Le 8 août 2025 marquait la fin du second ultimatum adressé par Donald Trump à Moscou : dix jours pour accepter un cessez-le-feu, faute de quoi s’abattrait un nouveau train de sanctions économiques. Ce délai resserré succédait à un premier ultimatum de cinquante jours, qui expirera début septembre.
L’attaque meurtrière russe du 31 juillet sur Kyiv, qui a fait 32 morts dont trois enfants et 159 blessés, l’un des raids les plus meurtriers de l’année sur la capitale ukrainienne a semblé renforcer la fermeté de Trump contre la Russie.
Trump avait alors durci le ton : nouvelle échéance, menace de mesures coercitives lourdes, accent mis sur la rapidité d’exécution. C’est à ce moment précis que Vladimir Poutine a enclenché sa contre-offensive diplomatique.
Dans cette séquence, le « négociateur » improbable réapparaît. Steve Witkoff, homme d’affaires aux réussites relatives, proche de Trump et dépourvu d’expérience diplomatique, est envoyé à Moscou en émissaire. Sur place, il rencontre Poutine dans un tête-à-tête soigneusement scénarisé. Objectif du Kremlin : fabriquer l’illusion d’une ouverture, insuffler dans les capitales occidentales l’idée qu’un avancement vers la paix tant souhaité par le président américain, dans son rêve de Nobel, est possible.
De retour, Witkoff livre un compte rendu qui, selon plusieurs sources, a induit en erreur Trump, son équipe et aussi les responsables européens lors des débriefings.
Encore aujourd’hui la confusion persiste et les « experts » tergiversent sur un ouï-dire.
Witkoff, en réalité a mal compris le message de Poutine. Il a cru que la Russie allait quitter les régions de Zaporijjia et Kherson, alors qu’en réalité Poutine disait que ce sont les troupes ukrainiennes qui doivent partir de là, selon le media allemand Bild.
Le seul résultat tangible qui sorte c’est la proposition de Poutine de rencontrer Trump.
Cette rencontre a été annoncée pour le 15 août… en Alaska. Symbole lourd : ce territoire vendu par la Russie aux États-Unis en 1867. Message implicite : la mémoire des pertes et des humiliations historiques reste un outil diplomatique.
Derrière l’image d’un sommet entre deux puissances se cache une opération de diversion. L’annonce a figé l’agenda international : les discussions sur les sanctions que Trump menaçait d’imposer à l’issue du 8 août se sont évaporées de l’espace médiatique. À la place, un nouveau récit s’est imposé : celui d’une rencontre potentiellement « décisive », avec en toile de fond la question territoriale.
Le rôle des médias occidentaux, souvent malgré eux, est central dans ce déplacement de focus. Plutôt que d’analyser l’impact et l’efficacité des sanctions et le degré de fermeté à appliquer au mafieux du Kremlin, l’attention internationale se fixe sur des scénarios d’arrangements territoriaux, hypothétiques et invérifiables. Cette bascule narrative est un succès stratégique pour Moscou : elle détourne la pression et fragmente la cohésion du camp occidental.
Revoici, dans le débat public, les quatre régions proclamées annexées par Poutine en 2022 : Louhansk, Donetsk, Zaporijjia, Kherson. Certaines « sources sûres » font circuler que Kyiv pourrait être contrainte d’abandonner ces territoires en échange d’un cessez-le-feu. Pile dans la logique de la propagande russe : forcer le débat sur ce que l’Ukraine « acceptera » de céder, plutôt que sur ce que la Russie doit restituer.
Et voici que Poutine pousse le cynisme encore plus loin : proposer aux Ukrainiens de « lui rendre » les terres qu’il n’a pas réussi à conquérir militairement depuis trois ans et demi, en échange d’un cessez-le-feu éphémère, impossible à respecter ou à contrôler, et surtout sans la moindre garantie de sécurité crédible pour l’Ukraine. Un véritable foutage de gueule. Zelensky a balayé l’offre d’un revers net :
« Nous ne laisserons pas la Russie faire une deuxième tentative de division de l’Ukraine. Connaissant la Russie – là où il y a une deuxième, il y aura une troisième. »
La rhétorique russe est redoutable. Elle inverse la charge : à l’agresseur, le rôle de faiseur de paix ; à la victime, celui de l’obstacle à la paix. L’Europe, grande absente de ces manipulations russes autour de la guerre en Ukraine, tente de s’interposer.
En réaction, sept dirigeants européens – Emmanue Macron, Giorgia Meloni, Friedrich Merz, Donald Tusk, Keir Starmer, Ursula von der Leyen et Alexander Stubb – ont signé une déclaration commune. Ils y réaffirment que le chemin vers la paix « ne peut être décidé sans l’Ukraine », que les frontières internationales ne peuvent être modifiées par la force, que le soutien militaire, financier et diplomatique à Kyiv reste ferme, que la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ne sont pas négociables.
Faute d’être invités dans le débat, les hauts responsables européens se contentent d’une tribune ouverte, ce qui, en soi, montre la place secondaire que l’UE occupe dans l’estime aussi bien du dictateur russe que de l’autocrate américain.
La cacophonie médiatique qui s’organise autour du sommet improbable de l’Alaska cache le point essentiel, qui n’est pas pris en compte pour analyser les conséquences éventuelles de cette rencontre. L’absence de réflexion stratégique sérieuse met les analystes sur une fausse piste, en créant un vent de panique nuisible à l’Ukraine.
La Russie a verrouillé son économie autour de l’effort de guerre. Le complexe militaro-industriel absorbe des ressources massives ; l’économie civile, hors secteurs énergétiques et militaires, s’effondre. Arrêter le conflit signifierait pour Poutine briser ce pilier central, avec des conséquences politiques et sociales explosives pour le régime.
Son objectif stratégique reste identique depuis février 2022 : prendre Kyiv, effacer la souveraineté ukrainienne, dissoudre l’État dans l’orbite russe. Aucun signal ne permet d’imaginer que Poutine souhaite, ou même puisse, mettre fin à la guerre, temporairement ou durablement et à court terme.
Côté américain, Trump veut « faire la paix » rapidement, peu importe le coût politique et territorial pour Kyiv. Côté russe, Poutine cherche à prolonger le conflit, consolider ses gains, et forcer l’Ukraine à capituler de fait. Les objectifs sont à l’opposé.
Pourtant, connaissant le style de Trump, son amateurisme diplomatique et son incompétence géopolitique, il est possible qu’il se rende quand même en Alaska sans attentes concrètes, et qu’il en ressorte en déclarant, comme à d’autres occasions, sa « déception » face à Vladimir, faute de résultat concret.
Mais pour Moscou, l’essentiel est ailleurs : occuper la scène, faire oublier les sanctions, tester la fermeté américaine et approfondir les fissures européennes.
Depuis 2022, Poutine exploite les hésitations de l’Occident : divergences de calendrier, querelles internes, lassitude des opinions publiques. L’Ukraine, elle, présente un front qui se réunit derrière son président aux moments les plus durs comme actuellement, où la menace sur son intégrité territoriale s’alourdit.
L’hypothèse d’une annulation de la rencontre reste plausible. Le Kremlin maîtrise l’art de la diversion : annoncer, puis torpiller. Il pourrait provoquer une crise ailleurs, déclencher un incident militaire ou orchestrer une opération hors du théâtre ukrainien pour détourner l’attention du président américain et ajourner la rencontre.
Dans cette perspective, le sommet de l’Alaska est moins un rendez-vous de négociation qu’un outil de gestion du temps. Un levier pour Poutine, pas un chemin vers la paix.
Poutine ne cherche ni compromis ni cessez-le-feu : il cherche du temps, de l’espace et des fissures dans la cohésion adverse. Chaque « sommet » est un décor conçu pour manipuler le rythme diplomatique et stratégique.
L’Occident ne peut se permettre de confondre décor et réalité. La seule réponse efficace reste inchangée : sanctions réellement contraignantes, soutien militaire constant, et unité politique sans faille derrière l’Ukraine.
Le reste, l’Alaska, les poignées de main, les rumeurs territoriales n’est que du théâtre. Et, pour l’instant, le metteur en scène s’appelle toujours Vladimir Poutine, à mon plus grand regret.
