Avec le cinéma iranien, le cinéma israélien est probablement le cinéma le plus novateur à l’heure actuelle. La raison en est sûrement que pour faire de bons films, scénaristes et réalisateurs doivent souvent s’emparer de sujets grandioses. La guerre, les rancoeurs, la politique, les histoires personnelles tragiques constituent généralement de parfaits prétextes à courts, moyens et longs-métrages. Ainsi les films de Jafar Panahi sont célébrés dans le monde entier, reçoivent des prix et – rançon d’une gloire bien méritée – envoient par la même occasion leur réalisateur en prison. Ainsi Rassoulof et bien d’autres iraniens voient aujourd’hui leur liberté de création bafouée par le régime d’Ahmadinejad. Sauf que le monde n’est pas dupe. Il sait que Téhéran empêche l’Art alors l’Art se venge et les films iraniens n’en deviennent que plus marquants tandis que le pouvoir islamiste n’en devient que toujours plus inacceptable.
Depuis quelques années maintenant, Israël produit également un nombre incalculable de films à haute teneur émotionnelle. On trouvera les raisons de cette hypertrophie du 7ème Art israélien dans le caractère extra-ordinaire de la vie quotidienne à Tel-Aviv, Jérusalem ou Sdérot. Car si le projet sioniste s’est donné pour mission de « normaliser » la vie du Juif, force est de constater que sur ce point le sionisme échoue. Être juif et penser tranquillement sa propre nation est toujours compliqué (aussi bien lorsqu’on est juif que lorsqu’on ne l’est pas)… Donc un cinéma israélien fort et saisissant du fait d’un contexte politique jamais apaisé mais aussi du fait de quelques grands mérites dont cette détermination de l’Etat hébreu à soutenir le cinéma. Israël promeut en effet l’Art sous toutes ses formes tant et si bien que le cinéma sert aux israéliens de catharsis. De catharsis et de sas de décompression…
La dernière perle en provenance de l’Etat hébreu s’intitule « Footnote », elle a pour initiateur le réalisateur de Beaufort, Joseph Cédar, signant en l’occurrence son quatrième film. Un film qui a raflé tous les prix en Israël (9 Ophir Awards, l’équivalents de nos Césars français), le Prix du Scénario au dernier festival de Cannes mais également une nomination pour l’Oscar US du meilleur film en langue étrangère. Difficile pour autant de résumer Footnote. Commençons par cette certitude d’un film baigné de cet humour juif présent aussi bien dans les livres d’Isaac Bashevis Singer que dans les films de Woody Allen. L’histoire d’un père et d’un fils, tous deux philologues respectés de l’Université hébraïque de Jérusalem, tous deux plongés dans l’étude du Talmud et de ses sources. L’histoire d’un tandem qui au fil des récompenses académiques va finir par se jalouser. L’histoire d’un père trop humain, d’un fils trop respectueux, d’une famille qui tente de sauver les apparences sans ne jamais vraiment y parvenir. Ici le génie de Joseph Cédar est bien d’emprunter à plusieurs registres très différents : la comédie, le cinéma d’auteur, l’introspection psychologique, parfois même subrepticement la comédie musicale. L’on pourrait alors croire à un fourre-tout sans queue ni tête. Il n’en est rien. Footnote se tient, complexifie là où il aurait pu tomber dans la facilité (les angles de vues volontairement alambiqués renforcent cette impression). Il y a l’influence du cinéma des frères Coen dans ce Footnote-là, dans la narration, dans la façon de parler des Juifs et de les définir par rapport au monde. Pas de vrai bémol sinon l’absence d’un rôle fort à l’endroit d’un personnage féminin. Est-ce un message ? Peut-être !
Ceux qui iront voir le film ne manqueront pas de se questionner sur la critique kafkaïenne de l’administration et des institutions. Footnote aurait pu aussi s’intituler « Voyage dans les méandres de la pensée humaine ». Ou bien encore « Dans le cerveau d’un Juif qui pense ».
J’oubliais… Pas une seule fois dans Footnote il n’est question du conflit israélo-palestinien, de la bombe iranienne, du Printemps arabe qui se contredit, signe que l’on peut parler d’Israël sans forcement évoquer la guerre…
Parler de Singer et de Woody Allen à propos de ce film d’une noirceur totale est signe d’une insigne méconnaissance.