« SARAH e VICTOR » di Fernando Arrabal
regia Sergio Aguirre e Manola Nifosì
con Elena Fabiani, Luigi Monticelli e Manola Nifosì
scenografia Cristina Conticelli
costumi Alessandra Vadalà
produzione AttoDue
in collaborazione con il
T R A M Teatro di Residenze Artistica Multiple
Festival Internazionale del Teatro Romano
et Laboratorio Nove.
Spettacolo in lingua francese
con sopratitoli in italiano
à partir du 2-XI-17.
Sarah e Victor » entrano ed escono dai loro quadri in un gioco che trasforma continuamente il paesaggio. Un gioco che “decontestualizza” gli oggetti per “ricontestualizzarli” alla ricerca delle “risposte”, attraverso le piccole miserie umane, le ambiguità, verso la rivelazione ed il colpo di scena finale.
Un testo scritto proprio per lei: Mila Moretti composto da Fernando Arrabal, con la regia di Sergio Aguirre. Lo spettacolo, una produzione Teatr02. Arrabal, poliedrico artista considerato uno degli autori più importanti e completi del XX secolo, e spesso visto come l’incarnazione dell’arte contemporanea. Lo stile del dialogo è noto e richiama un teatro che porta spesso all’estremo le tematiche del realismo, dell’assurdità dell’esistenza. A teatro come al cinema. Cinico e maudit. Attacco frontale alla civiltà dei consumi e al buon gusto borghese, immaginario surrealista, blasfemo, macabro, sadico, scatologico. Fernando Arrabal schizza fuori da ogni linearità narrativa, innescando continui cortocircuiti come tanti campanelli d’allarme di quella guerra senza quartiere che sono le “relazione umane”. Un altro mondo che sbuca fuori anche da questo dialogo fantastico.
« SARAH et VICTOR » dialogue
***
«Sarah y Victor»
Fernando Arrabal:
….à mon avis Sarah Bernhardt et Victor Hugo forment le binôme essentiel du XIXe siècle…et probablement de tous les temps, comme le pense «Victor H.»;
…l’érotisme n’est pas, loin de là, au centre de mes dialogues (et rarement «trilogues»);
…mon admiration pour l’écrivain VH est multipliée par la lecture ou relecture de son œuvre;
…je ne peux pas imaginer ce que SB a été sur scène, pas même en relisant Oscar Wilde, Proust et tant d’autres. …..la pensée et le discours de SB me paraissent surprenants, réfléchis et intelligents, toujours neufs et originaux;
…les personnages de VH qui interviennent dans mon dialogue se conduisirent exactement comme je les présente, depuis Sainte-Beuve jusqu’à Baudelaire;
.…les faits et gestes de VH se produisirent comme dans ma pièce, avec sa fille Adèle, son épouse et sa maîtresse officielle, et même avec madame Ba;
…la reprise au théâtre de l’Odéon, à Paris, du « Ruy Blas » de VH avec SB eut lieu effectivement en 1872;
…l’insurrection de la Commune fut réellement réprimée en 1871; les plus résolus rêvèrent de la revanche et même d’occuper le Théâtre de l’Odéon, comme l’ont fait leurs héritiers en 1968;
…les archives de la « Brigade mondaine » de la police judiciaire ont été créées par le duc de Morny ministre de l’Intérieur de son demi-frère Napoléon III (et probablement père de Sarah B. et du dramaturge Feydeau).
Résumé du texte : L’occupation de l’Odéon par le groupe féminin et anarchiste «Les jeunes barbares d’aujourd’hui». Les soixante quinze minutes de la pièce (sans interruption) s’écoulent pendant la première visite de Victor Hugo à Sarah Bernhardt dans sa loge. Une «jeune barbare» y fait irruption à quatre reprises. À cause de la surprise du coup de théâtre final conviendrait-il que le comédien ait une vingtaine d’années de moins que le personnage ?
Année 1872. Loge de Sarah B. au Théâtre de l’Odéon avant la première représentation de «Ruy Blas». Puis un salon, en 2018.
Sarah B. : 28 ans, elle boite, mais sans accorder d’importance à sa claudication.
Victor H: 70 ans.
Lis Fortuné: 19 ans, «jeune barbare d’aujourd’hui ».
Sarah Bernhardt et Victor Hugo ne s’aperçoivent pas de l’énorme bruit séditieux de l’extérieur.
Voix de femmes.
Cris insurrectionnels des occupants du théâtre de l’Odéon.
Sarah Bernhardt s’adresse à Victor Hugo… en extase? On dirait qu’exceptionnellement elle parle en toute franchise. A moins que…
Sarah B.- Je ne sais comment vous remercier pour votre merveilleuse «larme»!
Victor H.- Vous êtes «l’impératrice du théâtre». Et vous méritez même davantage… la «di-vi-ne».
S (clairement, mais ironique?).- Par exemple un ange… «à poil».
V (qui n’a pas entendu, mais qui redoute la réponse).- Je ne vous ai pas bien comprise (Pause) Vous êtes la «voix d’or du théâtre».
S.- Avant toute chose je dois vous dire qu’un désir me prend aux entrailles. Avec fureur, vénéré maître.
V.- Mademoiselle Bernhardt, pour moi les actrices se rangent seulement en cinq catégories: les mauvaises, les passables, les bonnes, les très bonnes et ….tout en haut, vous, Sarah Bernhardt.
S (blessée?).- Il ne s’agit pas de théâtre. Je désire au plus intime de moi-même…(elle cherche ses mots, après un long silence)…j’aspire, vénéré maître, à avoir avec vous un rapport charnel.
V (stupéfait, mais flatté, tente de dire quelque chose. Il ne peut que réciter péniblement un de ses anciens vers).-…l’amour…est …le cri de l’aurore… ».
S- Il ne s’agit pas de vers, très admiré poète. Etant donné l’urgence de l’appel de mon intériorité. Il me semble sage de détailler mon état anatomique, mes dispositions gynécologiques et mon comportement endocrinien.
V.- Admirable Mademoiselle Sarah Bernhardt personne ne s’est jamais adressé à moi… Je viens de connaître le bonheur de vous voir seul à seul, pour la première fois…
S.- …bien qu’en règle générale vous ne vous en teniez jamais à la règle générale, je sais que vous pourriez être mon grand-père.
V (piqué).- Que l’on me rappelle mon âge n’est guère plaisant pour moi mais je peux dire, en toute franchise, que…
S.- …de plus vous avez eu cinq enfants avec votre épouse: madame Adèle Fouché. Et vous êtes lié à votre fidèle compagne, depuis quarante ans! : Juliette Drouet.
V.- (brusquement).- Je ne suis «lié» qu’à la poésie et à l’amour.
S.- Je ne souhaite pour rien au monde vous être dé-sa-gré-able…
V.- Je suis ravi que vous vous adressiez à moi avec une telle…spontanéité.
S.- Je désire que vous soyez, admirable poète, le pè-re du fruit de mes entrailles.
V.- (déconcerté et flatté) … Mademoiselle Bernhardt … le «rapport charnel»…comme vous dites vous même…que vous me proposez …pour vous élever … grâce à moi (geste inconsciemment luxurieux) …à la dignité de …
S.- … vous pouvez éprouver, et je peux vous inspirer, et j’en félicite le destin, les appétits les plus voluptueux à mon endroit. En dansant et sans clous. Me voici…
V.- …c’est moi qui avec grand plaisir, vous ai offert en arrivant une «larme de Ruy Blas».
S.- En effet votre splendide cadeau vous permet, comme aux autres, de disposer de moi…
V.- (étonné).-…je n’ai pas l’habitude mademoiselle Bernhardt de traiter (hésitant) comme une femme «galante» …
S.- …j’ai trois sœurs, vénéré Maître (silence). Toutes de pères différents. Et inconnus. (Longue pause, puis lentement, mais fermement). Ma mère était mais est encore aujourd’hui… une pute…
V.- …mais … que dites-vous là, mademoiselle Bernhardt!?… quel vilain mot.
S.- En réalité je ne sais pas encore, à coup sûr, qui a été réellement mon père. En planant sur la Voie Lactée (Après réflexion). Moi-même j’ai été et je suis une…pute.
V (presque effrayé).- Je vous en prie. Vous êtes la plus grande et la meilleure ac-tri-ce de l’histoire de notre théâtre. Avez-vous décidé de vous dénigrer?
S.- (revendicative).- Que personne n’insulte les infirmières, les sages-femmes, les prostituées…!
V.- Vous semblez (il rectifie) et vous êtes! étonnamment frêle et délicate. En scène vous apparaissez plutôt…(il ne sait comment se sortir de cette impasse) comme soupirante que… comme passionnée. Vous avez une voix, non pas rare: unique! Chantante, mordante, et avec des intonations anglaises.
S.- Anglaises?…La première langue que j’ai apprise a été le breton. Parmi les canards et l’étourdissement. J’ai passé me premières années en nourrice à Quimperlé. En Bretagne. Et je me suis instruite à l’école du couvent de Grandchamp. Avec des chapeaux de bonbons et une coiffe. Dans cet inoubliable couvent, de toute mon âme, en plein mysticisme, j’ai voulu être nonne. Tout m’éblouissait au lieu de m’éclairer.
V.- À cet âge moi aussi j’ai ardemment désiré l’éblouissement. J’ai voulu écrire « au-dessus de la statue de la liberté ». Comme un morveux de barricade. Je me suis proposé de monter à l’assaut de huit siècles d’histoire: « je serai Chateaubriand ou rien ».
S.- C’est alors, dans cette école bretonne, qu’en jouant avec ma préférée, la mère Mercedes, je suis tombée par la fenêtre et que je me suis brisé le genou. (Sans accorder grande importance à son handicap. Et tout naturellement) Depuis, Troie s’est introduite dans mes jambes. Et je boite.
Elle fait quelques pas avec coquetterie. En montrant sa claudication.
V.- À vrai dire…on…ne le remarque presque pas.
S.- (ironique?) Un dromadaire parmi les chameaux confirme la règle…
V.- (il ne sait que dire)…Vous vous en accommodez à merveille. Et vous avez raison!
S (plus boiteuse que jamais elle tourne autour de Victor Hugo, «séductrice»).- Et j’ai bien raison. Ici et maintenant une boiteuse. Vous-même, sans aucune discrimination, comme si elle était la plus appétissante valide de la tête aux pieds vous vous la «concubineriez»…
V.- ….comment pouvez-vous imaginer une telle lascivité ?
S.- La médecine veut me couper la jambe. Moi j’ai dit aux chirurgiens que je ne veux pas d’anesthésies. Ni d’élégies à la princesse du poker. Pendant que l’on m’amputera je boirai un verre de bordeaux et je chanterai la Madelon.
V.- A dix-neuf ans j’ai proclamé : la seule médecine capable de guérir la fièvre jaune c’est le dévouement des petites sœurs de saint Camille…
S.- Vous avez proclamé tant de choses. Et absolument tout le contraire. Et vous êtes si particulier que vous n’arrivez pas à vous ressembler.
On ouvre violemment la fenêtre de la loge. Une jeune fille de 19 ans apparaît:
Lis Fortuné. A-t-elle sauté des hauteurs? Elle porte autour du cou un foulard bicolore : rouge et noir. Et un fusil dans le dos. A la main elle tient fermement un revolver. Comme si c’était une baguette de chef d‘orchestre?
Lis Fortuné (à Sarah).- Citoyenne! écoute-moi bien (se tournant vers Victor H.) et toi aussi, citoyen…
Elle tire un coup de revolver.
L (elle déclame, «sublime», lentement).- Nous sommes toutes des jeunes-barbares-d’aujourd’hui. Comme toi tu devrais l’être, citoyenne. C’est pourquoi nous aimons tous et chacun des hommes et chacune des femmes de l’humanité. (Aussitôt, revendicatrice) Nous les aimons pour ce qu’ils devraient être, mais nous les méprisons pour ce qu’ils sont. Pour cette raison nous, «les nouvelles anarchistes», nous avons envahi ton cirque de bourgeois (touchant presque brutalement la poitrine de Sarah). Et le tien. (avec rage): «Théâtre- de – l’Odéon-théâtre-de-Cons».
Lis tire encore plusieurs fois en l’air. Si maladroitement que l’un des tirs fait tomber la copie à l’huile de la gravure «Illustrated Tridente» qui trônait tout en haut de la loge: le portrait en pied de Thiers. Tableau accompagné de ces mots écrits en grosses lettres :
« Premier président de la Troisième République: Louis Adolphe Thiers ».
Haut personnage dont la main droite s’appuie sur une pile de livres. La main et les livres sont percés par les tirs : le tableau reste à la même hauteur mais cul-par-dessus-tête. Comme s’il avait exécuté une pirouette en l’air.
Silence des trois personnages. On dirait que chacun d’eux attend quelque chose en contemplant Thiers.
L (souriant, heureuse).- Camarades, citoyens et citoyennes : faites preuve de courage, comme nous. Les présidents tomberont à la renverse. Nous avons le droit de revendiquer une nouvelle Commune de Paris. C’est notre privilège in-con-tes-table!
Nouveaux tirs.
L.- Nous mettons à sac la civilisation décadente. Nous détruisons les temples de la société bourgeoise. Et en premier lieu ce théâtre bourgeois. Nous faisons des feux de joie avec les registres de propriété. Nous nous révoltons contre tout. Il n’y a rien de bon. Il n’y a rien de juste. Pour nous, « jeunes-barbares-d’aujourd’hui ». Que le feu purifie l’infâme système social. Vive l’a… l’anarchie !
Lis F. saute par la fenêtre vers l’extérieur. Et disparaît.
Victor H méfiant et anxieux regarde à travers la fenêtre. Et finalement la ferme hermétiquement.
S.- (elle n’a ni vu, ni entendu Lis F.?) En Bretagne j’ ai été baptisée. Evidemment, en breton. Sans Chateaubriand ni son «cane corso».Il ne pouvait en être autrement.
V.-(essayant d’informer Sarah de ce qu’elle n’a pas vu ou n’a pas voulu voir).- Mais est-ce que vous n’avez pas entendu ce qu’a dit cette «jeu-ne-bar-ba-re ?»
S.- Je suis en train de vous parler de ma chère congrégation de Notre-Dame du Grandchamp et de ses balançoires!
V.- (pensant à autre chose) Cette fille …si belle ! a parlé de com-mu-ne. La Commune a pris fin totalement et définitivement le 28 mai il y a deux ans… Mais apparemment il y en a qui croit que la Commune leur appartient. De la même manière que Louis XIV disait : « l’Etat c’est moi ».
S.- (sans s’en rapporter du tout ni à la l’insurgée ni, encore, moins à la Commune ) Tandis que mon père -comme un euphonium à trois pistons- aurait été l’un des nombreux clients de mère…
V.- Le moment me paraît mal choisi…maintenant après cet incident et ces tirs…pour que vous…
S.- ….l’un des nombreux clients «professionnels» … avec un couteau à ouvrir les huîtres!
V.- Mais comment est-ce possible? Vous répétez que votre mère avait une « pro-fes-sion ». Et vous faites allusion à son «client». (Persuasif, à grands cris) Votre mère est la maman de la plus grande artiste que le théâtre ait jamais produite.
S.- Ma mère est ce qu’un jour seront les doctoresses ou les avocates. Ou les fakirs masculines qui ne font rire que leurs lits à clous …
V.- Doctoresses?, avocates ?…vous ne pouvez comparer l’incomparable.
S.- Le destin d’un médecin n’est pas terni ni sali si ses doigts sont barbouillés par le derrière de son patient lorsqu’il vérifie l’état de sa prostate, vénéré maître.
Formidable explosion. Rafales.
V.- Donc, comme vous le voyez…en un instant…cette obscure émeute s’étend …N’entendez-vous pas les cris ? Elles sont…là!
Voix séditieuses dans le lointain
Voix féminines.- Aux barricades!
V.- Dans la rue, dans le théâtre même, le tumulte…
Voix de l’insurrection, au loin. On entend parfaitement des voix féminines qui crient:
«Aux barricades!» «La propriété c’est du vol».
V.- Quel tumulte !
S.- …quel tumulte?
V.- Tout se dirige vers son propre abîme? la révolution… est-elle …parfois…un peu aliénante? Rectification (presque en un cri) la révolution est toujours…une magnifique improvisatrice!
S.- A quoi faites-vous allusion, maître, au bord du charisme? Improvisatrice…?…de quoi?
V.- J’avoue que moi aussi, d’une certaine manière, dans ma jeunesse j’ai été le maire «continuiste» c’est-à-dire, réactionnaire, de Paris 8e. Maintenant, tout à fait à l’opposé, je suis devenu (criant presque comme pour se convaincre) un extrémiste!…
S.- …Moi aussi, comme vous vénéré maître (très convaincue) moi aussi je suis une extrémiste.
V.- (perplexe) Vous ? Une extrémiste?… extrémiste! de quoi?
S.- Extrémiste. Assurément. Extrémiste de la modération!
Victor Hugo, déconcerté, tente de digérer la surprise.
Cri d’une jeune barbare dans la rue.
Voix.- Notre révolte n’est pas un sentiment. C’est la douleur de notre stupeur.
Tirs variés. Explosions.
V.- (effrayé) Il faut nous échapper d’ici…tout de suite.
S.- Avec la bicyclette de Léonard de Vinci?
V.- A vrai dire que cette jeune fille si jolie! si excitante, je dois l’avouer, cette jeune fille et ses amies anarchistes …même si elles me font peur…
S.- En réalité lorsqu’elle a sauté par la fenêtre : elle m’a prise par surprise. J’étais distraite. Et je n’ai pensé qu’à ce que nous disions. En pensant qu’elle irait avec grâce cracher sur la tombe…des bourgeois. Pour vous parler franchement: je n’ai même pas entendu ses cris. Il m’arrive la même chose avec les poètes: je ne les entend presque jamais. Surtout quand ils commencent à déclamer comme s’ils souffraient d’engelures. Je me bouche les oreilles.
V.- Mais elle nous a presque insultés vous et moi. Avec cette histoire de «Théâtre -de-l’Odéon-Théâtre- de-…(il n’ose pas prononcer le mot de la «jeune barbare».)
S( se souvenant, rieuse).- Ça oui, je l’ai entendu. Pour la vulgarité, elle ne craint personne! «Théâtre-de-l’Odéon-théâtre-de-cons !»
V.- Taisez-vous! on peut nous entendre.
S.- A ce propos, ma mère était et est toujours si «distinguée», qu’elle ne nous laisse dire aucun gros mot dans son salon. Pas même bien serré dans un poing.
V.-A vrai dire la-jeune-barbare- de-la – fenêtre, l’anarchiste, m’a paru jolie. Elle donnait envie de la dévorer de baisers. Vous ne pouvez pas dire le contraire. Si radieuse. En empoignant le revolver dans sa main fragile comme si c’était…
S.- …pendant l’ «acte» (geste très obscène de Sarah en simulant un coït avec les doigts) j’accepte tout. Jusqu’ au plus inavouable ou ignominieux. Avec des vices au niveau de l’excellence. Je ne désire que le plus grand plaisir de mon partenaire. Si la fille de la fenêtre vous plaît, on l’invite…
V.-…je n’ai pas insinué, très loin de là, mademoiselle Bernhardt…
S.-…dès notre adolescence ma mère nous disait en néerlandais à nous, les trois sœurs, sans rien de sale ni d’obscène dans sa façon de s’exprimer, assurément : «le consommateur consomme grâce au triolet des trois».
V.- Je ne comprends pas ce que voulait dire votre…sainte mère.
S.- A vrai dire quand nous les trois sœurs, à poil et toutes ensemble, nous attaquions en règle…
V (horrifié).-….de quoi parlez-vous ? Qu’attaquiez-vous en règle ? Quelle horreur!
S.- Ou voyez-vous l’horreur dans l’honnête gagne-pain de ma mère? Dans son «claque» de messieurs et de jouvencelles. Dans son «clandé» de rendez-vous. Ou dans son «lupanar». Ce mot fait plus distingué? Ma mère, ne l’oubliez pas, ils l’appellent tous «la conservatrice».
V.- Ah! quelle coïncidence! Justement au lycée Louis le Grand, dans les mêmes classes où avait étudié Robespierre, j’ai fondé, à dix-sept ans, «Le Conservateur».
S.- Quel titre suggestif, si toxique : «con-ser-va-teur»!
V (tout heureux, se souvenant de son propre génie).- Il m’est venu d’un seul coup, tel quel. Une idée énorme. Comme tant de fois dans ma vie. Une inspiration. Un éclair génial.
S.- Ce terme de conservateur ou de conservatrice convient bien aux filles de joie. Mais vous, que vouliez-vous conserver, si jeune et surdoué?
Cris des émeutières. Formidable explosion. Cris séditieux.
V.-(atterré) Vous avez entendu?
S.- L’omelette a été inventée dans les limbes par un « avorteur » de cigognes.
V.-(atterré).- Il nous faut fuir!
S.- Nous esbigner ? Comme le génie qui a inventé le beurre?
Pause
V.-(Il se remet).- Mais comme je le disais avant : aucun poète…sauf moi! (avec fierté)…n’a eu l’idée de créer une revue à dix-sept ans…
S.-…sans vouloir vous offenser : à dix-sept ans moi j’exerçais ma profession depuis trois ans…
V.-…ce n’est pas la même chose. La poésie c’est…
S.- …c’est beaucoup plus élégant. Comme un premier cliché. Et présentable parmi la crème.
V.- Je dois vous avouer que le roi Louis XVIII lui-même, surpris de ma précocité, m’a accordé, lui-même, une bourse de mille francs par an.
S.- Ce n’était pas de la roupie de sansonnet. Et ça ne l’est toujours pas.
V.- Vous le faites exprès? C’est presque comme si vous insultiez cette gratification.
S.- Bien loin de là, vénéré poète. Mille francs par an même aujourd’hui méritent tout mon respect. Nous autres nous traitons avec la plus grande considération nos rapports entre l’art et notre profession.
V.- Je dois reconnaître que le roi du… pays… lui-même …m’a élevé, à mes dix-sept ans ! à son tableau d’honneur.
S.- Comme si vous étiez un « putain royal » en personne
V.- Comment osez-vous me dire une telle…?
S.- …quand les monarques paraissent petits seules leurs stupidités paraissent grandes. ?
V.- Vous m’insultez ? Comme ça, mine de rien ?
S.- Je n’oserais jamais. «Putain royal» pour moi et pour mes sœurs et pour ma mère…
V.- …je n’ai jamais été pour aucun roi quelque putain royal! que ce soit (effrayé par le mot qu’il vient de prononcer). En votre présence je m’enhardis à dire… les pires grossièretés… Que penserait-on de moi à l’Académie française?
S.- Vous êtes unique. Et à double tranchant! Je ne peux vous comparer à personne. Même pas à …Charles -Augustin!
V (stupeur du poète, il semble outragé).- De quel Charles-Augustin parlez-vous?
S.- Il n’y en a qu’un avec une telle allure et un pareil nom: Sainte-Beuve!
V.- Vous faites allusion à ce scribouillard qui, trahissant mon amitié, avec ma propre femme, de la façon la plus concupiscente… Mais, vous le connaissez? Vous avez entendu parler de lui?
S.- Pour mes sœurs et pour ma mère il est plus connu que un lion.
V.-(surpris).- Qu’un « lion »? Celui qui a « déshonoré » la mère de mes cinq enfants ?
S.- De plus, quand il rit, on dirait un pédé avec des seins.
V.- D’ou sortez-vous de telles…images ? Si drôles, je dois l’avouer. Ce misérable…contre lequel j’ai voté onze fois pour qu’il n’entre pas à l’Académie française. Onze fois! pour l’empêcher de « veiller sur la langue et d’accomplir des actes de mécénat ». C’est vite dit: onze fois! (comptant sur ses doigts comme s’il craignait d’en sauter un) six de cette main plus cinq de celle du milieu. Je ne sais même plus ce que je dis: quand je pense à un tel bandit.
S.- Mais vous avez lu en public «son» apologie. «Solennellement». «Comme un précis et précieux joyau». En l’encensant jusqu’à l’extra -strastophère avec tous les honneurs!
V.- Mais je n’ai pas fait l’éloge obligatoire du ré-ci-pen-diai-re. Ne me rappelez pas ce Sainte-Beuve (à deux doigts de s’étrangler). Permettez-moi pour la première fois de ma vie d’employer un mot malsonnant. Cette personne est un grand salaud.
S.- Oh! savez-vous? petit salaud, grand salaud, nous sommes tous des salauds.
V.- Moi, NON! Je ne suis pas comme lui. En aucune façon. Un bandit qui avec ma propre épouse…pour tenter de m’humilier… a essayé, pendant des années, de souiller de ses vices la très honnête mère de cinq enfants…
S.- …respecté maître, votre monsieur Charles-Augustin Sainte-Beuve ne peut absolument pas avec son membre…(pause) hermaphrodite…
V.- …mais que me révélez-vous là ? Vous êtes bien en train de parler de Sainte-Beuve? L’auteur de «volupté»?
S.- Mes sœurs, entre elles, très discrètement, appellent Sainte-Beuve, quand il vient au lupanar, «le délicat»… ou «Charlotte»?
V.- «Char…»
S.- Dans les salons, on apprend d’intimes penchants et des malformations bien cachées. De fait aux antipodes les kangourous forniquent à l’envers.
Tirs divers. Cris.
Voix féminines.- Pour baiser ceux qui nous commandent ne copie pas les anciens baisés.
Explosion.
V.- On vient nous chercher (Atterré) Il faut s’enfuir, maintenant!
S.- Avec des éventails en forme de Vénus de Botticelli? Ils sont si efficaces au printemps!
V.- Mais je vous en prie dites-moi (avant de nous échapper de ce piège): que peut-on faire dans les «salons» ? Tout le monde «peut-il passer» par ces bor… (il n’ose pas prononcer le mot).
S.- Bordels! Le mot ne mord pas. Non seulement tout le monde «peut passer». Mais tout le monde passe. Bon, pour être exacte: beaucoup, presque tous. La crème du pays. Et d’ailleurs aussi. Depuis au-delà des mers jusqu’aux pôles. Le Nord et le Sud.
V.- Personne, jamais, ne me l’avait expliqué.
S.- Pas même au cours de catéchisme?
V.- Mais qui sont ces tous qui se rendent à ces lieux de dépravation?
S.- Depuis Baudelaire jusqu’à Paganini, en passant par des centaines, et par des milliers? Comme Schubert, lord Byron, Charles Quint, François premier, Poussin, Casanova, Hoffmann, Alfred de Musset… la plupart d’entre eux se sont occultés, victimes du «mal napolitain». Et pour les napolitains du «mal français». C’est une loterie. Mais à l’envers. Tous ceux qui viennent en nombre il est logique qu’ils puissent toucher le gros lot: la syphilis.
V.- Je dois reconnaître que vous êtes en même temps la «Sublime» du théâtre et la seule femme qui m’avoue avoir tant de connaissances et si variées. C’est pourquoi j’aimerais savoir quelle est votre opinion. Votre avis …si vous m’y autorisez… Puis-je me permettre de vous poser une question mademoiselle Bernhardt?
S.- Disposez de moi comme d’un parapluie, vénéré maître.
V.- Mademoiselle Sarah Bernhardt… qu’est-ce qui est mieux pour une femme : faire vibrer le membre masculin avec la main ou…
S.- (l’interrompant) … «le faire vibrer avec la main» peut donner des crampes.
Pause et grande tension pour Victor qui n’attendait pas ce commentaire.
V.- …ou de le faire vibrer avec la bouche?
S.- Evidemment la «vibration» buccale est plus gratifiante.
V.- Plus gratifiante pour la …(il ne parvient pas à nommer correctement la prostituée)…la prêtresse …la rétribuée… je veux dire financièrement?
S.- Et surtout pour le «ré-ci-piendai-re», pour employer votre joli substantif, très admiré poète.
V.- Une heureuse coïncidence!
S;- Un haut représentant de la couronne britannique lors de ses constantes visites parisiennes au salon de ma mère utilise un fauteuil à la hauteur des bouches du personnel impliqué. Ces demoiselles exercent obligatoirement debout tandis que le souverain s’offre couché en position de royal oxymore, jambes écartées.
V.- Un…haut représentant?
S.- Oui, oui. Et un collègue du même genre, mais hispanique et cousin germain de l’Anglais, se sert d’une couche nuptiale à ressorts. Qui accompagne le rythme requis. Et qui devrait faire «mourir de plaisir» et «d’oxymore» les participantes. En réalité, elle les fait en général mourir de rire.
V.- De sorte que les membres de la monarchie, de «l’almanach royal», du «Gotha» et le monde des … (il n’ose pas prononcer le mot)
S.- …et le monde des «courtisanes» ou des «femmes galantes» ou des «demi-mondaines» ou celui des «archi-dévergondées» comme les nomment les plus effrontés. Permettez-moi, éminent poète, qu’en passant du coq à l’âne je vous dise … qu’obtenir… qu’avoir un enfant de votre semence, de votre graine, pour une femme en général…et pour moi en particulier…
V.-… mais que trouve donc en moi une femme comme vous…?
S.- Vous, vénéré maître, vous êtes si cocasse!
V.-(déconcerté) Mademoiselle Bernhardt, vous me laissez pantois. Presque stupéfait. Vous me trouvez «si cocasse»!
S.- Et plus encore, maître. Voyez le cadeau que vous m’avez apporté en arrivant à ma loge. C’est le présent ….le plus original que j’aie jamais reçu. Et surtout beaucoup moins standard, moins clonique, que celui des autres.
V (ébahi).-Vous voulez dire moins …stéréotypé?
S.- Personne ne pouvait avoir une idée semblable à celle du vénérable maître. Ni Napoléon III, ni Gambetta, ni Edouard VII du Royaume Uni. Toutes ces excellences nous les connaissons telles que Dieu les a fait naître. Sans couronne…sans aucun cache-sexe. A poil.
V.- Comment se fait-il que personne n’ait révélé…?
S.- …révéler… à qui? C’est un secret inviolable. Chaque illustre patricien, éminent personnage ou cé-lé-bri-té de-notre- époque- et -de-notre-patrie a son tas de fumier secret. Et son ou sa putain favorite. Ou mieux encore son cheptel. Qui se taisent comme …des ministres. Aussi discrets que ce féal qui a dit de lui-même : «Un ministre ça donne sa démission ou ça ferme sa gueule».
V.- (il hésite à employer ce terme).- Vous vous moquez, «vous fichez», «vous rigolez» de «notre-époque».
S.- Au contraire. Nous n’avons jamais vécu une meilleure époque. Il n’y a jamais eu tant d’instruction. Tant de richesses. Tant d’égalité. Tant d’inventions. Et si merveilleuses, comme la navigation à vapeur, les trains, la photographie…
V.- …avec tant et de si grandes injustices!!!
S (convaincue).- N’importe quelle période du passé a été pire.
V.- «Mais où sont les neiges d’antan?»
S.- Ne me supprimez pas l’immense joie d’être née aujourd’hui.et de vivre! Bonheur qui sera tout aussi vigoureux si la Faculté finit par me couper la jambe. Et quand je boiterai définitivement, avec mon unique jambe, je danserai, radieuse, la farandole.
Détonations. Encore plus de drapeaux et de pancartes tombent des hauteurs.
Voix féminine.- Nous, les femmes opprimées nous enfilerons la culotte des privilèges du clan.
Voix féminines.- Allons les chercher ! Il nous faut comme petit-déjeuner déjeuner et dîner leurs prérogatives.
Fracas. On entend les fusils crépiter.
V (apeuré).-Elles veulent se débarrasser de nous. Il nous faut éviter ces dîners inconvenants…
S.- Dîners où il y a toujours une «apôtre» qui prend des notes. (Longue pause. Victor, tremble-t-il de peur?) Nous n’allons pas trembler ni gémir. Précisément le jour où vous m’avez offert la perle la plus chère: rien de moins que «la larme de Ruy Blas».
V.- Il me fallait vous glorifier pour votre immense talent. Et dans votre loge Mademoiselle Sarah Bernhardt…non pas nue…mais pendant que…(enhardi) vous étiez en train de vous habiller.
S.- Vous êtes célèbre pour «honorer» …toutes les femmes…On dit que vous «les embrassez toutes: veuves, femmes mariées et célibataires».
V.- Il est vrai que (malgré ce remue-ménage dont il faut nous échapper) je suis un révolutionnaire de pure souche: je n’accepte aucune discrimination.
S.- Alors …embrassez-nous donc. Nous, les femmes! Et commencez par moi. Ou finissez par moi, si vous préférez, vénéré maître.
(En fermant les yeux Sarah lui offre non sa bouche mais le bout de ses lèvres).
V.- (effrayé pour la première fois de sa vie? n’ose pas baiser ses lèvres offertes) Est-ce que je les inspire …toutes? Est-ce que je les séduis …toutes?…
S (sincère).- …séduire? inspirer de l’amour? Je n’emploie jamais ses béquilles si inexactes. Si maladroites! Jamais personne n’a séduit ne serait-ce que deux personnes à la fois, très admiré maître.
V.- Personne? Jamais!
S.- On raconte que quelques mystificateurs ou mystificatrices, tricheurs ou tricheuses, menteurs ou menteuses ou quelques abuseurs de Séville …qui est le modèle de don Juan …c’est pourquoi je ne crois pas à l’amour. Je l’affirme de la tête aux pieds.
V.- L’amour est ce qu’il y a de plus beau dans nos vies.
S.- L’amour est un mythe.
V.- C’est la seule chose authentique de notre existence.
S.- C’est une fable éhontée.
V.- Avez-vous lu mon poème : «Ô toi, que mon profond amour…?»
S.- J’ai plutôt lu : «l’amour au paradis serait un enfer».
V.- Et alors pour vous qu’est-ce que c’est que cet amour…dans lequel vous dites ne pas croire?
S.- (Impudique et avec des gestes précis).- C’est …un coup d’oeil… un coup de reins et… un coup d’éponge.
Long silence.
V.- (tentant de la convaincre, il récite l’un de ses poèmes, comme s’il l’improvisait). «Riez, aimez, chantez, avec la splendeur des astres et des roses».
S.- Pas même ces nouveaux docteurs qui s’intitulent endocrinologues ne croient au mensonge amoureux. Ces «pères» de la nouvelle médecine. Ceux-là qui mettent une immense photo de moi à l’entrée de leurs cabinets pour encourager les patients à venir les voir.
V.- Et si vous ne croyez pas au men-son-ge amoureux, selon votre terrible expression, comment pouvez-vous désirer «au plus intime de vous-même», comme vous le dites «avoir avec moi un rapport charnel».
S.- Je peux vous le dire, maître: parce que vous êtes la puissance. Vous êtes l’homme-torrent.
V (inquiet).- Vous remarquez en moi quelque chose de féminin?
S.- Tout en vous est démesure. Vous faites…vibrer!
V (il sourit, flatté).- Vibrer…(obscène) quoi?
S.- Vibrer tous les genres, roman, poésie, théâtre…
V.-…permettez-moi de… (il ne parvient pas à formuler ce qu’il voudrait dire)…je sais donner de ma personne … (avec un geste obscène purement sensuel)… vous vibriez pour moi? (Excité) Vous vibriez pour moi cette nuit? (Silence) Vous vibriez pour moi immédiatement…? (Silence) Vous vibriez pour moi…mademoiselle Bernhardt?
S.- Quel jouisseur impénitent vous êtes, vénérable maître!
V.- Avec quelle familiarité vous vous adressez à moi!
S.- Même le plus lascif des puisatiers aimerait vêtir la Vérité nue. Vous êtes un dévoreur de chair féminine.
V.- J’avoue que je suis un amoureux ardent.
S.- Vous êtes un voluptueux invétéré.
V.- le désir d’aimer me bouleverse, me rend fou.
S.- C’est pourquoi vous êtes l’hôte, assidu, des meilleurs lupanars parisiens, très admiré maître.
V (atterré).- Assidu? Dites-vous.
S.- Votre présence dans les maisons closes, soyez-en persuadé, est toujours accueillie avec reconnaissance. Par toutes les participantes. Surtout pour votre prodigalité. (Victor l’écoute, effrayé. Longue pause) Les meilleures nouvelles se battent pour vous avoir. Vous faites partie du bataillon des favoris. On attend votre visite quasi quotidienne au salon.
V (déconcerté).- « Quotidienne !». Qui en tient la comptabilité? (Après un long silence, terrorisé) Personne ne doit le savoir. Pas même mon ombre.
S.- Le secret est la clé et le credo de notre profession.
V (timidement).- Mais moi je suis Victor Hugo.
S.- Même si vous étiez votre propre cocher. Pour avoir l’illusion d’être une fleur le paon se change en bouquet. La discrétion et le silence sont les règles strictes. Croyez-vous, admirable maître, qu’en ce métier, si digne et si honnête, les meilleures «gagneuses» peuvent se permettre sans mettre fin au trafic de raconter «tout» à «tout le monde»…? Et aux quatre vents ? Raconter comment les maris ou les amants les plus fidèles prennent du bon temps… de cinq à sept?
V.- Je vous demande, je vous prie instamment de me jurer que personne ne saura…
S.- Je vous le jure sur ce qu’il y a de plus sacré, sur les têtes… sur la tête de mes enfants.
V.- Mais vous n’avez qu’un seul enfant.
S.- Pour se justifier le perroquet parle en espéranto. Je vous le garantis : personne ne sait ni ne saura ce que savent uniquement et exclusivement les «dévergondées ».
Sarah crache avec naturel, dans sa main droite, et, aussitôt, par terre… au moment ou la fenêtre vole en éclats.
Enorme agitation autour de la loge.
On entend des coups de fusils et de révolver.
Victor Hugo semble très effrayé.
Au contraire Sarah ne semble en rien affectée par le fracas.
V.- C’est ce que je craignais. Par ce que les gens sont très en révolte. Et les fenêtres volent en éclats. La plupart des esprits sont très échauffés à cause de tant d’injustices.
S.- Avant les injustices les zèbres avaient des rayures horizontales. Les esprits sont toujours échauffés. Et les gens ont toujours envie de forniquer.
Nuage de poussière. Comme si les assaillantes avaient fait sauter une charge de dynamite.
Une énorme banderole-affiche tombe jusqu’à mi-hauteur: « Les jeunes barbares d’aujourd’hui prennent le pouvoir de l’Ex-Théâtre de l’Odéon ».
Drapeaux rouges et noirs.
Cris féminins.- L’imagination prend le pouvoir!
Lis F. entre en courant, de porte en porte, elle s’adresse à la foule de manifestants extérieurs.
Lis F.- Ne respectez pas ce couple de pistonnés de la loge!
S (très tranquillement, d’un ton normal).- Bien sûr, ce sont des insurgés: ils doivent vouloir nous tuer. Et avant que l’on m’ampute de ma jambe!
L.- Tout de suite: déchaussez-vous bourgeois !
V.- Mais … moi je ne suis coupable de rien… «camarade» …. «compagne». Je le jure.
S (gouailleuse).- Sur la nouvelle constitution de Monaco?
L.- Déchaussez-vous tout de suite. Est-ce que vous voulez que je vous fasse sauter la cervelle ?
V.- Je ferai ce que vous direz… pour la révolution.
L.- Vous n’allez pas nous échapper! On ne veut pas que vous fuyiez la justice, de nos mains, et que vous couriez à Varennes. Comme Marie- Antoinette et son zig.
Sarah et Victor s’assoient sur deux tabourets et avec beaucoup de discipline, ils enlèvent leurs chaussures. Qui, d’ailleurs ont beaucoup de lacets.
L (à Sarah et Victor).- Ne bougez pas. Toutes les portes sont prises. Si vous tentez de fuir on vous crible de balles tout vifs. Le peuple va vous juger comme tous les laquais et les larbins du pouvoir bourgeois.
V(empressé).- … d’ailleurs… moi je suis tout à fait d’accord avec les revendications anarchistes. Et surtout avec vous : les «barbares de la jeunesse».
L.- Tu es sourd, citoyen? Nous ne sommes pas les «barbares de la jeunesse ». Nous sommes : « les jeunes barbares d’aujourd’hui ».
V.- C’est bien ce que je voulais dire.
L.- (s’adressant à Sarah) Mais qui est-ce cette «patte graissée »?
S.- Un …monsieur …inconnu.
L.- Comment s’appelle-t-il?
S.- Ça n’a pas d’importance.
L.- Je vois bien que c’est un habitué! Dis-moi son nom pour le tribunal.
S.- Victor Hugo.
L.- Victor quoi?
S.- Hugo.
L.- Il n’a pas de patronyme?
V (déclamant l’un de ses poèmes pour se faire bien voir des insurgées).- « La révolution est la France sublimée qui fut un jour dans l’Averne …»
L.- (À Sarah) Mais qu’est-ce qu’il raconte ce gâteux?
V.- (tentant de convaincre la barbare).- C’et l’un de mes poèmes. « Averne », c’est l’enfer : « le brasier des martyrs révolutionnaires auxquels poussent des ailes… »
L.- (Sans l’entendre et criant à ceux de l’extérieur). Surveillez-les. Ayez-le à l’œil à tout moment, ce couple de canailles. Qu’ils ne bougent pas de la loge. Le tribunal de l’Occupation décidera en toute justice. Dans quelques minutes.
Lis tire et sort.
A partir de ce moment Sarah et Victor sont toujours pieds-nus.
V (anéanti).- Tant d’insultes, tant de menaces. Pourquoi? J’ai toujours été de leur côté. Avec la meilleure France … avec les révolutionnaires: ils devraient baiser le sol que je foule aux pieds.
S.- Mais sans avoir avant passé par les cabinets.
V.- Je suis toujours et j’ai toujours été comme deux doigts de la main avec les pauvres, avec ceux qui souffrent. Ma poésie…moi-même …nous sommes pleinement, jour et nuit, avec les humiliés et les offensés…
S.- Les «offensés», comme amuse-bouche, comme vous le voyez, occupent le Théâtre de l’Odéon et à votre exemple elles aussi souhaitent : (récitant le texte de Victor Hugo) «détruire pierre par pierre le Louvre ou se pavane la bourgeoisie avec ses falbalas».
V.- Ne me citez pas à mauvais escient. Vous ne pouvez pas comparer le Louvre au Théâtre de l’Odéon! Cette scène qui justement affiche une de mes pièces! C’est-à-dire un texte révolutionnaire. De A à Z.
S.- Si ça se trouve ces filles ne sont jamais allées au théâtre: je crains qu’elles ne connaissent que les beuglants. Dieu a-t-il créé l’aquarium avant les poissons?
V.- J’ai dit et proclamé très fort : comme un cri de révolte: «Désormais la révolution sera le nom de la civilisation.»
S.- Mais vous avez dit aussi : «A force de lutter inexorablement pour les misérables la révolution est devenue inexorable et sans cœur».
V.- Oubliez ces menues erreurs quand je n’avais pas encore compris la vérité de l’insurrection. Il faut m’entendre quand je dis: «Ô ! révolutions, l’idéal est sang, le grandiose est horrible et sublime».
S.- Voilà pourquoi, soit dit en passant, elles -comme si elles pouvaient vous entendre-veulent tuer. Et vont tuer. Parce qu’elles doivent tuer!
V.- Ça me semble plus que parfait. Je suis avec eux. C’est-à-dire avec elles. Qu’elles tuent pour la révolution! (Pause; avec animosité). Mais, dites-moi, comment avez-vous osé auparavant, en présence de cette révolutionnaire «barbare», dire que je suis un «inconnu»?
S.- C’est mieux que vous soyez un «inconnu». Comme sont toujours inconnus les poètes vivants. Tous ont malheureusement une possibilité de mourir de faim. Mais jamais d’être exécutés.
V (criant, défait).- Je ne veux pas être un inconnu! Je suis un grand connu. Je suis le grand poète révolutionnaire d’aujourd’hui. Je suis Victor Hugo.
S.- On distingue mal le cyclope aveugle du cyclope borgne. C’est ce « grand connu », quel qu’il soit, que, je suppose, les jeunes barbares d’aujourd’hui veulent …exé-cu-ter.
V (criant).- J’ai une implacable volonté de dire non!! Etes-vous en train de me menacer?
S.- Personne ne vous menace. La représentante des jeunes ne sait pas qui est Victor Hugo. Elle est très loin de pouvoir imaginer qui vous êtes.
V.- Vous m’insultez?
S.- Non, je n’insulte pas, je décris, vénéré maître. Job aurait pu dire à Dieu «à qui Dieu n’a rien donné, il ne peut rien lui ôter».
V.- Je vais vous faire une révélation, unique: je note tout tous les jours: même tout ce qui se passe dans «ces lieux» dans mon «journal noir secret» : dans mes «mémoires cachées».
S.- Quelle discipline ! Et si Juliette, votre maîtresse «officielle» -à présent que la mère de vos cinq enfants s’est «retirée» définitivement- le découvrait?
V.- Elle est férocement jalouse. Je n’ose même pas l’imaginer. Je dois être à «tout». Avoir mille yeux. Avec d’infinies précautions. Avec prudence. En sachant dissimuler. Sans me permettre la moindre négligence. Tant avec les bénévoles qu’avec les professionnelles.
S.- Bénévoles ? Quelles bénévoles?
V.- Enfin. Je veux dire qu’il y a des jolies femmes qui en pincent pour moi.
S.-…il est vrai que j’ai su que même l’une de vos servantes, lorsque vous faites tinter un louis d’or sur le marbre de votre cheminée accourt pour…
V.- … … elles accourent, elles volent jusqu’à mon lit, ces polissonnes.
S.- Polissonnerie ou juste prix de la mal payée?
V.- Chez moi «tout» est bien payé … C’est pourquoi je tiens un registre privé de mes dépenses. De mes rencontres. Des frais qu’entraîne mon activité amoureuse. Et de la nature exacte de chaque transaction que l’amour suppose pour un poète tel que moi.
S.- A cause de votre appétit frénétique de culs frais, vénéré maître?
V.- Un mot aussi osé ne m’est jamais venu aux lèvres.
S.- Je faisais allusion maladroitement à l’objet de votre frénésie incontrôlable. Pour tisser les rêves les plus passionnants il vaut mieux les faire avec des hongreuses.
V.- Taisez-vous ! Disons que cette mienne passion que l’on pourrait être amené à juger incontrôlable est tout simplement mon obsession maniaque d’aimer.
S.- On comprend que le registre écrit de cette obsession soit mis sous clé et enfermé à triple tour.
V.- Ce serait une fameuse surprise si tout mon troupeau le lisait!
S.- Tout votre «troupeau» de culs…
V.- … je suis un poète, je n’aime pas les vulgarités. Mon «journal noir secret» est une archive amoureuse. Pour mon usage exclusif.
S.- Vous avez inventé une nouvelle langue pour messieurs en détresse.
V.- J’écris dans un mélange hermétique de latin macaronique, d’espagnol un peu fantaisiste, d’hiéroglyphes que j’invente et d’espéranto de cuisine. Mais avec une poésie télégraphique.
S.- Toujours aussi d’avant-garde, maître!
V.- Je ne supporte pas ce qui est vieux, archaïque.
S.- De sorte que votre jargon ne pourra jamais être lu par aucune de vos victimes.
V.- Pourquoi dites-vous victimes?
S.- Excusez-moi, vénéré maître. De tout feu vous faites votre bois (Pause). Des êtres qui ont eu l’honneur de recevoir votre membre dans leurs derrières.
V.- Ne m’exaspérez pas avec vos indécences. (Pause) Même dans les moments de crise. De tragédie personnelle. De douleur personnelle. Mes besoins sensuels c’est-à-dire amoureux exercent toujours leur dictature quotidienne.
S.- Et je comprends que les besoins impérieux de vos impulsions imposent une tyrannie constante à votre phallus.
V.- (corrigeant et criant).- De la tyrannie de l’amour dont je souffre!
S.- Je pense à… un « frin-gant-po-è-te de 70 ans » (elle le désigne sans aucune discrétion). Je pense au vénéré maître. A vous souverain comme un raz de marée. Et au conformisme du monde, de la terre, de tout l’univers, qui vous oblige à détailler vos vagabondages en les cryptant. Vos errances en chasse de l’appétissant plumard féminin.
V (rectifiant).- A la recherche poétique de l’amour.
S.- Et de vos «fredaines» pour rassasier la fringale de l’énorme trou de votre gosier.
V (scandalisé).- «trou de mon gosier», «fredaines»..Vous employez de ces expressions!
S.- J’essaie d’évoquer avec tact, tant vos insuffisantes amours ordinaires avec des «bénévoles» qu’à l’effervescence de vos relations extraordinaires avec des «messalines». Avec des putes.
V (en colère).- On pourrait croire, à vous écouter, que…sans le défraiement préalable d’une professionnelle jamais je n’aurais plus jouir de…
S.- … Dieu m’en garde, je n’irai pas jusqu’à jamais, non. On peut toujours trouver chaussure à son pied.
V.- Vous essayez de m’agresser?
S.- Bien loin de là, vénéré poète. Pour tous, pour moi, vous êtes le meilleur. Vous avez le droit plénipotentiaire de démanteler toute planification et d’inventer votre propre rythme. (Pause) Surtout face aux archi-flagorneurs qui ne connaissent pas votre dévotion archi-éclatante pour les archi-dévergondées.
V (agressé).- Je n’ai de dévotion que pour la Poésie.
S.- C’est ce que je voulais dire. Et c’est toujours ce que je pense. Vous n’êtes pas et vous êtes: telle est votre circonstance. Vous, éminent maître, vous êtes la réincarnation de Priape.
V (blessé).- Je ne suis en aucun cas un obsédé, mais simplement (il hésite, il a du mal à poursuivre)…un éternel…poète…un éternel amoureux.
S (tentant de se faire plus élogieuse).- Personne n’en doute. Vous devenez un géant à la sueur de vos révoltes. Vos désirs irrésistibles rappellent votre inoubliable passé espagnol: ce sont comme des fureurs taurines.
V (douché, il tente de rectifier l’image).- En Espagne, lorsque j’étais petit, j’ai vécu un grand amour. Avec une fillette espagnole.
S.- Ce fut votre première drague?
V.- Le mot «drague» ne me plaît pas…C’était une petite Madrilène. Elle s’appelait Paquita. Ce fut mon premier grand amour…ma fiancée!
S (très grossière).- Vous l’avez sautée?
V.- Un poète comme moi ne « sau-te » jamais.
S.- Je sais bien que (forçant sa veine poétique) «l’axe de la terre pourra se briser mais jamais -en vous- ne pourra s’éteindre la flamme de votre premier amour.»
V.- Pour ma Paquita, ma première fiancée, est et sera inoubliable.
S.- Bien sûr, illustre maître. Il n’y a pas le moindre doute. Et vous ne l’oubliez pas non plus pendant que (vulgaire) une belle pipeuse vous suce le navet?
V.- Mademoiselle Bernhardt, vous êtes une actrice sublime. Même Oscar Wilde l’a reconnu. Comme poète de l’amour je ne puis tolérer que vous traitiez avec une telle vulgarité mes précieux souvenirs.
S.- Votre précieux amour pour Paquita, j’en suis bien consciente. IL ne faut rappeler constamment les certitudes flagrantes qu’aux spécialistes. Premier Amour, d’ailleurs, à propos duquel, votre louangeur le plus lèche-bottes, Baudelaire, a écrit… «secrètement»…
V.- … qu’a-t-il écrit «secrètement»? Cette espèce de poète mo-der-nis-te qui m’a répété dans presque toutes ses lettres: «je-vous-aime-comme-j’aime -vos-livres».
Sarah répète en même temps que Victor Hugo la phrase de Baudelaire.
S.- Cependant, il a fait allusion à Paquita d’une manière déplaisante. Il dit plus précisément «…cette angélique de Paquita si sucrée, rachetée par sa bonté encore plus sucrée me répugne.» Je ne trouverais ça drôle que si Victor Hugo écrivait son projet de l’Anti-Misérables «satirique». «Pour rire.» Et il propose que «Les Misérables» soit lu comme un pavé à la gloire d’un «assassin, voleur, incendiaire et canaille». Et il suggère qu’il se termine par cette phrase «je jouis en paix grâce au fruit de mes crimes et vilenies».
V.- Je ne peux pas le croire. Je me sens détruit, humilié jusqu’aux tréfonds …
Lis entre soudain avec un double carcan-collier en fer joint par une chaîne de 20 centimètres également en fer.
Lis suspend le carcan-double-collier à une patère du porte-manteau de la loge.
S.- Pendant que le «tribunal d’occupation» décide de notre sort est-ce que les jeunes bar-ba-res d’aujourd’hui vont attacher leurs chiens-loups au porte-manteau ?
L.- Moins d’ironie, citoyenne.
Lis sort aussitôt.
V (très apeuré).- Vous avez vu? A coup sûr ce carcan est pour nous deux.
S.- Oubliez les barbares.
V.- Vous vous pouvez «oublier» qu’un groupe de fanatiques peut nous liquider ? Et que pour commencer elle nous ont fait nous déchausser et ont accroché à notre porte-manteau un collier de dogue.
S.- Mais depuis le début, avec les anarchistes ou sans elles, admirable poète, je vous ai précisé maintenant! : le futur du passé antérieur. Le plus ardent désir de mes entrailles.
V.- Je ne trouve pas normal qu’alors que nos vies sont en jeu…Assurément quand dès l’abord je vous ai appelée divine vous vous êtes permis une plaisanterie obscène sur la nudité de ceux qui… qui peuvent…ou pourraient vous accompagner dévêtus.
S.- Je bâtis de tels châteaux en Espagne que je ne sais que faire de leurs décombres. J’ai du mal à accepter des éloges immérités. Comme celui de « di-vine ».
V.- En réalité vous n’avez pas cessé de m’agresser. de me dire sur tous les tons que seulement et uniquement dans les lupanars et contre une grasse rémunération je me paie-…(Pause. Furieux).Vous prétendez que parmi les femmes qui « le font » avec moi…il n’y a, selon vous, que très peu de bénévoles. Vous avez osé l’affront de me rappeler une vieille expression : « on trouve toujours chaussures à son pied ». En laissant entendre que moi-même je ne serais…dans le meilleur des cas…qu’un pied.
S.- Mon admiration pour vous, vénéré maître, est née précisément quand j’ai accepté de jouer dans votre drame « en alexandrins » Ruy Blas, l’ « Espagnole ».
V.- L’ «Espagnole »?! Vous continuez à m’insulter. Dans ma pièce vous assumez le rôle de la «reine ». La reine d’Espagne! (déclamant) « Ce siècle avait deux ans … Alors dans Besançon vieille ville espagnole ».
S.- J’en suis ravie. Que vous croyiez même, vénéré maître, malgré tout le branle-bas de ces jeunes barbares, que vous-même êtes né en Es-pa-gne.
V (très digne).- En vous regardant droit dans les yeux je vous certifie, si nécessaire avec mon sang -et je ne dis pas mon sperme pour ne pas être vulgaire- que je suis le fils du comte -et général- Joseph Léopold Sigisbert Hugo et que je suis né le 26 février 1802 dans la ville de Be-san-çon.
S (sans lui prêter la moindre attention).- Il est bien connu que (lisant une note de sa poche) «de toute son histoire aucun soldat espagnol n’a jamais occupé Besançon». C’est ce qu’a dit à ma mère l’un de ses meilleurs clients: le célèbre historien et maire de Besançon de 1867 à 1870 : Léon Proudhon.
V (indigné).- Un bonapartiste!
S.- En réalité la musicalité de l’admirable alexandrin sur Besançon de votre excellent quatrain l’exigeait:
« Ce siècle avait deux ans! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois… »
etc.
V.- (vindicatif).- Je dois vous rapporter une rumeur odieuse (Pause). Vous êtes la fille du comte de Morny! Un demi-frère de ce traître de Napoléon III.
S.- Je savais et je sais que c’est mon « pè-re ». Mon père, comment dire… bio-lo-gi-que, c’est cela! Si j’en crois les rumeurs les moins invraisemblables.
V.- L’ex-ministre de l’Intérieur Monsieur Charles de Morny!!! Le comte? Le comte qui a fini duc. En outre c’était le fils « naturel « de la reine Hortense de Hollande-votre grand-mère « bio-lo-gi-que ». Charles de Morny qui payait les yeux fermés…
S.-…et somptueusement. Oui. Ce que nul ne peut nier c’est que monsieur le duc a payé tout mes frais d’écoles, de bonnes et d’entretien en Bretagne. Par l’intermédiaire de ma mère. Lui et moi nous nous sommes rencontrés la première fois bibliquement.
V.- Bibliquement?!
S.- Je veux dire dans le salon de ma mère!
V.- Comme ça? De but en blanc?
S.- Sans que personne ne nous ait présentés. Ce fut l’un de mes premiers clients dans le lupanar familial. Spontanément. Alors qu’il avait quarante-sept ans. Et moi quatorze.
V (surpris et appâté).- Vous aviez quatorze ans? (Admiratif. Sans bien se rendre compte de ce qu’il dit). Vous avez dû être un vrai délice pour monsieur le comte-duc!
S.- Pour le « Grand croix de la Légion d’Honneur » qu’il portait toujours sur lui. Le premier jour le diable a mis le feu.
V.- De sorte que vous Mademoiselle Sarah Bernhardt vous « seriez » la fille du duc de Morny-et descendriez de Talleyrand lui-même. Et d’une certaine manière puisque votre père était le demi-frère de Napoléon III, Président de la République jusqu’à il y a peu, vous êtes pour le moins la nièce de …
S.- …évidemment je suis une bâtarde.
V.- Ce que vous avez dû souffrir toute votre vie à cause de cette faute irréparable et douloureuse de…
S.- Pourquoi? Je ne vois aucune raison de souffrir. A vrai dire cette histoire de bâtardise, je m’en tamponne. Ce n’est pas non plus une affaire d’Etat. D’ailleurs mon père, le ministre… ou duc de Morny… était lui-même un «bâtard», un bâtard de tous les côtés. Un jour il m’a avoué -comme client- : «Dans ma lignée nous sommes tous bâtards de mère en fils depuis plus de trois générations. Moi-même je suis arrière-petit-fils de roi, petit-fils d’archevêque, fils de reine, frère d’empereur…»
V.- Mais avez-vous parfois vécu auprès de votre père «éventuel»?
S.- Nous n’avons jamais passé une nuit ensemble. Mais quelques après-midi de cinq à sept.
V.- Et, comment vous dire ? Alors que vous n’aviez que quatorze ou quinze ans sans avoir, ni la majorité, ni juridiquement la protection paternelle …
S.- …ma mère se chargeait de ces choses-là très sérieusement. Quand la marge subsiste on ne distingue plus les traces. Ces pactes avec des mineures sont épineux. C’est toujours une question d’argent. Il faut les négocier.
V.- Dans vos alcôves?
S.- À force de tant d’allers et venues des révélations surgissent, et même on crée des liens avec presque tous les clients. Avec les tendres folies des adolescentes surdouées. Mais jamais avec les vicieux. (Geste de dégoût) Avec ceux qui ne veulent pas payer.
V.- Il est de notoriété publique que c’est votre «père bio-lo-gi-que», ministre de l’Intérieur, qui a décidé de créer le registre des «courtisanes».
S.- Pour éviter que la confusion n’emmêle les cordes. Des demi-mondaines, il en connaissait un rayon. Si je vous dis qu’il était plus assidu aux sa-lons si faire se peut que vous-même, admirable maître…
V.- Ne me comparez pas, je vous en prie…
S.- Je suppose que grâce à ce registre -les langues sont si archaïques- il pouvait choisir, pour son «usage» personnel, la meilleure…et surtout la plus médicalement saine…
V.- J’ajoute qu’il a appelé ce «registre des courtisanes» : «Les archives secrètes de la police des Mœurs»! De son ministère de l’Intérieur il contrôlait toutes les demi-mondaines. En outre il comptait sur l’aide des meilleurs limiers. J’ai su que ce répertoire contient 415 rapports nominatifs.
S.- Il était mais très très très fûté. Dans son registre, nous figurions toutes. Toutes les putes.
V.- Je n’aime pas du tout vous entendre dire…
S.- …il faut vous habituer au mot pute. Pu-te. C’est beaucoup plus clair que prostituée, péripatéticienne, bagasse, radasse, michetonneuse, poufiasse, morue, langouste, crevette, catiche, cavette, tapineuse, pétasse, roulure, chabraque…Vous préférez l’usage quotidien de la pu-te au mot exact? Son secrétaire, le co-auteur de la «Belle Hélène», les présentait généralement au duc.
V.- Son meilleur rabatteur.
S.- «Ra-ba-tteur»! Un homme illustre qui est ou a été un célèbre académicien. Moi je n’ai eu besoin ni de conseillères, ni de rabatteurs, ni de «belles haleines». Depuis toujours j’ai pris la décision de faire ce qui me convenait.
V.- Froidement.
S.- Non avec le bouillonnement de mes quatorze ans. En tenant compte des possibilités que le destin avait mises entre mes mains. A quatorze ans…comme la plupart des adolescentes de cet âge, de cette époque et dans mes conditions… C’est pourquoi j’ai arbitré selon ce qui me restait de vie, avec fermeté. Et j’ai pris la résolution inéluctable d’être putain… Je rêvais et me réveillais ensuite. J’ai été putain sans que personne ne m’y ait obligée avant d’être admise à la Comédie Française. Et je suis une putain sans que personne ne m’y oblige après être entrée à la Comédie Française…
V (enthousiasmé).- ….par goût!
S.- Bien évidemment, ce n’est pas par goût. Je n’en n’ai jamais vu aucune qui l’ait fait par goût. Invisibles, elles seraient encore plus efficaces. Et j’ai connu des professionnelles qui, en toute occasion, finissent la besogne, la charge ou le job le plus vite possible.
V.- Bien sûr, vu comme ça.
S.- Cette «seconde occupation» je m’y adonne par commodité, confort et bon raisonnement. Et, pour plus d’émotion, sans ordre alphabétique. Ma véritable et ma grande vocation c’est quelque chose qui me bouleverse follement et qui me permet de vivre intensément. C’est quelque chose de beaucoup plus absurde: le théâtre.
Série d’explosions. Lis revient sur scène.
L.- Déshabillez-vous tout de suite. Entièrement. Je vais vous contrôler. Et une fois que vous serez comme la nature vous a mis au monde, vous vous mettrez en chemise.
Comme pour asseoir davantage son autorité, Lis tire en l’air avec son revolver.
S (L’air détaché).-J’enlève aussi mon ivresse (signale effrontément sa culotte) et mon balconnet ?
L.- J’ai dit entièrement.
V.- Enchanté de me déshabiller pour la cause. Mais je porte une ceinture pour le froid… mad… compagnonne ! Je dois l’enlever aussi?
L .- Tous les deux vous devez enlever tout ce que vous portez sur vous.
S.- Heureusement que nous étions déjà pieds-nus comme des mules sans godasses.
L.- Collabore, citoyen, sans broncher.
S.- J’espère que ceux qui vont nous voir à poil ne vont pas se moquer de nous.
L.- La révolution est la quintessence de la décence. Ici personne ne vous regardera quand vous serez… nus.
S.- Et vous?
L.- Moi je contrôle, citoyenne, uniquement et exclusivement.
S.- Même comme dans quelques secondes vous pourrez voir les parties honteuses du citoyen Hugo, monsieur Victor Hugo.
L (révolutionnaire).- La révolution ne connaît jamais la honte, citoyenne.
S.- Je fais allusion aux amourettes et au bigoudi prenant l’air…?
L.- Ici la seule chose qui est et sera à l’air ce sont les drapeaux révolutionnaires.
Lis tire à nouveau.
V (très aimable).- Je suis à votre disposition et à celle de la révolution.
L.- Moi aussi je te respecte comme pour tout citoyen. Et tu auras l’occasion de te défendre devant le tribunal.
A l’extérieur voix féminines chantant la Marseillaise au moment ou, par hasard, Sarah et Victor sont totalement nus.
Lis inspecte les corps de Sarah et de Victor.
L.- Je dois contrôler les corps, même l’entrejambe, selon l’ordre que j’ai reçu du Comité.
S.- Ne cherchez pas en ces en-droits si sen-si-bles. Aujourd’hui nous jouons notre quintessence.
L.- Je fais ce que je dois faire sans chichis.
Lis à présent inspecte Victor.
S.- Attention, ce monsieur dans ces parties-là est plus chatouilleux qu’une vache à grelots.
Une fois le contrôle terminé.
Lis remet deux chemises de nuit blanches à Sarah et à Victor.
Aussitôt tous deux se couvrent.
L.- J’ai ordre de vous mettre le carcan à doublé collée.
Elle prend au porte-manteau le collier en fer joint par une chaîne en fer aussi de 20 cm (ou un peu plus longue si la différence de stature est grande entre les deux)
Lis enserre Sarah et Victor dans le carcan à double collier qui les unit étroitement.
S.- On dirait du neuf. Quelque chose de libidineux et de fichtrement excitant. Comme une permission dans la paume de la main.
L.- Ferme-la. Ici, on n’est pas d’humeur à tolérer ces caprices bourgeois
V.- Ici nous voulons tous aider la révolution.
L.- Pas besoin de tes aides. La seule chose que nous exigeons de vous c’est que vous ne bougiez pas d’ici ; Mais avec ce collier et pieds-nus, vous ne pourrez pas allez bien loin, citoyens!
Lis sort.
On entend toujours des tirs et des hymnes révolutionnaires.
Sarah et Victor unis par le cou dans leur carcan sont plus en communion que jamais.
Ils se regardent longuement.
Enfin:
V.- Je sens…
S.-…l’hirondelle est de retour même si elle est revenue de tout.
V.- J’ai plus ou moins l’âge de mes artères …parler pour moi suppose un effort. Un discours m’accable. Il m’épuise parfois. Il me fatigue comme …de faire l’amour trois fois… quatre.
Après une longue réflexion.
Il la regarde, illuminé.
Sa voix et son regard sont pleins d’excitation.
V.- Vous êtes si…désirable! Si près de moi. Ma peau en contact avec votre peau et mon corps excité par le vôtre…Soudain, vous n’êtes plus la même… alors que nous sommes unis de cette manière, et donc inséparables.
S.- De quelle belle vitalité vous jouissez encore, admirable maître! Peut-on remonter le temps avec des talons aiguilles?
V.- Votre bouche si proche de la mienne…
S.- Et la mienne… de la vôtre.
V.- Et ma salive en contact…
S.- Avec ma salive.
V.- Je sens que tout se dresse en moi…
S.-…comme je vous comprends en balançoire!…
V.-…je sens une houle jusqu’ à la douleur … là, à l’intérieur.
S.- Ne souffrez pas, vénéré maître.
V- C’est la violence de la fougue …
S.- Même entourés de mille yeux …de révolutionnaires nous épiant sans simulacres ni simulations?
V.- Je ne vois que vous. Ni les circonstances les plus tragiques d’hier, ni les hécatombes « historiques » de cette nuit à l’Odéon n’éteignent ma si furieuse soif…
S.-…quand rien ne résout tout… vous désirez frotter…
V.- …il me prend envie…de vous avaler…de vous dévorer.
Il regarde longuement et intensément la bouche de Sarah, en silence.
S.- En construisant votre infini, comme je vous comprends
V.- Quand ma bien-aimée fille Adèle est devenue folle et s’est échappée des Antilles, elle est revenue au foyer paternel grâce à Madame Baa… et
S.- … «sa porte sur la vie est plus sombre qu’une tombe»
V.- Ces mêmes mots -que vous avez appris par coeur- je les ai écrits sur son état. Mais malgré la tragédie. Malgré l’immense douleur cette nuit-là je n’ai pas pu résister. Sachant que Madame Baa …reposait… étendue… si proche …sur une couche …à portée de main… Par delà ma souffrance pour ma fille j’ai connu une… glorieuse …plus que «glorieuse» …ex-pé-rien-ce.
S.- Ça s’est passé il n’y a que quelques mois, sans entre-actes
V.- Quel-le-nuit! Ai-je joui jusqu’à la satiété …de Madame Baa ! Ce fut même pour moi une nouveauté en amour. Ce fut la première femme noire de ma vie!
S.- Ma-da-me-Baa, la grande bienfaitrice de votre fille Adèle!
V.- A vous seulement, maintenant, excité par votre corps contre le mien, et à mon «journal noir secret» j’ai pu et je peux raconter la nuit… confidentiellement … oui, un secret très intime: avec madame Baa… je peux dire toute la beauté poétique de cette nuit-là…oui, avec Madame Baa j’ai fait tout le «parcours» …le même par-cours que… avec toutes les mêmes étapes et les mêmes mouvements du grand «parcours».
S.- Dans l’omniscience…de A à Z?
V.- Sans oublier …(il hésite, ne trouve pas le mot, enfin) son superbe … son divin…
S.-…trou du cul ? Le trou du cul de madame Baa!
V.- Ne dites pas de grossièretés, s’il vous plaît. J’aime nommer lyriquement tout ce qui affole ma cécité poétique. Bien que ma poésie, ma cécité aient pénétré, despotiquement, dans son …
S.- Elle, votre poésie, l’a tenue captive entre ses mains comme un oiseau sans ailes.
V.- J’ai batifolé avec ma prisonnière bien que j’aie été, moi-même, l’esclave de ma frénésie.
S.- J’imagine ce qu’a pu ressentir et penser cette bienfaitrice de votre fille Adèle: seule. Sans foi, à présent. Sans espérance. Et dans l’attente de la charité…
V.- Toute convulsion est une histoire d’amour. J’ai encore en mémoire cette jouissance de spasmes ! Je veux que vous sachiez que la fougue de ma tension poétique est telle…
S (comme si elle lisait un message en le détaillant).- Comme un polyglotte à double langage je lis votre message: « Votre fougue d’alors et de toujours et d’aujourd’hui est telle… »
V.- …le poète ne peut maîtriser son effervescence. Il n’y a rien au-dessus du frénétique, torrentiel élan poétique.
S.- Et même quand vous craignez pour votre vie, rien ne peut calmer votre excitation?
V.- Absolument pas. Rien ne pourra l’empêcher de plonger dans la plus délirante sensualité.
S.- Sauf le vice, il n’y a rien de plus excitant que la vertu.
V.- Précisément aujourd’hui?… maintenant ? Et avec plus de voracité poétique que jamais.
S.-Prisonnier de votre désir. Fu-rieu-se-ment?
V.- Oui, furieusement!(pause) Mais, comment le percevez – vous si distinctement? Comment lisez-vous si perspicacement dans mon âme?
S.- Parce que nous sommes en pleine communion. Je suis….votre pu-tain.
V.- Dites que vous serez …ma femme de plaisir!
S.- Pour vous combler, en Kamasoutra, comme personne.
V.- Je dois le reconnaître: la passion poétique me rend fou.
S.- Nous sommes comme des médecins. Ma discipline est toxique. Racontez-moi sans ambages…
Silence. Il règne une grande tension entre eux deux. Ils avancent l’un vers l’autre. Il tremble?
V.-…ma virilité… en violente élévation… à présent.
S.- «Votre verge… à présent, inventant l’érection»…
V.-…ma …poésie doit s’implanter en vous-même.
S.- Je répète vos paroles comme si j’étais un souffleur (prenant la voix et imitant le tremblement de Victor)… votre phallus doit me pénétrer jusqu’à la perpétuation »
V.- Il doit toucher vos entrailles…
S.- «Il doit approfondir mes certitudes».
V.- …accéder à votre torrent…
S.- «accéder à mon égarement…»
Silence. Leurs visages se rapprochent. Puis leurs lèvres. Les mains se trouvent à la hauteur du double carcan.
V.- … Pour jaillir dans l’explosion et l’orgasme…
S.- … «pour décider de la pléthore et de la foule»…
Long silence. Ils sont de plus en plus proches l’un de l’autre.
V.- Sur le point d’éclater d’amour.
S.- «Sur le point de déclencher le rythme»
V.- En conjugaison …en liquéfaction….
S.- «…en incendie de démons… en fusion…» c’est ce que vous désirez avec moi, vénéré maître?
V (il grogne ?).- Avec des spasmes, avec des convulsions, avec des étincelles!
S.- avec des atavismes et des flammes
V.- Maintenant… même!
S.- «Avant et après. Là, maintenant?»
V.- Ici dans votre loge!
S.-«Ici dans mon chou-fleur?»
V.- Unis par le sol!
S.- «Vautrés sur le dos de la planète?»
V (il grogne?).- Sous… dans…la chemise.
S.- «Sous…dans…le vertige»
V.- J’entends le battement de mon amour
S.- «J’écoute planer votre fureur sexuelle».
Victor et Sarah tombent à terre. Victor tremble. Les chemises de nuit semblent prises de convulsions.
Victor déchire celle de Sarah.
V.- Je vous aime. En cet instant. (il grogne ?) Comme jamais je ne vous ai aimée.
Longue pause.
Comme si Sarah se répétait mentalement les trois phrases.
S.- Vous m’aimez sans frontières? En cet instant étourdissant? Ebloui comme jamais?
Ils disparaissent sous les chemises.
Elles les couvrent entièrement.
Mouvements de copulation entre Sarah et Victor.
Soudain Sarah enlève le carcan et le jette loin d’elle.
IPSO FACTO : LUMIÈRE INTENSE.
IRRADIATION. LETTRES EN NÉON :
« SALON DE MASSAGE ».
La loge de Sarah est devenue en un instant un « salon de massage » de 2018.
Sarah, exaspérée, très loin de Victor, l’apostrophe :
S.- Tous les samedis …avec votre énorme fortune qui caracole en tête de la liste Forbes, nous, métrosexuels, parcourons …
V.- …non…même si par hasard en ce moment Forbes considère que je suis … Je n’oblige jamais personne… mais continuez ! …continuez !…ne me laissez pas comme ça.
S.- Ici nous faisons toutes ce que vous sollicitez (elle réfléchit à ce qu’elle va dire). Nous formatons vos programmes avec « mille amours ». Et à la nano-seconde près. Puisque vous êtes, l’être humain, aujourd’hui «le-plus-philanthrope-du-monde». En millions de dollars…
V.- Oubliez ces chiffres et laissez-moi vous aimer, comme poète, éternellement. Ne me laissez pas à mi-parcours… continuez ! …continuez ! Pour un instant, un seul …changez-vous en…
S.- …changer ?… J’ai changé, sans Wifi, ce salon de massage en l’authentiquement fausse loge de Sarah Bernhardt, avec son génie inattendu!
V.- Ne rappelez pas, je vous en prie, ce qui n’est qu’accessoire… Je suis pour toujours Victor Hugo. Et vous pour toujours Sarah Bernhardt… continuez ! …ne vous arrêtez pas comme ça.
S.- Les figurantes des combles, comme des majuscules graves, vont tirer, comme prévu! Juste au bon moment. Avec des vraies balles, tout à la fin. Et comme vous l’avez décidé : sans toucher à un seul de vos cheveux !
V.- (incapable de s’exprimer normalement) …continuez, je vous en prie …continuez …Laissez-moi poursuivre mon rêve …avec vos mains … avec votre bouche …avec votre minou …avec votre… ne me laissez pas !
S.- Attention! ne vous placez pas près du tableau de Thiers. C’est la cible, sans accent ni tréma, pour les fausses «barbares» des combles. Pour les filles de la « figuration intelligente ».
V.- …je suis… Victor Hugo. Je suis réellement… le poète de la passion. Je n’accepte pas que vous ne le croyiez pas. Laissez-moi rêver que je ne suis pas un multimillionnaire. Que je suis Victor Hugo. Et vous l’inoubliable Sarah Bernhardt.
S (qui ne croit en rien).- Oui, oui, bien sûr, bien sûr, et moi je suis Sarah Bernhardt. Et votre poupée namji du simulacre.
V.- Remettez-moi le carcan à double collier. Le carcan de l’amour. Eternellement.
S.- Comme les habits neufs du président? Jusqu’à ce que tirent les extras ? : les « imparables »? Attention! elles vont canarder des combles à balles réelles. Comme vous l’avez demandé. Pour que votre rôle soit plus exaltant.
V.- Je ne pense qu’à l’amour. A votre amour. A coups de dents.
S.- C’est l’heure de cesser de rêver. D’aller à la « corbeille »… d’internet ».
V.- Je veux que le rêve amoureux…
S.-…le rêve uniquement sexuel. Vous avez toujours l’écran allumé?
V.- Plus prisonnier de l’amour que jamais.
S.- Encore excité… en double couleur?
V.- Je dois en finir.
S.- Vous êtes toujours en chaleur…point com !
V.- Je veux vous sentir toute proche.
Sarah s’éloigne de plus en plus de Victor.
S.- Le feu vous ne l’avez pas passé … en tweet?
V.- Je veux vous sentir contre mon corps…
S.- …le fugace et asservissant instagram ? Avec vidéo ?
V.- L’infinie ardeur de la poésie.
S.- Oubliez les doubles marges… quand brament vos appétits.
V.- Je meurs… poétiquement.
S.- La séance a expiré?… sans scanner!
Debout,Victor fait deux pas vers Sarah. Il se trouve près de la tête de Thiers.
V.- Je veux mourir.
S.- Vous voulez jouir… avec super-apple?
V.- (Convaincu) Je veux mourir.
S.- De plaisir … flash-code?
V.- (Sincèrement) Oui. Oui. Je veux mourir.
S.- De volupté … hashtag point com?
V.-(Convaincu et très sincère) Je veux mourir d’amour!!!
Tirs de kalachnikov depuis les combles.
Une balle traverse la tempe de Victor.
Elle le tue sur le coup.
Sarah le prend dans son giron,
très tendrement.