Si l’on en croit Freud, la conversion, et en particulier la conversion hystérique, c’est-à-dire la transformation du désir en symptômes (par exemple : j’ai envie de regarder des images pornographiques mais je développe une allergie qui m’irrite les yeux et m’empêche de regarder un écran) est un mécanisme par lequel nous sacrifions le plaisir sexuel afin d’assurer notre survie psychique. En d’autres termes, il s’agit d’une formation de compromis qui nous permet de maintenir notre désir vivant en le fuyant. Et c’est ce qui nous rend envieux de ceux dont nous pensons qu’ils sont capables des plaisirs que nous nous refusons, c’est-à-dire de ceux dont nous pensons qu’ils sont capables de ne pas renoncer à leur désir. Et c’est peut-être ici l’occasion de se rappeler que Freud affirmait avoir renoncé à toute vie sexuelle à l’âge de 39 ans…
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L’obsessionnel qui passe sa vie à affirmer que « ça n’est pas la peine », ou que « rien ne vaut la peine d’être vécu », affirme en réalité que rien ne vaut la peine d’être désiré. L’obsessionnel passe en effet sa vie à se protéger du désir. Toute son énergie est consacrée à l’élaboration de stratégies d’évitement du plaisir. Et son malheur vient de ce qu’il échoue à se convaincre du bien-fondé des mécanismes d’évitement qu’il met tant d’énergie à mettre en place.
De telle sorte que la demande inconsciente qu’il adresse à son analyste est toujours la même : « Délivrez-moi du désir ! » C’est-à-dire des risques du désir.
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Il n’y a pas d’experts en matière de psychanalyse, il n’y a que des apprentis. La croyance en l’expertise psychanalytique est l’expression d’un souhait : le souhait qu’il puisse exister un lavage de cerveau idéologique. Le soi-disant expert pourrait nous dire comment il convient de vivre, c’est-à-dire qu’il pourrait nous affranchir de la nécessité de trouver notre propre voix. Et c’est là le risque majeur inhérent à la médicalisation de la psychanalyse voulue par certains. La médicalisation de la psychanalyse en est l’une des plus importantes perversions.
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Pourquoi souffrir ? Comment se fait-il qu’il y ait tant de souffrance dans nos vies ? Peut-être faudrait-il se demander quel intérêt il pourrait y avoir sinon à choisir de souffrir (mais il n’est pas rare que nous fassions ce choix), à tout le moins à renoncer au plaisir.
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Le névrosé ne sait pas ce qu’il veut ; le pervers ne veut que ce qu’il sait. Vouloir à tout prix savoir ce que l’on veut est une position défensive. Le nourrisson ne veut que ce dont il a besoin. Le chemin qui va du sein au supermarché est long, plein de pièges, de mirages, d’embûches, et nous n’avons qu’une hâte, celle de rétrécir autant que faire se peut l’amplitude de nos envies de manière à retrouver – et satisfaire à – notre état de nourrisson. Il nous est en effet extrêmement difficile d’accepter de ne pas savoir ce que nous voulons et par conséquent de laisser ouvert toutes les possibilités. C’est pourquoi l’hystérique demande – à son insu – à son partenaire de ne pas aller trop vite à lui donner ce qu’elle semble exiger, non plus qu’à trop vite accepter ce qu’elle semble offrir. Lacan résumait l’affaire ainsi : « Je te demande de refuser ce que je t’offre, parce que ça n’est pas ça. »
