« Lettre d’amour » (Comme un supplice chinois)

de Fernando Arrabal:

Théâtre Dielefsis d’Athenes

du 1er Octobre 2019 au 28 Février 2020,

dans la traduction de Nektarios KOSTANDINIDIS

et la mise en scène de Sotiris ECONOMOU.

***

Le temps de la première fois (F.Arrabal)

En écrivant Lettre d’amour, je revivais le temps de “la première fois”. La pièce faisait de moi son oeuvre, comme dans la pêche le noyau engendre la vie. Lorsque j’ai commencé à la rédiger, j’avais l’impression que des sentinelles minuscules attendaient des messages, postées aux articulations de mes mains et de mes pieds, au bout de mes doigts, de mon sexe, et sur la rétine de mes yeux. Le souffle du nouveau-né me régénérait : c’était la respiration embryonnaire de qui ne peut s’élever, être heureux, immortel, que par le théâtre. De qui inverse le processus vital pour parvenir à la création. Je me sentais habité par le firmament. J’oubliais même que j’écrivais : j’étais enfermé en moi-même alors que je révélais mon intimité. Lettre d’amour anéantissait mon rapport au temps et à l’espace, comme si elle renfermait le secret de l’éternité. Ma gorge était nouée par les liens d’amour-haine tissés avec la femme qui m’a donné le jour. Comme si le conflit oedipien et la tragédie de l’Histoire, la condamnation à mort de mon père et le mystère de sa disparition venaient de surgir à l’instant. Parfois, j’étais convaincu que j’avais échoué en tout : je croyais que mon corps abritait des scorpions venimeux, des serpents pervers, des bourdons mouchards qui dénonçaient à ma tête les fautes de mon ventre. Je ne pouvais les expulser qu’en écrivant.  Parfois aussi, maîtrisant mes craintes, je me laissais éblouir par mes infortunes fatales. J’écrivais sous la dictée de ma vie, de mon enfance, de mes rêves, dans l’espoir de les retrouver conformes à mes désirs dans ma mémoire. Avec quelle soudaineté un souvenir m’emportait vers un paradis ou un enfer inconnu, comme si, des ailes fixées sur mon dos, je pouvais m’élever vers le firmament. Je ne souhaite pas voir mon théâtre s’inscrire dans les Registres de l’Immortalité… je désire seulement jouir chaque jour de quelques instants de bonheur. Je conçois Lettre d’amour comme un égarement lucide. Forme et fond, esprit et délire, en tous points semblables, s’unissant pour ne faire qu’un.  J’ai tant rêvé d’écouter cette pièce (le jour de la première mondiale à l’Habimah National Theatre), interprétée par la prodigieuse Orna Porat. L’exil est ma découverte inépuisable. Quelle joie imméritée queLettre d’amour soit précisément créée en Israël, depuis la révélation qu’a été mon voyage aux sources de l’ineffable.