Que le créateur de l’univers soit une divinité ailée, un élément gazeux ou je ne sais quel barbu galopant sur les nuages, il aurait pu, saisi soudain par je ne sais quelle irrésistible pulsion pour la verdure ou le caillou, nous fabriquer une terre en marbre, schiste, silex et graviers, le tout recouvert de poireaux, aubergines, radis noirs, pins parasols et autres fougères molles. Bref, un rêve pour le végétarien, le nirvana de l’écologiste.
N’en déplaise à ces addicts de l’air pur et de la chlorophylle, pour rêver il faut un cerveau, c’est-à-dire de la viande, même si on possède un cœur d’artichaut et du sang de navet.
Donc, bonne nouvelle, l’ordonnateur de toute chose, le grand Pan, n’a pas omis en créant notre petite planète bleue d’y rajouter de la barbaque, de la bidoche, de l’entrecôte, de l’onglet, du jambon et du foie gras.
La viande ainsi jetée dans le magma qui constitue notre petit monde a permis en se développant de donner vie à quelques chefs-d’œuvre allant du bœuf du Charolais au cochon pata negra, et de l’agneau des alpages à la poularde de Bresse, sans compter Jean-Paul Sartre, Marilyn Monroe, Teddy Riner, Beethoven, Picasso, Nietzsche et Woody Allen, tous étant, je vous le rappelle, majoritairement constitués de viande.
Je n’insisterai pas sur les premiers exemples que contient la phrase précédente, les grands artistes bouchers et nos chefs étoilés les ont portés au pinacle des délices de ce monde.
Ce qui m’intéresse c’est l’Homme et la soudaine interdiction qu’on lui a faite de manger son semblable. Pendant des millénaires, de l’Alaska à la Terre de Feu, les indigènes se dégustaient les uns les autres avec grand plaisir, tout comme en Afrique, en Chine ou en Indonésie. Le morceau-roi était, paraît-il, les coussinets des doigts et quelques viscères entourant le cœur.
On a trop oublié que l’Homme est bon, et n’est pas simplement le bon sauvage, comme l’a écrit Jean-Jacques Rousseau ; l’Homme n’a pas seulement bon cœur, il est bon aussi, des pieds à la tête. Pourquoi donc s’en priver ? Qui n’a pas rêvé de croquer cette ravissante jeune fille un peu dodue assise dans le métro ? Qui n’a pas susurré à l’oreille de son amoureux ou de sa bien-aimée : « J’ai envie de te manger » ? Qui n’a jamais eu d’appétit pour la cuisse d’un athlète olympique ou la délicate poitrine d’une danseuse étoile ? Qui n’a jamais prononcé d’une voix gourmande en regardant un Adonis de plage ou une montagnarde autrichienne, la fesse rebondie, suant sous l’effort : « Je les mangerais tout cru » ?
N’est-il pas grand temps, plutôt que de nous dévorer entre nous à travers la guerre, le capitalisme, la religion, les idéologies diverses, de nous savourer par petits morceaux, de nous décortiquer les uns les autres, d’apprécier notre délicate carnation, et de faire de vrais repas de famille en nous débarrassant d’un oncle acariâtre cuit à la broche, oncle dont le caractère odieux a peut-être ajouté un fumet merveilleux à la texture de ses biceps…
Il est temps de remettre au goût du jour notre goût, nos saveurs, nos parfums, nos moelleux et nos rigidités et d’en profiter avant qu’ils ne pourrissent dans je ne sais quel caveau, ou qu’ils ne partent en fumée, laissant quelques cendres immangeables dans une urne.
Je sais que nous n’en sommes pas là. Un conseil tout de même pour choisir votre boucher : si la patronne derrière la caisse est appétissante, la viande que va vous servir son mari sera succulente.