Oui, il y a un parti antisémite en France.
C’est un parti vague, aux contours mal définis, comme il sied à l’âge des identités fluides.
Tantôt il recrute à droite, chez les nostalgiques (il en reste) de l’antisémitisme de peau, ou d’État, du temps de Charles Maurras.
Tantôt il mobilise à gauche, chez les héritiers (bien plus nombreux) du socialisme des imbéciles qui jurent, main sur le cœur : « je ne suis pas antisémite, moi, Monsieur » – mais pour aussitôt ajouter : « j’ose dire que les soldats juifs sont des soudards, des violeurs, des assassins d’enfants, des massacreurs de masse, des SS, des criminels de guerre, des salauds ».
Tantôt il part de la gauche, quand le député « insoumis » Guiraud traite un collègue de « porc », mais se voit vigoureusement applaudi, à droite, par un sieur Chatillon, gudiste notoire, conseiller historique de Mme Le Pen et ami non moins historique du dictateur Bachar qui, lui, c’est bien connu, contrairement aux ultranazis d’Israël, n’a jamais déversé sur son peuple que des roses et des bonbons (à moins que ce ne soit l’inverse : le député Guiraud ne s’est-il pas initié aux arcanes de la « question juive » en regardant en boucle les vidéos de Dieudonné et Soral ? la guerre aux cochons juifs, l’art et la manière de les saigner comme il sied, ne sont-ils pas passés, dans ce cas, de la droite à la gauche ?).
Tantôt, comme dans les années 1930, on reproche aux Juifs d’être une race à part, définitivement inassimilable, et tantôt, le plus souvent, on trouve que c’est beau d’être une race, que c’est une vertu d’être racisé, mais que les Juifs sont trop pâles, trop blancs, bref, trop romains pour avoir droit à une race propre et aux égards qui vont avec : tout au plus sont-ils un ersatz, un rebut ou un échec de ce que Jean Genet appelait l’aventure des règles blanches ; et l’on s’excuse, alors, auprès des cochons d’avoir osé les comparer à des Juifs.
Tantôt il vient du dehors (l’antisémitisme des islamistes, fidèles à un Livre qui n’a pas encore procédé, comme celui des juifs et des chrétiens, à son aggiornamento théologique et politique), tantôt il vient du dedans (le gnosticisme de Marcion, cet évêque du IIe siècle que l’Église catholique, apostolique et romaine a presque aussitôt condamné comme hérétique mais qui n’en a pas moins continué son cheminement souterrain, son travail de taupe volubile et ruineux : son dualisme radical, sa guerre de l’Un contre l’Un, son idée d’un Dieu juif cruel et vengeur opposé au Dieu de miséricorde des Évangiles, tout cela n’a-t-il pas irrigué l’hégélianisme ? le marxisme ? et ne le retrouve-t-on pas, plus que jamais, dans l’idéologie spontanée de nos foules analphabètes ?).
Le parti antisémite joue sur les mots quand il fait des génocidés d’hier les génocidaires d’aujourd’hui.
Il joue avec le réel quand, fort de la doctrine nouvelle voulant que, dans la lutte du faible contre le fort, il faille, à juste raison, prendre parti pour le faible, il oublie un détail : faiblesse pour faiblesse, grande est la faiblesse de ce petit peuple perdu parmi des milliards d’hommes ; de ce petit Israël cerné par l’immense monde arabo-musulman qui, pour une part, ne se résout toujours pas à son existence ; de la petite science de la Torah résistant, contre vents et marées, à l’arraisonnement du monde par la technique.
Un jour Darius Rochebin, journaliste chevronné qui, parce que c’est son métier, a interviewé un nombre considérable de chefs d’État, aimés et honnis, démocratiques et autocratiques, sans jamais provoquer la moindre protestation, invite sur LCI le chef très provisoire du petit État des Juifs : patatras ! branle-bas de combat chez les Insoumis ! appel aux salariés et stagiaires de la chaîne sommés de saboter l’émission ! injonction faite au peuple de Paris de marcher sur la tour TF1 devenue nouvelle Bastille ! Le Premier ministre d’Israël, ce Hitler redivivus, il fallait le réduire au silence, à néant, il fallait faire comme s’il n’avait pas été. Et, vu qu’on ne l’avait pas fait, on dut, après diffusion, organiser tout un plateau de commentaires semblable à une salle de décontamination.
Ça pollue, un virus, songe le parti antisémite.
Ça coûte cher en mesures hygiénistes et de prophylaxie morale et politique.
Ça ne vaut pas les feux que l’on allume autour de lui pour, symboliquement s’entend, l’isoler.
Empreinte carbone trop élevée !
Ils pompent l’air, que l’on sait rare, ces Juifs à la nuque raide qui s’obstinent à être juifs !
La méfiance envers ces femmes et hommes qui, laïquement, talmudiquement, sionistement, kafkaïennement, proustiennement, s’entêtent mystérieusement, et en connaissance de cause, à persévérer dans leur être et à s’affirmer juifs, n’est plus un délit, c’est une opinion. Et, attendu que le monde, comme le savait Hegel, se répète en se renouvelant et en actionnant, toujours plus fort, la grosse machinerie de sa dialectique, cette opinion est une des plaies de l’histoire humaine ; mais c’est aussi, hélas, l’un de ses ferments récurrents et immortels ; et elle a donc un avenir.
Quel autre choix y a t il ?
Au point où nous en sommes, je pense que la recomposition doit se poursuivre jusqu’au bout par la scission, entraînant l’implosion du désormais préhistorique parti gaulliste, de sorte que les nationalistes irréductibles du parti de la Réconciliation nationale rallient leur camp originel, tandis que les républicains de la première heure, à l’image des élus Horizons de la majorité présidentielle, auront le champ libre pour contribuer modestement à l’éclairage de la lanterne du Marcheur à l’ombre, fût-il en cohabitation.
Le choix de la dissolution est illisible à beaucoup d’entre nous ; il me semble au contraire parfaitement adapté au contexte historique dans lequel se retrouvent coincés les héritiers de l’État droit. Charles de Gaulle n’aurait certes jamais pris le risque de jouer l’avenir de la République à coup de poker. Sauf que le fondateur de la Cinquième ne s’est jamais trouvé confronté à des sondages donnant l’extrême droite gagnante pour la prochaine présidentielle. Face au succès inédit du RN aux Européennes, Macron décide de mettre les Français devant leurs responsabilités ; il nous met tous au pied du même mur du réel contre lequel on le fusille : « Vous me condamnez à être le président qui aura ouvert une brèche dans l’État sociétal et social permettant au parti de Le Pen de gouverner la France, eh bien ! n’attendez pas, faites-le maintenant, ou ressaisissez-vous et cessez vos menaces ! »
Dans les deux cas, la République est censée triompher à court terme de ses mauvais démons : soit en invitant Bardella à se cramer à Matignon, soit en lui infligeant une cuisante défaite à un moment où l’alignement des astres ne pouvait pourtant que sourire à sa lame de fond.
Pour notre part, nous aurions préféré que Jupiter présente des solutions convaincantes aux problèmes réels qui se posent à une grande partie de nos compatriotes. En résistant aux pressions des Fréristes de couloir, par exemple. Quand on a la chance de comprendre dans ses rangs un Jean-Michel Blanquer, on ne le balance pas aux ordures pour étancher la soif de sang d’un gang d’émeutiers.
L’alliance de feue la gauche de gouvernement et du parti antisémite pour faire Front populaire contre cette extrême droite fadasse qui tente de se couler dans le moule de la Cinquième République afin de gagner la confiance des électeurs d’un État de droit, range le Parti communiste français, le Parti socialiste et les Écologistes du côté d’une Europe unie contre les Juifs. Dont acte.