« Le temps est venu. »

C’est par ces quelques mots, rappelant l’Ecclésiaste, qu’Emmanuel Macron a ouvert son discours le lundi 22 septembre 2025, en marge de la 80e Assemblée générale des Nations Unies, pour annoncer la reconnaissance par la France d’un État palestinien. Cet acte symbolique, tranché à la hache et non conditionné à quelque exigence que ce soit, n’a pas été soutenu par tous les Français. 

La fuite en avant du chef de l’État a diffusé chez nos concitoyens juifs, en grande majorité favorables à la solution à deux États, un profond sentiment de trahison. Pour beaucoup d’entre eux, avec une Autorité Palestinienne en lambeaux, des marchands de corps morts toujours aux commandes et des otages affamés en sous-sol, non, le temps n’est pas venu.

La solitude et le doute des Juifs de France n’ont jamais été autant cristallisés que lors de cette séquence du printemps dernier qui a vu lancer, de la tribune de la rabbine Delphine Horvilleur, à l’appel de 300 écrivains condamnant la riposte prolongée israélienne au pogrom à vocation génocidaire du Hamas. 

L’écrivain français juif que je suis ne peut être insensible à ces deux textes – leur sujet et leur parti pris – qui illustrent une triple bascule : celle des Juifs de France qui se sentent si seuls, celle de l’esprit de conversation qui s’éloigne de la cité, celle de l’universalisme qui se disloque.

Le mot « génocide », apposé à Israël, a fracturé nos espaces alors même qu’aucun soldat israélien n’avait encore pénétré dans la bande de Gaza.

Selon la Convention de 1948, il faut une intention spécifique de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel pour qu’un génocide soit constaté.
Si Israël, avec sa supériorité technologique, avait réellement cette intention, le crime des crimes aurait été accompli dès le 8 octobre.

Cette obsession sémantique autour d’Israël, et tout ce que cela charrie d’insultes et de violences, ont provoqué une fracture sociétale. Nous avons tous assisté aux obsèques de l’universalisme le lendemain du 7 octobre. Avant cette date, nous nous déplacions dans un monde où nous partagions avec tous nos interlocuteurs, y compris des « adversaires », la même vision de ce qui pouvait ou non être dit, sédiments de pensée aux strates gréco-romaines et judéo-chrétiennes. Et puis, dans ce si triste automne 2023, colère, droits, violences légitimisées, victimes et bourreaux ont finalement formé le même givre gris. J’ai entendu des gens parler de femmes violées et d’enfants torturés, en disant : « Oui, mais… » J’ai découvert qu’enfants et otages pouvaient habiter la même phrase sans que la danse du monde s’arrête.

Dans l’appel des 300, la précision selon laquelle le mot génocide ne serait « pas un slogan » me fait lire l’exact contraire.En ce qui concerne les arguments, je trouve la mention des propos exterminateurs des deux ministres extrémistes – Ben-Gvir et Smotrich – infondée, dans la mesure où ils n’ont pas d’influence directe sur Tsahal et qu’il aurait alors aussi fallu préciser que leurs deux partis ne représentent respectivement que 5 % et 2,6 % des intentions de vote. Leur présence au gouvernement – qui révulse le Juif que je suis – est la conséquence d’un mode de scrutin proportionnel total, et de l’opportunisme de Netanyahou qui fait tant de mal à son pays et à la Diaspora. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la reprise des statistiques de victimes du ministère de la Santé du Hamas, sans même décompter les terroristes éliminés.

L’appellation de génocide est à mon sens une triple imposture : elle tue une seconde fois les vraies victimes des génocides en abaissant la gravité du crime des crimes ; elle est factuellement fausse ; et – peut-être le pire – elle éloigne la paix. Ce mot répété sans relâche, phrase après phrase, slogan après slogan, agit comme un aphrodisiaque sur la violence judéophobe. Il participe à la « marranisation » des Juifs de France (les marranes étaient ces Sémites espagnols et portugais convertis de force par Isabelle la Catholique, qui n’ont eu d’autre choix que la mort, l’exil, la conversion ou l’effacement à grand risque).

Aujourd’hui, en France, cette transparence auto-infligée à bas bruit ne se fait plus dans les caves ni par l’exil, mais en s’humiliant à changer son nom, ôter tout signe « distinctif », se taire. Et il est bien dommage que ces voix s’effacent, car ni les Juifs ni les Israéliens n’ont attendu des cinéastes, des écrivains ou même des rabbins pour confronter leurs idées et débattre. C’est leur force et leur honneur.

Contrairement à Delphine Horvilleur, je ne crois pas à une faillite morale d’Israël ; je trouve que cette démocratie si blessée est étonnamment vive. L’opprobre peut en revanche et à juste titre concerner les extrémistes Smotrich ou Ben-Gvir – mais pour qu’il y ait faillite, il faut d’abord avoir eu un capital moral, et je ne crois pas que cette paire ait jamais détenu la moindre bourse d’éthique.

Dans ce texte, qui m’a fait réfléchir tout en me paraissant excessif et injuste, je conteste surtout que les Juifs auraient été enfermés entre deux choix : se taire par peur de trahison ou soutenir par adhésion à un messianisme fou. Non, je ne crois pas en cette binarité. L’autorité spirituelle qu’est Delphine Horvilleur nous implore d’avoir la force de réveiller les consciences par amour de son prochain. À sa citation religieuse, « tu aimeras ton prochain », je répondrais par une autre référence biblique tirée, elle, de L’Ecclésiaste : « Il y a un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps pour la paix, et un temps pour la guerre. » Décider de se séparer de la réalité, de rayer le temps pour ériger une géographie du cœur n’est pas un acte moral, mais un catéchisme.

Avant d’aimer (vraiment) son prochain, peut-être faudrait-il qu’il s’éloigne de la sagesse de couteaux – et alors le temps sera venu. Que les Palestiniens s’aident aussi eux-mêmes en se séparant à la hache des idéologues mortifères.

Le 7 octobre, ce furent environ 2000 terroristes et 3000 civils palestiniens, tels que je les ai vus sur des images de surveillance dans un centre de commandement de police de la petite ville de Sdérot en janvier 2024. Les civils assassins ont été surnommés « zombis » : hagards, titubants, armés de marteaux et de couteaux, ils avançaient à la recherche de victimes civiles israéliennes.

Comment imaginer une paix avec une partie de cette population qui acclame, au son des youyous, des femmes en pyjamas souillés de leur sang, qui célèbre la vue de petits cercueils d’enfants comme un jour de fête ?

Peut-on sérieusement parler de la création d’un État palestinien qui détiendrait encore des otages de son voisin, une dictature aux mains du Hamas ?

En cet automne 2025, plus de 700 jours après le début de cette guerre, nous sommes dans une zone trouble où le temps est venu de baisser les armes, mais où celui de la paix n’est pas encore proche.

Pourtant, en dépit de ce temps furieux, j’ai confiance. Il y a eu, dans cette longue et parfois tragique histoire judéo-arabe, des précédents de la pire des violences qui ont laissé place à la réconciliation, des haines transformées en distance civilisée, parfois même en fraternité, comme ce fut le cas dans l’Égypte de Sadate.

2 Commentaires

  1. Une tromperie gigantesque, une manipulation indigne des terroristes du Hamas, c’est ce qu’est le prétendu génocide à Gaza. Avant de jeter une telle abomination sur Israël, il faut regarder d’abord la définition qui a été donnée au terme génocide et ensuite analyser sa genèse, de la conception à son exécution.

    Les génocides qui ont marqué l’histoire et reconnus en tant que tels sont :

    Les Herero et Nama en Afrique, les Arméniens, la Shoah des Juifs, les Tsiganes, le Cambodge de Pol Pot, les Tutsis, les Bosniaques de Srebrenica, au Darfour.

    Dans tous ces cas, l’élément commun, essentiel, fut la volonté et la décision d’un régime totalitaire et génocidaire de procéder à l’extermination totale d’une population, d’une ethnie. Elle ne s’est pas faite d’un jour à l’autre, mais conçue et planifiée de longue date, des années avant. Une autre spécificité, tout aussi essentielle, est que le crime de masse n’est jamais exécuté sous les yeux du monde mais tenu bien caché des regards afin que les vrais criminels échappent à toutes accusations.

    La guerre à Gaza est horrible par les conditions dans lesquelles les militaires de Tsahal combattent les djihadistes du Hamas, postés dans les immeubles d’habitation, dans les locaux publics, dans les structures civiles et religieuses, terrés dans les entrailles d’immenses souterrains, des kilomètres de tunnels qui parcourent toute la ville, cachés dans un énorme labyrinthe, prêts à bondir.

    Les intentions d’Israël d’épargner la population ont été nombre de fois répétées pour l’éloigner des zones de combats, mais très souvent il n’y a pas eu de suite. Pour cause d’ailleurs, le bouclier humain est une partie intégrante de la stratégie du Hamas pour arrêter l’avancée des soldats israéliens mais également pour accuser Israël des inévitables effets collatéraux.

    Qui est alors le vrai criminel ? Celui comme Israël qui essaie de préserver les Gazaouis et appelle les pays arabes voisins d’ouvrir leurs frontières pour les accueillir, même provisoirement, ou celui comme le Hamas, qui propage l’idéologie de la mort pour l’élever au martyre de son peuple et rejeter ainsi la faute sur Israël ?

    La machination diabolique du Hamas ne vise autre chose que la condamnation la plus étendue possible d’Israël et de son peuple.

    Mais parce que les islamistes parlent de génocide à Gaza, voici un qui leur est propre et planifié de longue date, depuis les accords de Husseini, grand mufti de Jérusalem, avec Hitler : la libération de la Palestine de toute présence juive du fleuve à la mer. Un dessin d’effacement, génocidaire, qui n’a jamais quitté les ayatollahs d’Iran, les Frères musulmans, le Hamas, les Hezbollah et leurs alliés. Le monde, s’est-il pour autant ému d’avant le 7 octobre, ou des menaces du Hamas qui l’ont suivi : « Nous répéterons l’attaque du 7 octobre jusqu’à ce qu’Israël soit détruit »?