Tweets @arrabalf =
autre arrabalesque: … ce ministre ne dit pas seulement des stupidités mais encore il les écrit … et il les signe!
otro arrabalesco: … ese ministro no solo dice estupideces sino que además las escribe… ¡y las firma!
____________
De l’anarchisme à Panique : Arrabal, libertaire mystique
Quand Fernando Arrabal se lance dans la rédaction de sa Lettre au Général Franco en 1971, ce n’est pas pour déclarer sa haine à l’homme qui a condamné son père et interdit la diffusion de son œuvre dans son pays, mais pour léguer un témoignage sur les ravages causés par le franquisme. Dès lors, dans une perpétuelle volonté d’étiqueter les hommes, pratique sans doute rassurante, l’anti-franquisme d’Arrabal incite certains à le rapprocher du communisme, dont nombreux artistes d’avant-garde faisaient partie. Cependant, il est bien difficile de se satisfaire de ce type d’amalgame simpliste et réducteur, surtout lorsqu’il s’agit d’Arrabal. Dans son entretien avec Alain Schifres en 1969, Fernando précise d’ailleurs que « la haine du franquisme contre [lui] vient justement de ce que [son] anti-franquisme n’est pas un programme mais qu’il va de soi. C’est cela qu’ils ne peuvent supporter. Si [il] appartenait à un parti, ils seraient peut-être plus tranquilles »[1]. Et en effet, le dramaturge ne cesse de marteler qu’il n’appartient à aucun parti politique. Dans l’« Avant-propos » de sa lettre à Fidel Castro, il récuse le fait d’être taxé d’auteur engagé : « Tout au long de ma vie et en tête à tête avec moi-même, j’ai écrit ou réalisé la presque totalité de mes romans, pièces de théâtre, poèmes ou films, sans voir se profiler l’outrecuidant visage de la politique. Et je n’ai rédigé ces deux lettres, que poussé par une inquiétude désolée, incapable de garder le silence sur les forfaits commis par les deux régimes ». Sa lutte contre le franquisme n’est donc pas une question de personne, mais bien de principes, tout comme son aversion pour les communistes, autres « grands criminels » et représentants d’une forme de totalitarisme tant réprouvé. Aussi disposé à violer son esprit et son œuvre que l’Espagne franquiste, Arrabal va rapidement dénoncer les abus du PCE qui selon lui veut le faire passer pour un paranoïaque qui souffre d’un complexe de persécution. Mais les attaques de ceux qu’il abhorre, la censure et la calomnie, deviennent pour lui d’inestimables honneurs. Dans sa lutte contre les totalitarismes, il publie en 1977 – année de la légalisation du PCE – Carta a los militantes comunistas espanoles, comparant l’intolérance des communistes à celle des franquistes, et désignant le parti comme une entrave à la création d’une société juste. En 1984, c’est au dictateur cubain qu’il s’adresse dans sa Lettre à Fidel Castro où il dénonce la manipulation, le mensonge, l’anéantissement de la culture et la mutilation intellectuelle au profit d’un état militaire et décadent où il vaut mieux fléchir que réfléchir.
Antifranquiste, puis anti-communiste, disgracié dans son pays natal par la droite, puis par la gauche, certains vont même jusqu’à reprocher à son œuvre des visées commerciales tandis que d’autres le qualifient d’anarchiste. Nouvelle étiquette, mais que cette fois-ci l’écrivain s’amuse lui-même à porter, en particulier quand cela lui permet de réaffirmer qu’il ne se mêle pas de politique. Pour autant, sa manière de « vivre l’anarchisme » est peu banale et fait de lui un être surprenant, voire provocateur pour certains. En effet, c’est « par hasard » et « sans préméditation » qu’il se considère comme anarchiste et lors d’entretiens il avait déclaré : « He creado un partido anarquista con un solo miembro, yo, y a veces me expulso »[2] ou encore cité Sancho Panza : «Je ne fais ni ne défais les rois mais je me sers moi-même qui suis mon seigneur et maître»[3]. Si l’on considère le terme « anarchie » au sens premier de « an-arkhia », qui désigne une absence de hiérarchie, d’autorité unique ou encore la revendication de la multiplicité face à l’unicité, on peut en effet considérer Arrabal comme anarchiste dans le sens où la concentration du pouvoir est pour lui une entrave à la liberté. En revanche, on ne peut associer Arrabal et son œuvre à la conception péjorative de l’anarchisme comme volonté de susciter le désordre, le trouble et le chaos. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Arrabal ne recherche pas la confusion. Si cette dernière le fascine, il n’en établit qu’un constat, cherchant à immiscer dans son œuvre une certaine rigueur et dans laquelle la composition doit être parfaite, tout en reflétant le chaos et la confusion de la vie.
Cependant, si le dramaturge ne croit ni aux gouvernements, ni à la propriété ou à l’argent, l’anarchie selon lui « n’est viable que si elle ne réussit pas. [Elle] est bonne comme opposition »[4]. Dès lors, il semble clair que le plus important pour Arrabal n’est pas l’engagement politique, rattaché à un parti ou à un courant particulier, mais bien une posture et une philosophie qu’il exprime dans sa vie et dans son œuvre par une attitude libertaire et contestataire, seul moyen pour lui d’être utile. Lors de son procès en Espagne en 1967 pour insulte à la patrie dans une dédicace, il déclare au juge : « Je continuerai à servir à l’art et la littérature Espagnols avec mes œuvres de poète, c’est-à-dire que je continuerai à défendre la liberté ». En effet, la seule manière d’être militant pour un poète, c’est de se consacrer à son écriture, non d’appartenir à un parti comme l’a fait Breton et de nombreux auteurs d’avant-garde : « La meilleure façon d’en tirer parti, à mes yeux, c’est d’essayer de faire partager aux autres la richesse intérieure, l’originalité de la vision, qui demeure unique. Et cela se fait par l’intermédiaire de la création, qui donne à voir aux autres ce qu’ils ne pourraient jamais voir par eux-mêmes »[5].
Par le biais de son œuvre Panique, Arrabal ne se veut pas volontairement et stérilement provocateur, mais il utilise sa liberté et sa capacité d’expression pour lutter contre toute pensée totalitaire et toutes les formes de dogmatismes, qu’ils soient politiques ou religieux. Sa seule manière de se rebeller, c’est de réfléchir et de remettre en cause un modèle établi dans lequel les valeurs semblent inversées, qui prône une morale unique venant scléroser et annihiler la pensée humaine. C’est sans doute ce goût excessif pour la liberté et l’anticonformisme qui fait passer Arrabal pour un auteur subversif, loin de laisser sa pensée entravée dans des carcans donnant une illusion de liberté. Et s’il nous semble plus juste de qualifier Arrabal de libertaire mystique que d’anarchiste, c’est qu’à l’aspect révolutionnaire de son œuvre panique s’ajoute toute une dimension spirituelle. En effet, au milieu de l’absurde, de l’humour noir, de l’onirisme et d’une certaine violence, on trouve dans son théâtre panique tout un aspect cérémonial et spirituel, rituel et mystique, qui pousse les spectateurs à s’interroger sur la condition humaine et l’existence d’autres possibilités que celles que l’on nous impose. Ainsi, ce n’est pas une révolution sanglante et source de chaos que prône Arrabal, mais bien l’utilisation des mots comme arme contre ses ennemis, dans une lutte pacifique pour la liberté et la justice. Sans prétendre avoir quelque impact sur le monde qui l’entoure, déclarant n’être qu’un « modeste individu qui écrit poussé par l’aile de la liberté », la création Panique n’en est pas moins une nécessité nous menant vers d’autres formes de connaissances, et donc la liberté.
[1] Alain Schifres, Entretien avec Arrabal, éd. P. Belfond, 1969, p. 52.
[2] « J’ai créé un parti anarchiste avec un seul membre, moi, et parfois je m’expulse », Entretien avec Paula Arenas, mai 2011.
[3] Entretien avec Maria Adamopoulou, janvier 2010.
[4] Entretien avec Brieux Férot, avril 2010.
[5] Albert Chesneau et Angel Berenguer, Entretiens avec Arrabal, Plaidoyer pour une différence Presses universitaires de Grenoble, 1978, p. 113.