul protagoniste, l’espace-temps.
Dans le quatrième, le panique décrit le « Théâtre de la réalité » dominé par l’espace et le temps barbotant dans la confusion.
Face à lui l’hypocrite philosophique et le crétin médical soutiennent les rituels démagogiques de l’Etat rationnel.
La deuxième partie traite de la Physique, des Ancêtres du panique, et d’une série de concepts comme : Hallucination, Surdoué, Information, Hasard, Ontologie du panique…
La troisième partie traite de Paradoxes, Objet du panique, Grande Unification, Matière, Jaculatoires…
Arrabal insiste sur le fait que l’objet du Panique « Ce n’est pas de découvrir ce qu’est la confusion mais seulement de ce que l’on peut en dire. Le cerveau d’un panique a renoncé à tenter de comprendre le monde. Il essaie seulement d’analyser notre effort pour découvrir sa confusion. » Il ajoute : « Les scaphandriers et les spéléologues qui plongent au plus profond ou creusent sous les ruines et gravats de ce que nous nommons la réalité ne trouvent que la confusion panique et son alliée, l’information. »
Ce deuxième manifeste a la force du premier manifeste panique… l’entretien accordé à Jean-Marc Debenedetti par Arrabal… au milieu des péripéties et des souvenirs, Arrabal laisse tomber quelques perles de feu qui rappellent la puissance de sa poésie et la liberté de l’attitude panique :
« Nous sommes dans la confusion, l’ambiguïté, un mot qu’aimait Cervantès, l’indétermination comme le disait Heisenberg. Or la poésie, le théâtre, l’art, l’amour et l’amour de l’amour naissent du hasard, de la confusion, agissent par coups de théâtre et par coups de foudre. Les big bang qui se manifestent à chaque instant sont provoqués par la mémoire et les pensées sont filles du hasard et de la confusion. Nous ne sommes plus intéressés par la chaîne des causes et des effets. Nous sommes paniques. »
L’ensemble de ce livre, c’est essentiel, apparaîtra comme un hymne sauvage, drôle, impertinent et confus à souhait, à la liberté.
Rémi Boyer
Vendémiaire n° 25.