Je suis tombée sur un article du JDD du 22 janvier, intitulé « La Russie, la grande absente », signé Xenia Fedorova, ancienne présidente de RT (Russia Today) France, organe de propagande du Kremlin, aujourd’hui interdit en Europe.
Ma première réaction fut l’étonnement. Comment une propagandiste russe avérée pouvait-elle bénéficier d’une tribune dans un média français d’importance ?
À la lecture de cet « article », qui n’est en réalité qu’un tissu de désinformations, mon étonnement s’est transformé en dégoût.
Ce texte ne relève en aucune façon du journalisme, encore moins d’une réflexion historique. C’est une grossière tentative de manipulation, un exercice de réécriture de l’Histoire.
Faute d’avoir été convié aux cérémonies du 80ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, Moscou, toute honte bue, se sert de la mémoire d’Auschwitz pour protester et se blanchir de la barbarie de ses troupes martyrisant l’Ukraine quatre-vingt ans plus tard.
L’article culpabilise ouvertement les Occidentaux, en laissant croire que la Russie poutinienne est victime d’une exclusion injustifiée, tout en réécrivant pour ce faire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et légitimer la position actuelle du Kremlin, tandis que les bombes russes s’abattent jour après jour sur l’Ukraine.
Fedorova feint de ne pas comprendre pourquoi son pays est exclu des cérémonies. La réponse est simple : on n’invite pas un pouvoir assassin aux commémorations des victimes, jadis, d’un pouvoir monstrueux.
Décryptons cette entreprise de falsification et les distorsions historiques contenues dans l’article.
Fedorova écrit : « Pour la troisième année consécutive, la Russie ne sera pas représentée aux commémorations de la libération par l’Armée rouge du camp de la mort nazi d’Auschwitz-Birkenau. Une absence qui interroge. »
Cette absence est tout sauf un mystère. Comme il lui est impossible d’admettre que l’agression russe en Ukraine a un léger impact sur l’image de Moscou dans la communauté des nations, Fedorova nous rejoue le remake éculé de la Russie éternellement ostracisée par l’Occident.
Convier la Russie ? On n’écrit pas, les mains rougies de sang, son affliction et sa peine sur le grand Livre de la mémoire d’Auschwitz.
Il y a une différence abyssale entre l’Armée rouge de 1945 et l’armée de Poutine en 2025. La première a libéré Auschwitz et mis fin à l’un des pires chapitres de l’histoire humaine, la seconde entend asservir un pays souverain, bombarde des maternités, enlève des enfants ukrainiens pour les russifier, détruit des villes et parle ouvertement, chantage atomique à l’appui, d’effacer tout un peuple qui a le mauvais goût de résister.
La mémoire d’Auschwitz impose des leçons claires : l’anéantissement d’une nation sous couvert d’idéologie n’a pas sa place dans le monde moderne.
Ce n’est pas la mémoire de l’Armée rouge qui est effacée. C’est la Russie d’aujourd’hui qui s’est elle-même disqualifiée.
On n’invite pas des anthropophages à la table de famille. La Russie est un État voyou, qui fait tache dans le concert des nations civilisées. On ne célèbre pas la fin d’un génocide en invitant un État qui rêve d’en subjuguer un autre. Fedorova, fidèle servante de son maître, ne dit pas un mot sur l’Ukraine, ne la cite pas une fois. La vox populi appellerait cela le caillou dans la chaussure, ou le cadavre dans le placard.
Qui a libéré Auschwitz ? Voici un « oubli » bien sournois.
Fedorova insiste : « Le rôle de l’Armée soviétique dans la libération d’Auschwitz est un fait historique incontestable. » Encore faudrait-il préciser quelle Armée soviétique ?
C’est le 1er Front ukrainien qui a libéré Auschwitz. Un détail soigneusement celé par le Kremlin, car il contredit le récit selon lequel l’Ukraine n’existerait pas. Les premiers à entrer à Auschwitz furent les hommes du lieutenant Anatoly Shapiro, un juif ukrainien, commandant un bataillon ukrainien. Ce sont ses hommes qui ont ouvert les portes de l’enfer.
Notre propagandiste russe préfère l’oublier.
Moscou voudrait faire croire aux Occidentaux que les Ukrainiens n’existent pas. Ironie du sort, en 2025, ce sont ces mêmes Ukrainiens réputés inexistants qui tiennent en respect un régime obsessionnel, attaché à rayer l’Ukraine de la carte par tous les moyens.
Le pacte Molotov-Ribbentrop ? Serait-ce un « détail » insignifiant de l’histoire ?
Autre tour de passe-passe de Fedorova, « historienne » : minimiser le pacte Molotov-Ribbentrop, ce petit arrangement entre Staline et Hitler pour se partager l’Europe.
« D’autres pays avaient déjà signé des accords avec l’Allemagne nazie avant 1939… » Cette défense est un classique usé jusqu’à la corde de la propagande russe. Relativiser pour banaliser. Sauf qu’il y a une petite différence : L’accord naval anglo-allemand de 1935 n’incluait pas le partage du monde. Les accords de Munich étaient une tentative de calmer Hitler (ratée, certes), mais pas une alliance secrète pour diviser l’Europe.
Le pacte Molotov-Ribbentrop, signé en août 1939, allait bien au-delà d’une simple déclaration de non-agression. Il était un pacte de destruction, où Staline et Hitler s’entendirent pour dépecer la Pologne et établir en Europe leurs sphères d’influence respectives. Quand Auschwitz fut construit, la Pologne n’existait plus, elle avait été écrasée sous le double assaut allemand et soviétique.
Septembre 1939, Hitler attaque la Pologne par l’ouest, Staline l’attaque par l’est. L’URSS ne fut pas, dès le départ, un rempart contre le nazisme. Elle fut d’abord son complice actif.
Passons aux soi-disant méchants Polonais « qui effacent l’Histoire. »
Fedorova, en bonne internationaliste à la mode Poutine, s’indigne que la Pologne déboulonne les statues soviétiques. « Dans des pays comme la Pologne, des monuments soviétiques sont détruits, effaçant des repères tangibles de leur rôle décisif. » Ah, ces ingrats Polonais, qui osent ne pas vénérer leurs « libérateurs » soviétiques…
Elle oublie un détail gênant : après la guerre, la Pologne n’a pas été libérée. Elle a été occupée pendant 45 ans. Les statues de soldats soviétiques ne sont pas des symboles de liberté. Ce sont des symboles d’oppression.
Peut-être que les Polonais, les Baltes et d’autres peuples d’Europe de l’Est ont de bonnes raisons de ne pas vouloir commémorer leur « libération » par un régime qui les a ensuite colonisés. Ces peuples de l’Est n’oublient pas. Ils savent d’expérience que sous l’uniforme poutinien, l’impérialisme russe vis-à-vis de ses infortunés voisins, une fois de plus, se répète.
Pourquoi la Russie n’est-elle pas invitée ?
« Peut-on honorer la mémoire d’Auschwitz tout en oubliant ceux qui l’ont libéré ? » demande notre propagandiste. L’argument est habile. Mais malhonnête.
Il ne faut pas confondre ceux qui ont libéré Auschwitz des nazis allemands avec ceux qui aujourd’hui bombardant Kyiv, Zaporijjia, Odessa et d’autres villes et villages ukrainiens. Les vrais héritiers des libérateurs d’Auschwitz sont les Ukrainiens qui combattent aujourd’hui le régime cher à Fedorova.
La mémoire n’est pas une arme de propagande. Et l’Histoire ne se laisse pas manipuler si facilement. C’est dans cet esprit que l’Ukraine est invitée aux commémorations et pas la Russie et son État terroriste.
Comme en 1945, gageons que ce sont les Ukrainiens qui finiront par triompher du mal.
Si l’article du JDD veut nous faire croire que la Russie est injustement bannie des commémorations, en prétendant dénoncer une réécriture de l’Histoire, alors cette faussaire aux ordres participe à cette falsification.
Ce que reproduit Fedorova, c’est exactement ce qu’instrumentalise Moscou en matière de mémoire, à destination de l’opinion mondiale : se poser en victime d’un complot occidental imaginaire.
Effacer le rôle des autres peuples soviétiques dans la libération d’Auschwitz. Minimiser la collaboration initiale de l’URSS avec Hitler. Faire passer la destruction des monuments soviétiques pour du négationnisme. Détourner la mémoire de la Shoah pour justifier la politique russe actuelle. Le procédé est digne de Russia Today : un mélange de demi-vérités, d’amalgames et de mauvaise foi.
Les faits, eux, restent têtus, quels que soient les efforts du Kremlin et de ses affidés pour réécrire l’Histoire.
Trop tard. Pendant des mois j’ai appelé ici à une réponse musclée occidentale et y compris par des frappes nucléaires préventives. Rien. Et maintenant, Zelensky en est réduit à quémander des négociations !
Très bon article sur le plan historique.
Il faut que les européens comprennent vraiment
que nous sommes en danger.