Nel mondo imprevedibile di Arrabal
Una mostra stupenda a Parigi di Fernando Arrabal , al Musée Montparnasse, con i suoi geniali Poèmes plastiques.
Drammaturgo, cineasta, poeta, romanziere, artista poliedrico autore di geniali POEMES PLASTIQUES (Musée du Montparnasse de Paris et « La règle du jeu ») , geniale Fernando Arrabal quanto imprevedibile
Il Messaggero di Roma.- Qui, le premier, vous a appelé provocateur?
F.Arrabal.- Je pense que ce furent les franquistes.
Il Messaggero di Roma.- A cause de votre ‘Lettre au Général’?
F.Arrabal.- Avant … au grand dam des autorités de l’époque la première au National Theatre de Sir Laurence Olivier de ma pièce « L’Architecte et l’Empereur d’Assyrie » coïncidait avec l’interdiction de tout mon théâtre en Espagne. Pour justifier leur veto mes censeurs ont inventé que je n’avais qu’un succès de provocation. La preuve, ont-ils dit, je donnais « des sandwichs d’excréments aux spectateurs »
Il Messaggero di Roma.- Quelle imagination!
F.Arrabal.- Tout serait inexplicable sans le diable. Systématiquement on accuse de provocateur la personne que l’on condamne « intellectuellement ». On veut la faire passer pour inaccessible et abscons: « évidemment il nous provoque avec son fatras incompréhensible ».
Il Messaggero di Roma.- La provocation…
F.Arrabal.-Elle sert shakespeariennement: « tout ce qui existe me convient ». Cette provocation qu’on m’attribue me permet d’avancer masqué. « Larvatus prodeo » face à la révélation … à l’Apocalypse.
Il Messaggero di Roma.- Comme Descartes….
F.Arrabal.- Elle me permet de continuer à « faire » , en « hacedor »; sans être distrait par une réception (qui pourrait être pondérée) de mes écrits. Certains ont fait de moi un provocateur si scandaleux que je refuse de me saluer. Ma fausse légende me protège.
Il Messaggero di Roma.- Vous dites toujours que vous et qu’aucun de vos amis n’étaint provocateur; vous citez Ionesco et Louise Bourgeois.
F.Arrabal.- – Je peux aussi me référer à Dalí ou Wahrol. Ils ne craignaient pas le qu’-en dira-t-on; ils cherchaient , comme Esaïe, le de quoi-rira-t-on
.. provoquer , ‘provocare’ , c’est appeler, inciter , défier.
Il Messaggero di Roma.- Surtout défier?
F.Arrabal.- On peut provoquer au combat ou provoquer l’hilarité. La fausse humilité est plus fausse que la fausse vanité.
Il Messaggero di Roma.- Le spectateur, et plus encore le téléspectateur, ne prend pas le temps de réfléchir?
F.Arrabal.-Dans mon cas , on se fonde souvent sur des apparitions télévisuelles qui dispensent de lire mes textes…Le Terrien se nourrit de ses terreurs.
Il Messaggero di Roma.- … particulièrement chez vous en Espagne.
F.Arrabal.- Mes maîtres . De Diogène à Socrate, étaient-ils des provocateurs ? : Ils incitaient…à penser . Au « soyons réalistes exigeons l’impossible’ ils préfèrent ‘soyons impossibles exigeons le réalisme’.
Il Messaggero di Roma.- Vos définitions…
F.Arrabal.- … ne sont que des arrabalesques…
Il Messaggero di Roma.- ..vous les nommez aussi « jaculatoires »…
F.Arrabal.- …la « prière jaculatoire » garde un sens d’explosion divine. Ejaculatoire. En dehors du temps. Éternelle. Mais c’est aussi une déflagration subite. Comme l’intuition.
Il Messaggero di Roma.- Je sais que , même à l’Université on se référe, par exemple à la Pataphysique de cette manière.
F.Arrabal.- La Pataphysique … comme les trois autres avatars de ladite modernité (Dada, Surréalisme et Panique) n’a rien d’abscons. Ce sont quatre démarches poétiques. Quatre tentatives de saisir ou de comprendre l’existence un peu mieux. Parmi la ferraille des rêves.
Il Messaggero di Roma.- Démarches poétiques…
F.Arrabal.- La même aussi que celle des mathématiciens ou des physiciens. J’aime bien la signification première de poète: « hacedor »: le mot qu’employait à juste titre Borgès au cours de nos conversations.
Il Messaggero di Roma.- Faiseur… hâbleur…
F.Arrabal.- Peut-être nos ancêtres de l’Agora voulaient-ils dire que le poète est celui qui « humblement » essaie de « faire » mieux avec les mots. Innocents et cruels. On ne poignarde pas avec la flamme d’une bougie.
Il Messaggero di Roma.- Votre pièce ‘Fando et Lis’ montre justement des personnages à la fois innocents et cruels…
F.Arrabal.- … comme le sont les enfants. Pervers polymorphes dont nous avons tendance à ignorer le côté sombre. Il est plus plaisant de croire comme Rousseau que notre bonté «naturelle» est corrompue de l’extérieur par la société . Comme si on échangeait la trompe d’Eustache contre les trompettes de Jéricho.
Il Messaggero di Roma.- Vous êtes toujours aussi ému, à l’aube de vos 81 ans, d’entendre les textes qui évoquent votre père.
F.Arrabal.- Avec un peu de honte toujours. Et avec la peur d’être surpris ravagé para l’émotion.
Il Messaggero di Roma.- Ce père, Fernando Arrabal Ruiz, vous l’avez perdu à l’âge de trois ans et il est devenu au travers de vos textes et de vos films un héros mythique qui parcourt votre oeuvre, de ‘Baal Babylone’ au plus récent ‘Porté Disparu’.
F.Arrabal.- Et bien entendu dans mes rêves survoltés par les tourments et l’obsession.
Il Messaggero di Roma.- Il me semble qu’au-delà de ce personnage récurrent, c’est toute votre oeuvre qui est marquée par sa disparition.
F.Arrabal.- Hélas. Puisqu’il est d’abord le modèle inimitable, et ensuite la source de mes cauchemars
Il Messaggero di Roma.- Et peut-être, le fait même que vous soyez devenu écrivain ?
F.Arrabal.- Parfois je pense que j’écris pour que son « sacrifice » ne soit pas oublié. Pour que sa mémoire survive.
Il Messaggero di Roma.- Pour que justice lui soit rendue?.
F.Arrabal.- C’est peut-être ma raison d’avoir combattu les mauvaises figures paternelles , celles des dictateurs et tyrans, ces «petits pères des peuples ou des nations» qui aliènent et infantilisent . Si égotistes que seul les séduit l’amour propre.
Il Messaggero di Roma.- Il m’a semblé que vos pièces étaient entendues maintenant plus tendrement…
F.Arrabal.- … le lait de la tendresse humaine, « milk of human kindness »…
Il Messaggero di Roma.- …peut-être aussi parce que les tabous ne sont pas tout à fait les mêmes. Vous êtes un des auteurs les plus joués dans le monde, et vous voyagez beaucoup pour aller entendre vos textes, avez-vous noté des différences culturelles dans l’interprétation qu’en donnent les metteurs en scène, mais aussi dans l’accueil qui leur est fait ?
F.Arrabal.- Certainement et systématiquement. Mais aussi je suis frappé par le fait que certains textes parlent de la même façon à des publics très divers, depuis Toledo (Espagne) jusqu’à Toledo (USA). Au bout du sixième jour Dieu créa les drapeaux et le hula-hoop… et se reposa.
Il Messaggero di Roma.- ‘Et ils passèrent des menottes aux fleurs’ inspiré par votre séjour dans une prison franquiste…
F.Arrabal.-…se suit aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. A l’Epée de Bois de Paris qu’au Bucarest de l’après Ceausescu. Les architectes créent des villes et les anges , des bois.
Il Messaggero di Roma.- En 1949…
F.Arrabal.- Oui , j’ai été tenté , en 1949, (on n’est pas sérieux lorsqu’on a dix-sept ans) de devenir jésuite. Mais avant de m’engager dans une telle ascèse, d’entrer au séminaire de la « Provincia Tarraconense », j’ai voulu prendre un peu de bon temps. … Il ne faut pas sauter à la corde dans la maison d’un pendu. Je suis allé visiter les grottes du Drach (à Majorque). Je me suis trouvé dans l’obscurité totale à côté d’une jeune fille dont le contact m’a troublé. Et j’ai renoncé à mon projet. Dommage?
Il Messaggero di Roma.- Dommage?!
F.Arrabal.- Aurais-je été un bon jésuite? Je garde un bon souvenir des ces pères si différents de ceux (escolapios) qui ont essayé de me dresser dans les « colegios »de mon enfance. Et je garde un souvenir encore meilleur de cet instant… furtif et romantique plus que cinématographique
Il Messaggero di Roma.- Vous avez coutume de dire qu’à travers vous on invite Beckett et Ionesco, parce qu’ils étaient vos amis, qu’ils sont morts et que vous êtes vivant.
F.Arrabal.- Ionesco avait un côté mystique , et la vision d’une sorte de cité céleste dans ‘Le piéton de l’air’ peut s’apparenter au sacré. Cependant le sacré est à double face , «sacré de respect » et «sacré de transgression». … tandis que les onanistes font leur voyage de noces en solitaire.
Il Messaggero di Roma.- Et vous croyez…
F.Arrabal.- Ce qui , je crois , correspond bien à ma pièce ‘Le ciel et la merde’. Quand « Dieu est mort » les nietzschéens l’ont épié par le trou de la serrure.
Il Messaggero di Roma.- Vous vous référez constamment au Dieu et au diable de Gödel
F.Arrabal.- Je pourrais prétendre que Gödel, Mandelbroot , Einstein , le Panique , la ‘Pataphysique et Amary (de « La tour prends garde ») ont prévu le boson de Higgs
Il Messaggero di Roma.- … « La particule de Dieu »
F.Arrabal.- D’un Dieu qui ne s’intéresse pas aux péripéties humaines. Qui les laisse à la rigueur mathématique de la confusion?
Il Messaggero di Roma.- …comme Spinoza?…
F.Arrabal.- …l’autre Dieu… un Dieu qui demande aux arbres (avec tant de branches) de prendre des enfants dans leurs bras… le Dieu de « mon » évêque de Ciudad Rodrigo et du Vatican était anthropomorphe…
Il Messaggero di Roma.- … était , dites- vous
F.Arrabal.- … jusqu’à ce que la confusion ait ébloui Benoît XVI?
Il Messaggero di Roma.- …quand , d’après vous?
F.Arrabal.- … quand il avoue: « …le langage de la Création (de la Genèse) nous permet de parcourir un bon bout de chemin vers Dieu, mais il ne nous donne pas la lumière définitive (sic)… »
Il Messaggero di Roma.- Aujourd’hui on dit que vous aimeriez être un saint .
F.Arrabal.- Evidemment. Mais un saint païen , un saint laïc. D’ailleurs il faudrait savoir de qui ou de quoi l’on parle , lorsque l’on dit «Dieu» . Parmi les dieux , je choisis Pan qui fume la pipe dans mon lit , même lorsqu’il a le hoquet.
Il Messaggero di Roma.- Vous me parliez de la « précise simplicité »…
F.Arrabal.- Oui , je pense que l’innocence , celle de nos enfances proche de la naïveté devrait s’exprimer dans un style dépouillé de tout artifice .
Il Messaggero di Roma.- Et le baroque
F.Arrabal.- Oui, j’aime aussi le baroque et son exubérance , les images -surprises , comme on le dit des pochettes …. avoir le don des larmes…
Il Messaggero di Roma.- Entre 1960 et 1963, vous avez fait partie du groupe surréaliste. Y avez-vous appris quelque chose?
F.Arrabal.- J’ai beaucoup aimé les années où j’ai fréquenté le groupe surréaliste . Comme j’ai aimé mes rapports (et mes parties d’échecs) avec Tristan Tzara. Je venais d’un pays étouffé par le conformisme de la dictature , et j’ai trouvé avec les surréalistes une air de liberté . La personnalité de Breton me fascinait , mais… Jodorowski et Topor étaient sur la même longueur d’ondes que moi. Je n’ai pas pratiqué l’écriture automatique , d’ailleurs Breton m’a affirmé personnellement ne l’avoir jamais pratiqué non plus . J’étais dans le groupe … comme partout… une installation de ma circonstance… une mouette sans sous-marin…
Il Messaggero di Roma.- Je pense à la première phrase de votre ‘Fando et Lis’ « mais je mourrai et personne ne se souviendra de moi ».
F.Arrabal.- La postérité est aléatoire et surtout confuse comme tout le reste. Le cyclope aveugle se distingue mal du borgne. Par exemple , combien de grands peintres sont restés dans l’ombre pendant des décennies , voire plusieurs siècles: le Greco , Vermeer , Georges de la Tour… En revanche d’autres très célèbres en leur temps ne nous touchent plus , comme Bouguereau . Le jugement de la postérité , et la provocation , sont tous deux livrés au hasard… et celui-ci a la rigueur implacable et mathématique de la confusion.
Il Messaggero di Roma.- Pour vos 81 ans, le 11 août 2013…
F.Arrabal.- Mes examinateurs du concours de surdoués (il y a sept décennies) imaginaient que j’étais un pur entendement . Donc que je n’avais pas de sensibilité . En réalité je vois, comme le reste des humains, tout subitement, grâce à l’intuition. Mes périples me permettent de voyager surtout dans le temps avec des auteurs disparus de ma vie ou que je n’ai jamais connus. Avec eux pour essayer de saisir l’essentiel je n’ai pas besoin d’approches mesurables mais seulement d’un instant. Dieu – par exemple le dieu Pan- ignore le temps puisqu’il habite l’Eternité.
Il Messaggero di Roma.- L’un de vos textes de poésie, La Pierre de la Folie, est actuellement disponible, gratuitement, sur votre site internet www.arrabal.org. Que pensez-vous de l’évolution de l’édition actuelle? Est-ce quelque chose qui vous touche? Ou bien le fait d’être constamment joué dans le monde entier vous tient hors de ces questions de reproduction et de technologie? Vous êtes, de toute façon, du côté de l’humain…
F.Arrabal.- Je ne néglige pas les apports de la technique. Après les raidillons des pénitences obscurantistes, traversons-nous les sentiers des mystifications lumineuses? Même si le livre dans sa version traditionnelle conserve des atouts indiscutables : ils tombent sous les sens , pourrait-on dire. Oui , je suis du côté de l’humain , du charnel . Les pollutions nocturnes deviennent des glaçons entre les draps.
Il Messaggero di Roma.- Vous remarquez que dans la liste des « 100 personnes les plus influentes » établie par le Times, il n’y a aucun écrivain. De quoi est-ce le symptôme d’après vous? Est-ce que la littérature, et le théâtre, ne jouent plus aucun rôle social/sociétal à notre époque? Y a t-il un terrain à reconquérir? Ou bien cela vous semble-t-il désespéré? Au fond est-ce que la littérature y est pour quelque chose?
F.Arrabal.- Les footballeurs, les chanteurs sont.. «influents». Le reste NOUS AUSSI demeure dans les catacombes… avant la Renaissance? La littérature … le théâtre jouent accidentellement un rôle mineur par rapport aux sirènes d’Internet . Que les rhinocéros chantent est déjà dérangeant , l’insupportable c’est qu’ils volent.
Il Messaggero di Roma.- Quelle serait aujourd’hui votre devise
Elle change tous les jours. Hier ce fut: Je joue à être Dieu et parfois, je réussis. … et à l’instant : « Je crois, parce que c’est confus, Credo, quia confusum « .