…en francés et en espagnol

T O P O R

ET  LE PLAISIR DOULOUREUX DE PLEURER

Picasso et Aragon, comme ils errent  déjà loin  dans le royaume des morts ! Ils déambulent dans la région d’Alberti et de  Fernand Léger. Comme ils se sont vite éloignés de moi! Warhol, Dali, Ionesco, Beckett, en se déplaçant tout doucement, glissent vers les confins de la mémoire en formant un autre groupe. Mon meilleur ami pendant quarante ans, Roland Topor, le 16 avril 1997 a traversé  la herse de l’au-delà. Avec quelle courtoisie mes amis morts se laissent-ils dépasser les uns par les autres.

 

J’ai cru ne pas pouvoir vivre sans eux quand ils s’en sont allés pour toujours… vers l’immense soleil? Qui se délecte maintenant de tant de génie, de tant de générosité, de tant d’humour là où ronfle l’infini?

 

[Bien qu’en un no man’s land la figure de mon père  apparaît si proche, si radieuse, comme mon modèle inégalé. Il a survécu après avoir échappé à la peine de mort  et à la mort… Quand, il y a  76 ans, il a fui sa captivité  il a disparu, mais… pour ne plus jamais mourir].

 

Avec  quel enthousiasme  j’ai voulu cacher Topor  sous  l’immortalité et ses félicités. Tenter de vaincre  la mort semble si insensé. Mais  en Egypte le « pharaon » ne mourait pas. Il se réincarnait en un dieu après sa mort. Ses courtisans enterrés près de lui ne disparaissaient pas non plus. Pourquoi Topor (ou Simon Leys ou Dario Fo) a-t-il dû me quitter pour toujours, me laissant tremblant dans ma solitude?

 

J’ai si souvent rêvé de Topor depuis son occultation. Achille, dans ses rêves,  bouleversé par la mort de son ami, voyait aussi son bien-aimé Patrocle. Le jour des funérailles de Topor mes pleurs m’ont empêché de finir le discours que j’étais en train de prononcer au cimetière Montparnasse. Gilgamesh n’a peut-être pas non plus terminer le sien à la mort de son ami. D’après la légende , à force de pleurer, il réussit à  parler à son Eabani adoré.

 

En ces moments le professeur Fabrice Topor (d’Almeida) s’est comporté avec tant d’altruisme! Comme la professeure émérite Hélène Topor, Kazik Hentchel, Olivier O. Olivier, Bernrhard Willem et tant d’autres. Tandis que certain absent s’est empressé de vendre au rabais tout ce qu’il pouvait

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Le fleuve des larmes  est appelé Cocyte et il serpente à la frontière du royaume des morts. Le chien Cerbère en garde l’entrée: un chien à trois têtes et queue de serpent… c’est-à-dire, une queue d’éternité.

 

La déesse de la Justice, selon Ovide, donna un conseil barbare aux survivants du déluge, angoissés  par la mort de leurs proches: « Ne sanglotez pas. Jetez les os de vos aînés derrière vous ». Mais moi, je ne me console qu’en répétant les gestes et les mots de mon ami et  en conservant la grâce muette de son dernier souffle.

 

Je  me sens si  proche de Yami: les brahmanes disent  que, ne pouvant oublier la mort de son ami  et frère Yama, le dieu  arrêta le temps  en  répétant sans cesse avec conviction: «c’est seulement aujourd’hui qu’il est  mort». C’est pourquoi les dieux  ont créé la nuit , afin  qu’à son réveil il  puisse   oublier la mort de son ami. Dans les ténèbres de  mes nuits le souvenir brisé vogue à la dérive.

 

Les gens bien intentionnés ont tenté de me soulager en me cachant même  l’instant de sa mort : « Topor est mort sans s’en apercevoir »,  « sans se sentir partir », « il n’a même pas dit adieu ». Je  préfère ce personnage de Tolstoï  qui a dit « De par Dieu laissez-moi mourir comme il se doit ».

 

On ne cache plus les parties intimes mais on escamote le fatal naufrage de la mort. En violant règlements et portes  j’ai pu accéder à la chambre de l’hôpital où, une fois occulté, on l’avait mis tel en cellule. J’ai pu embrasser son visage encore chaud que personne ne laverait plus.

 

 

En Egypte pendant des années on nourrissait symboliquement les morts lavés, purifiés, pleurés, momifiés. Mon ami Nakako et sa femme Beatriz, de Grenade,  m’ont invité à manger chez eux à Kyoto… en compagnie de ses ancêtres à lui. Notre hôte a servi à chacun d’eux une petite portion de son mets préféré  et a versé un doigt de vodka pour son oncle de Yamanasi, qui aimait cette boisson.

 

Gilgamesh, il y a  4000 ans a combattu des monstres et des taureaux ailés, mais l’ouragan de la douleur l’a fait chanceler, hébété, à la mort de son ami. A tel point qu’il n’ a pas accepté la Mort. Il  a même  voulu se venger d’elle. Comme je le comprends…

 

Il est parti à la recherche de l’immortalité pour ressusciter son inoubliable ami. Il est allé au-delà du Lac des Enfers sans écouter la voix de la raison.

 

 

Et il a trouvé l’herbe miraculeuse, car Gilgamesh savait que les dieux ont créé les hommes immortels. C’est ce que disent toutes les mythologies. Comme il m’en coûte d’accepter que Topor (ou Louise Bourgeois, ou Umberto Eco) soit occulté pour toujours!

 

Pourquoi les dieux n’ont-ils pas proposé à Topor (ou à André Breton, ou à  Marcel Duchamp), comme ils l’ont fait au boulanger Adapa de Mésopotamie, la boisson de la vie éternelle?  D’ après la légende, le boulanger, poussé par le dieu de la connaissance Ea, a refusé  le breuvage d’immortalité. Topor ne se serait pas laissé berner par des  charlatans.

 

Malheureusement lorsque Gilgamesh, de retour  avec l’herbe de l’immortalité, s’est agenouillé près d’une source pour étancher sa soif, le serpent « l’animal qui mue éternellement » a profité de cet instant d’inattention pour lui dérober son précieux trésor.

 

Homère nous raconte aussi que Déméter aspergea le fils de Métanire d’une pluie de flammes purificatrices. Lorsque la mère poussa un cri de frayeur Déméter,  de surprise, laissa l’enfant tomber l’enfant dans les braises. « A cause de ta folie, Métanire, ton fils est mort brûlé  et il ne sera pas immortel ».

 

La perte de l’immortalité a toujours été due à un détail absurde ou à une erreur ridicule. (Laquelle  ai-je commise pour que meure Topor ?), telle la pomme d’Eve. L’homme n’a marché qu’une seule fois sur la lune, déesse de l’immortalité (en 1969), sans lendemains qui chantent. Le cosmonaute Armstrong aurait-il  voulu crier (face à la lune) comme Achille (face à Ulysse): « Je préfère être esclave plutôt que régner sur l’empire des morts ».

 

 

La mythologie nordique  a conçu le moyen  que ma douleur exige  pour revoir Topor: « Entre la vie et la mort, entre le ciel et la terre …il y a un pont, tu ne l’as pas vu? Il a trois couleurs. Tu l’appelles l’arc-en-ciel ».

 

 

Les « immortels » s’éloignent de moi pour monter au Ciel, ou Paradis, ou vers l’immense soleil. Les Egyptiens  imaginaient que les élus batifolaientt dans  des prairies d’étoiles  en  tétant éternellement le sein de la déesse Nut. Homère supposait que « la plus douce vie » se trouvait    au bout du monde, aux Champs Elysées. Platon croyait en une île des Bienheureux et Pindare en une deuxième Olympe  réservée aux plus méritants. Tandis que, pour les plus humoristes, Protée concevait un paradis avec des troupeaux de phoques.

 

 

Moi aussi j’entends, comme les créatures de l’Odyssée, les mugissements du taureau, mais aussi  les sifflements du serpent. Pourquoi Topor et mes amis ont-ils dû s’occulter? L’homme  est-il aujourd’hui moins immortel que jamais?

 

***

…en español y en francés:

T O P O R
Y EL PLACER  DOLOROSO DE LLORAR

 

 

Picasso y Aragon ¡qué lejos vagan ya por el reino de los muertos! Deambulan por la zona de Alberti  y Fernand Léger. Cuán prontamente se fueron distanciando de mí. Warhol, Dalí, lonesco y Beckett, desplazándose lentísimamente, se deslizan hacia los confines de la memoria formando otro grupo. Mi mejor amigo durante cuarenta años, Roland Topor, traspasó el 16 de abril  de 1997 el rastrillo del más allá. ¡Con qué cortesía mis amigos muertos se dejan adelantar unos por otros!

 

Creí que no podría vivir sin ellos cuando se fueron definitivamente… ¿hacia el inmenso sol? ¿Quién se deleita ahora con tanto genio, tanta generosidad y tanto humor allá donde ronca el infinito?

 

[Aparece también, pero en tierra de nadie, la figura de mi padre, tan cercana y radiante, como mi modelo insuperable. Sobrevivió tras escapar a la condena a muerte y a la muerte. Cuando hace 76 años se fugó de su cautiverio desapareció, pero… para nunca más morir].

 

Con qué ilusión quise esconder a Topor debajo de la inmortalidad y sus venturas. Tratar de vencer a la muerte parece tan insensato. Pero en Egipto el «faraón» no moría, se reencarnaba en un dios después de su muerte. Como tampoco perecían sus cortesanos enterrados junto a él. ¿Por qué tuvo que abandonarme para siempre Topor (o Simon Leys, o Dario Fo) dejándome temblando en la soledad?

 

He soñado tanto con Topor desde su ocultación. Aquiles en sus sueños, trastornado por la muerte de su amigo, también veía a su querido Patroclo.

 

El día del entierro de Topor el llanto me impidió concluir el discurso que pronunciaba en el cementerio Montparnasse. Quizás tampoco Gilgamés pudo acabar el suyo a la muerte de su amigo. La leyenda cuenta que a fuerza de llorar consiguió hablar con su idolatrado Eabani.

 

En aquellos momentos el  profesor  Fabrice Topor (d’Almeida) se comportó  ¡con tanto altruismo!   Como  la profesora emérita Hélène Topor,  Kajik Hentchel,  Olivier O. Olivier,   Bernhard    Willem y tantos otros. Mientras  que  algún ausente  al funeral  de R. T. se precipitó para mal vender   todo lo que podía.

El río de los llantos se llama Cocito y serpentea en la frontera del reino de los muertos. El cancerbero custodia la puerta: un perro con tres cabezas y cola de serpiente… es decir con rabo de eternidad.

 

La diosa de la Justicia, según Ovidio, administró un bárbaro consejo a los supervivientes del diluvio angustiados por la muerte de sus familiares: «No sollocéis. Tirad los huesos de vuestros mayores a vuestras espaldas». Pero a mí solo me consuela repetir los gestos y palabras de mi amigo y conservar la gracia muda de su último soplo.

 

Me siento tan próximo a Yamí: cuentan los brahmanes que, incapaz de olvidar la muerte de su amigo y hermano Yama, detuvo el tiempo reiterando su convencimiento sin parar: «solamente hoy ha muerto». Por ello los dioses crearon la noche para que al despertar se olvidara de la muerte de su amigo. En las tinieblas de mis noches boga a la deriva el recuerdo roto.

 

Los bienintencionados trataron de aliviarme entapujando incluso el instante de la muerte: «Topor murió sin darse cuenta», «sin sentirse morir», «ni siquiera dijo adiós». Prefiero a aquel personaje de Tolstoi que dijo «En nombre de Dios dejadme morir como es debido».

 

Ya no se encubren las partes pudendas, pero se escamotea el fatal naufragio de la muerte. Violando reglamentos y puertas pude llegar al cuarto del hospital donde le habían enceldado tras la muerte. Pude besar aún caliente su rostro que ya nadie iba a lavar.

 

En Egipto a los muertos lavados, llorados, purificados, momificados, se les alimentaba simbólicamente durante años. Mi amigo Nakako y su mujer granadina Beatriz me invitaron a comer en su casa de Kyoto… con los muertos del marido. A cada uno el anfitrión le sirvió un cachito de su manjar preferido y llenó un dedal de vodka para su tío de Yamanasi aficionado a esta bebida.

 

Gilgamés, hace 4.000 años, combatió monstruos y toros alados, pero el huracán del dolor le bamboleó aturdido tras la muerte de su amigo. Tanto sufrió que no aceptó a la Muerte. Incluso quiso vengarse de ella. Cómo le comprendo.

 

Salió en busca de la yerba de la inmortalidad para resucitar a su inolvidable amigo. Se fue más allá del Lago de los Infiernos sin escuchar la voz de la razón.

 

Y dio con la yerba milagrosa, porque Gilgamés sabía que los dioses crearon a los hombres inmortales. Así lo cuentan todas las mitologías. Cómo me cuesta tener que aceptar que se ha ocultado ¡para siempre! Topor (o Louise Bourgeois, o Umberto Eco ).

 

¿Por qué los dioses no le ofrecieron a Topor (o a André Breton o a Marcel Duchamp) como al panadero Adapa de Mesopotamia la bebida de la vida eterna? La leyenda cuenta que, instigado por el dios de la ciencia Ea, el panadero rechazó el brebaje de la inmortalidad. Topor no se hubiera dejado embaucar por charlatanes.

 

Desgraciadamente cuando Gilgamés, de vuelta con la yerba de la inmortalidad, se arrodilló en una fuente para apagar su sed, la serpiente («el animal que muda eternamente») aprovechó su instante de descuido para robarle su precioso tesoro.

 

Homero también nos cuenta cómo Deméter asperjó al hijo de Metanira con una ducha de llamas purificadoras. Cuando la madre gritó asustada, Deméter, sorprendida, dejó caer al niño en las ascuas. «Por tu locura, Metanira, tu hijo murió abrasado y no será inmortal».

 

La pérdida de la inmortalidad fue siempre debida a un detalle absurdo o un error ridículo (¿cuál he cometido yo para que se oculte Topor?), como la manzana de Eva. La luna diosa de la inmortalidad fue pisada por el hombre una sola vez (en 1969); sin lendemains qui chantent. Quizás el cosmonauta Armstrong (frente a la luna) hubiera querido gritar como Aquiles (frente a Ulises): «Prefiero ser esclavo a reinar en el imperio de los muertos».

 

La mitología nórdica construyó el artilugio que requiere mi dolor para volver a ver a Topor: «Entre la vida y la muerte, entre el cielo y la tierra… hay un puente, ¿no lo has visto? Tiene tres colores. Tú lo llamas arco iris».

 

Los «inmortales» se alejan de mí para subir al Cielo, al Paraíso, o al inmenso sol. Los egipcios imaginaban que los elegidos retozaban en prados de estrellas mamando eternamente el seno de la diosa Nut. Homero suponía que «la más dulce vida» se daba en los confines de la tierra, en los Campos Elíseos. Platón creía en una Isla de Bienaventurados y Píndaro en un segundo Olimpo reservado para los mejores. Mientras que, para los más humoristas, Proteo concibió un paraíso con rebaños de focas.

 

Yo también oigo, como las criaturas de la Odisea, los mugidos del toro, pero también los silbidos de la serpiente. ¿Por qué tuvieron que ocultarse  Topor y mis amigos? ¿Es hoy el hombre menos inmortal que nunca?