Sur la photo Jérôme Savary couché à gauche aux pieds de Copi ; Topor derrière le peintre Antonio Saura (sans cheveux); je porte une veste rouge et j’ai à ma droite Guy Hocquenghem. Hilda d’Haubetière , Maud , Lis, et Lys Grandvel sont autour de nous.
Savary vient de s’occulter. Il y a presque un demi-siècle, il avait surgi de nulle part. Rien d’étonnant s’il a fini ses jours sans que ses amis s’en aperçoivent.
Il faisait partie d’un univers où nous ne savons pas rester silencieux. Dans un monde d’histoires drôles de jacuzzi pour la Joconde. Il a abordé le théâtre, pour la première fois, avec mes pièces. Il les a accompagnées ou montées. Mission confuse qu’il a accomplie confusément avec génie. En remportant des succès… absurdes. Quand les larmes ont un goût de whisky-new-god.
Il a donc commencé sa vie « spectaculaire » par mon « Labyrinthe ». Lequel a été immédiatement et confusément qualifié de « théâtre de l’absurde ». Il l’a « défendu ». Je dirais plutôt qu’il a brillé, malgré lui, par son talent. En réalité plus que brillé, il a tout caché dans un tohu-bohu des origines. Avec l’espérance araméenne de Paul Gauguin.
C’était un vrai plaisir de le voir faire du théâtre. Il était capable, dans ses bons jours, de citer Mao ou Tarzan . Mais il restait imperturbable. Et, enfin disert, il pouvait opiner d’un bbrr dans son néo-espagnol. Mais tout ce qu’il touchait devenait un succès. Et parfois même financièrement. Madame Roubéjanski pouvait jouer tous les soirs au casino l’argent qu’elle gagnait grâce à lui; ou des célèbre comédiens leurs pourcentages en prostituées de luxe et en trios dans la « città di sole ».
Depuis « Les deux bourreaux » et grâce à sa lucidité, mes pièces sont l’objet d’une constante attention. Mieux encore : il a fait de mon « Labyrinthe» un spectacle « culte ». Il est parvenu à créer mes pièces à Paris et « dans le monde entier ». Disposait-il d’une troisième main comme Cervantès ?
Parfois je me suis trouvé à Londres en même temps que lui. Inoubliable mon – non: “son” – « Labyrinthe » dans sa mise en scène . Ou à São Paulo pour “ma” « Communion solennelle » éblouissante. Il savait hurler, au-delà des frontières, avec la même dextérité polyglotte quand bâille l’immortalité.
Puis je me suis éloigné de lui par le passage zébré. Sans m’en rendre compte, en fakir avale-boeings. Est-ce que je me sens trop « anar » pour coudoyer ceux qui triomphent? J’ai appris qu’à (très) juste titre, il était devenu une sorte de Directeur d’Opéra. Normal. J’ai su qu’il dirigeait avec le même succès des théâtres à dorures. Plus normal encore, avec des lunes de Kabuki.
Soudain et sans savoir pourquoi il y a quelques jours nous nous sommes vus. Il souhaitait me voir enseigner les échecs à sa fille. Son adorable fille. Pour courir vers le passé; plus vite! J’ai dû lui avouer que, bien que depuis un demi-siècle je me trouve toujours devant « mon éternelle partie d’échecs » (Breton “dixit”; et ajoutait-il, comme un blâme de plus, « avec Marcel Duchamp»), ce jeu est l’une de mes frustrations. J’ai autant de chances de battre sur l’échiquier l’adolescente chinoise Hou Yifan que Tysson sur un ring.
La douleur nous fait chanceler, après la mort de l’ami. Moi aussi je voudrais croire que, entre la vie et la mort, le ciel et la terre, il y a un pont tricolore que l’on nomme arc-en-ciel.
¡Viva Jerónimo Savary!