La mer Baltique est devenue un couloir de guerre. On n’y entend pas seulement le roulement des vagues : on y entend les drones, lancés depuis des navires camouflés, profilés pour frapper là où l’on croit être à l’abri. De Copenhague au golfe de Finlande, de Gdansk jusqu’à l’Alsace, des incursions nocturnes brouillent les radars. Le sol européen commence à trembler dans son sommeil.

Le 22 septembre 2025, des drones non identifiés traversent l’espace aérien de l’aéroport de Copenhague, assez longtemps pour forcer à la fermeture temporaire des pistes. L’alerte a été levée, mais le message est resté : l’Europe est sous observation, vulnérable. Dans les jours suivants, les forces danoises confirment que des sites militaires et des infrastructures stratégiques ont été survolés. Le gouvernement n’a trouvé pour réponse qu’une interdiction générale des vols de drones civils.

Ces engins ne sont pas de simples espions : ils incarnent une stratégie de pression. Et tant que l’Europe se limite à condamner, à se réunir en sommets, à promettre des fonds ou des plans abstraits, Moscou dispose d’un terrain libre pour avancer.

Pendant que ces trajectoires traversent l’espace européen, en Ukraine, une armée se forge au feu. Yuval Noah Harari l’a rappelé : politiquement, l’Ukraine a déjà remporté une victoire essentielle – elle existe encore comme nation, là où Moscou voulait l’effacer. Militairement, elle a transformé ses faiblesses en forces, notamment par l’usage massif et innovant des drones. En trois ans et demi de guerre, la Russie n’a jamais réussi à obtenir la supériorité aérienne ou navale, ni à percer durablement les lignes ukrainiennes.

Ce constat a un effet d’évidence : si la Russie ne gagne pas, c’est l’Ukraine qui verrouille la porte de l’Europe. Ce n’est pas seulement de la bravoure : c’est une compétence opérationnelle unique, construite dans le combat.

Face à cela, l’Europe reste hésitante. Les livraisons d’armes s’enlisent, les débats parlementaires s’éternisent. En Suède, les avions Gripen dorment encore dans les hangars. En France comme en Allemagne, les plans de défense avancent au rythme lent des consultations. L’Europe a les budgets, les usines, les infrastructures, mais ni la vitesse, ni la décision. Pendant qu’elle tergiverse, l’Ukraine se bat, seule ou presque, pour survivre.

L’exemple polonais illustre cruellement cette fragilité. Dans une enquête publiée par Gazeta Wyborcza, des officiers décrivent une armée en trompe-l’œil : soldats inexpérimentés, commandants mal formés, effectifs insuffisants. Le général doute, l’officier craint l’explosion, les jeunes recrues tremblent devant la réalité du feu. Si la première armée d’Europe centrale vacille déjà face à une guerre moderne, que vaudront demain les promesses de défense collective ?

C’est là le paradoxe : l’Europe pousse Poutine à l’escalade non par provocations, mais par omissions stratégiques. Tant qu’elle ne frappe pas les passages maritimes, qu’elle ne coupe pas les ponts énergétiques, qu’elle ne fournit pas à l’Ukraine les armes nécessaires avec constance et rapidité, Moscou ne voit aucune raison de ralentir sa marche.

Le Danemark, pourtant premier touché, n’a pas fermé les détroits qu’il contrôle. Des navires russes continuent d’y passer, parfois en trajectoires hostiles, pointant leurs radars vers les bâtiments danois. L’absence de rupture politique, la non-fermeture de ces passages, la tolérance de l’export russe via la Baltique, l’incohérence entre sanctions et commerce, laisse à Moscou un couloir pour relancer ses provocations.

C’est une escalade à sens unique : plus l’Europe reste passive, plus la Russie se croit autorisée à tester davantage. Une balle perdue, tôt ou tard, frappera la surface européenne.

La réponse, pourtant, est simple :

1. Contrôler strictement ou fermer les détroits danois, interdire aux navires russes et suspects le passage, appliquer les sanctions dans le transit maritime.

2. Armer l’Ukraine sans délai, lever les verrous bureaucratiques, renforcer une production conjointe de drones, radars, munitions et fermer le ciel ukrainien pour protéger les Ukrainiens et leur infrastructure.

3. Rompre enfin les liens économiques avec l’agresseur russe, cesser d’acheter son gaz et transformer les sanctions en instruments effectifs.

Ces choix ne sont pas des actes de guerre offensive : ce sont des décisions de défense et de cohérence. Elles exigent du courage politique. Elles exigent que l’Europe prenne enfin sa propre mesure stratégique.

La faiblesse des forts n’est pas un destin : elle est un choix. Tant qu’il persiste, l’Europe sera condamnée à l’illusion de sa propre sécurité.

Qu’attendent les forts ?

Qu’ils prouvent que l’Europe n’est pas seulement un marché, mais une puissance qui se défend et qui demeure un continent libre.

Un commentaire

  1. Une attaque russe de grande envergure contre un ou plusieurs pays de l’Europe, en particulier ceux de son flanc nord-oriental, sera possible dans un futur très proche tout en continuant la guerre de destruction en Ukraine.

    Ce constat ne fait plus de doute dans les états-majors européens et de l’OTAN. La Russie a orienté toute son économie dans l’optique d’une guerre de long cours au bénéfice de son complexe militaro-industriel, une machine de guerre capable de produire à une « vitesse vertigineuse » des drones, des missiles, des avions de combat avancés, des chars, des blindés, des munitions.

    Ses objectifs de production et d’armement vont bien au-delà des besoins de la guerre en Ukraine. Ils sont le signe d’autant de préparatifs pour une confrontation avec l’OTAN d’ici à 2030 dont l’Europe sera le prochain théâtre de bataille.

    Soyons clairs, malgré tous ces efforts, la Russie n’est pas en mesure d’affronter l’OTAN.
    Même sans les États-Unis, la machine de guerre de l’OTAN est formidable par le degré de sophistication technologique et l’interopérabilité de ses forces. L’Alliance a une puissance sur le terrain et dans les cieux qui va de 1 à 3 en comparaison avec la Russie, sans compter sa capacité à exploiter des technologies cyberélectroniques, d’intelligence artificielle, satellitaires, agrémentées par des structures de commandement intégrées indispensables pour mener des opérations sur le champ de bataille.

    La seule notice de la potentielle vente aux Européens des missiles de longue portée Tomahawk, que des responsables américains envisageraient afin de les faire parvenir à l’Ukraine, a jeté la panique dans le rang du régime russe.

    Ces missiles, qui peuvent atteindre des objectifs militaires et civils au-delà de 1500 km, sont la réponse appropriée aux attaques qui visent les habitants ukrainiens et leurs infrastructures. Le Tomahawk est l’arme de dissuasion pour toute attaque de missiles du type de celui qui a frappé la ville ukrainienne de Dnipro. Il s’agit du missile russe Oreshnik, non ICBM, mais de nouvelle conception.

    La double dissuasion, conventionnelle et nucléaire, est la stratégie maîtresse que l’Europe devrait opposer à Poutine, empêcher cet ennemi de l’humanité (Zelenski) de continuer à perpétrer des crimes contre les populations ukrainiennes et européennes par des représailles du même niveau, voire supérieures, que ce soit par arme conventionnelle ou nucléaire. Malheureusement, face à un barbare, il ne peut pas y avoir d’autre solution.

    Une stratégie de dissuasion nécessite de se doter d’une économie de guerre et requiert une révolution budgétaire dans les dépenses de défense européennes : 250 milliards d’euros supplémentaires par an et des budgets nationaux à la hauteur de 3,5 % du PIB. Ce serait le minimum requis pour constituer une force de dissuasion crédible.

    Or une telle économie n’est possible que grâce à des achats groupés européens, où des chaînes de production communes desservent plusieurs nations avec des plateformes standardisées. Seules les économies d’échelle permettront à l’Europe d’accroître sa production de guerre et de stocker des munitions pour pouvoir aider efficacement l’Ukraine et en même temps soutenir une confrontation sur le terrain avec les Russes.

    Un tel changement exige une volonté politique. Il implique d’abandonner une partie du contrôle national sur la planification de la défense et de faire confiance aux institutions européennes pour coordonner, allouer et exécuter efficacement les ressources.

    C’est ici que le bât blesse, surtout s’il devait y avoir des changements politiques au niveau européen qui soient plus favorables à Poutine. Le vrai danger est là, ce qui m’amène à dire que nous ne sommes jamais guéris du syndrome de Munich.