Comme ce fut facile… Comme ce fut simple…

 

Comme ce fut facile d’écrire une lettre au général Franco de son vivant.

Comme ce fut facile d’avoir, non pas une ligne ou un chapitre ou un livre, mais toute l’oeuvre mise au ban au décès du dictateur.

Comme ce fut simple (le général mort et la démocratie rétablie) de faire partie de l’escadron [5] des « formellement interdits » de retour en Espagne.

Comme ce fut facile d’avoir encore par décision judiciaire l’un des films les plus vus hors du pays privé de projection.

Comme ce fut simple de dire au délégué espagnol (au restaurant des Nations Unies des années 60) ce que tu pensais de sa mission de défenseur de la dictature. La prudence exige de taire la découverte controversée.

Comme ce fut facile au Mexique avec l’aide d’Octavio Paz de répliquer à García Márquez et ses attaques contre les migrants et les boat people vietnamiens.

Comme ce fut facile d’écrire une lettre à Fidel Castro du vivant du comandante.

Comme ce fut facile d’apporter au famélique Cambodge (symboliquement) quelques sacs de riz.

De retour du Cambodge j’ai dit à beaucoup d’incrédules que le nouveau régime avait éliminé un million de personnes. Un amical chroniqueur m’a répondu : « Ce que tu dis est si réactionnaire que même mon directeur, qui fait partie de la clique des fachos, ne publiera pas une telle nouvelle ». Bien évidemment il ne la publia pas. En réalité, en vidant les grandes villes, le nouveau régime n’avait pas passé par les armes un million d’innocents, mais un tiers du pays. Un éminent essayiste présent à Pnom Pen après avoir expliqué (dans un récit également prestigieux) que même les vieillards portant à la main leur « goutte-à-goutte » partaient de la capitale pour se rendre aux rizières, fit ce commentaire : « Pour si peu de jours qu’il leur reste à vivre ! ».

Notre expédition au Cambodge …il y avait parmi nous des écrivains renommés, des prix Nobel… En arrivant à la frontière nous sommes tombés littéralement sur une haute palissade en bambous. J’étais curieux de voir ce qu’il y avait derrière. Rien de plus simple que d’écarter quelques bambous et d’observer les jeunes soldats qui, nous voyant vêtus à l’occidentale, nous imitaient, morts de rire.

Avec l’inoubliable Roland Topor (il a grandi à la sueur de ses rejets) nous avons pénétré dans le Bois de Vincennes où, selon les déclarations des organisateurs, s’étaient réunis plus d’un million de « progressistes ». La première chose que nous avons faite a été de sortir un grand linge de notre sac à dos:  Contre le goulag. Ce n’était qu’un de nos draps grossièrement peint. Aucunement une bannière emblématique. Plus tard on nous a accusés d’être payés par… Quel dommage que ce ne fût pas le cas : notre banderole aurait été moins chétive ! Les militants se sont jetés sur nous, très menaçants. Pour nous tuer ? Heureusement la police  du parti  nous a protégés et permis de sortir du Bois indemnes.

Comme ce fut simple de reconnaître que le magistral tableau du prodigieux Picasso n’a absolument rien à voir avec le sauvage bombardement de Guernica par 44 avions de la Légion Condor nazie le 26 avril 1937.

Comme c’est facile de savoir ce qu’est le surréalisme en lisant trois manifestes (2+1) . Évidemment le temps n’a pas une réalité objective.

Oui, c’est vrai, tout fut facile et il est aussi simple aujourd’hui qu’hier de vivre poétiquement, tel quel… aux experts il faut rappeler les certitudes flagrantes.

Personnellement j’ai le bonheur d’être entouré d’êtres très supérieurs à moi qui m’ont toujours appris ce qu’il est indispensable de savoir. À commencer par mon père et ma maîtresse d’école. La connaissance est toujours à l’opposé de l’esprit du temps et ses modes.