Les lecteurs d’Ennemis publics, il y a quinze ans, n’ignorent rien de ce qui me sépare de Michel Houellebecq.
Les futurs lecteurs de Quelques Mois dans ma vie, le livre qu’il consacre à la double et ténébreuse affaire qui a empoisonné son existence pendant des mois (un dialogue mal relu avec Michel Onfray ; une sex-tape qu’un faux artiste d’Amsterdam menaçait de mettre en ligne), doivent savoir que le différend ne s’est, avec le temps, pas arrangé : je n’aime pas qu’on dise « le salaud » pour un journaliste qui vous a maltraité ; ni qu’on animalise ses adversaires en les nommant le Cafard, la Dinde ou la Truie ; et je ne me fais décidément pas au sort qu’il réserve, une fois de plus, aux femmes.
Ces désaccords – majeurs – étant rappelés, voici ce que je pense du livre.
Ayant été témoin de moments de désarroi où l’auteur semblait croire, tel le Huysmans de la fin, que c’est son âme même qui était « absolument cassée », je suis frappé d’abord par le ton de probité qui se dégage de ce court texte. Tout est là. Rien ne nous est épargné des infamies du maître-chanteur d’Amsterdam. Rien n’est esquivé de ses propres faiblesses et petites bassesses. C’est, pour parler comme Danilo Kis, une leçon d’anatomie existentielle où s’exposent sa part d’ombre ; son appétit pour le « porno soft », à ne surtout pas confondre avec le « porno pro » ; ou encore la « honte » qu’il a ressentie lorsqu’il a vu son corps secret exposé au voyeurisme universel. Et quant à la seconde affaire qui l’a, au même moment, plongé dans la tourmente et qui partait de phrases détestables qu’il avait, dans ses propos de table mal relus, prononcées au sujet des musulmans, peut-être suis-je naïf, mais je suis ému par l’accent de sincérité des « excuses » qu’il adresse à ceux qu’il a « offensés » : différence entre islam et islamisme… caractère très minoritaire du second… « invraisemblance » de la « guerre civile » qu’il annonçait… tout cela ne sent ni la défausse ni la manœuvre et, même si l’on est toujours loin de la défense de l’islam des Lumières telle que je la prône et pratique, je ne vois honnêtement pas ce qui peut, dans ces propos retouchés, encore faire polémique.
Ayant, ne serait-ce qu’à cause de notre livre commun, à peu près tout lu de lui, je trouve qu’il y a aussi, dans ces 102 pages, une qualité d’humour digne des meilleures pages des Particules. C’est un humour amer. C’est une gaîté dans le découragement et l’effroi de ce qu’il a lui-même généré. C’est une ironie grinçante dont le ressort est la mise à distance feinte du personnage dont il se moque, puis dans sa façon de le peser, soupeser, examiner sous toutes les coutures, parfois de lui laisser sa chance – et puis, tout compte fait, de lâcher le mot qui va tuer. Mais le fait est là. La curiosité scientifique avec laquelle il observe et décrit le « sans-faute » de tel escroc faisant carrière dans l’ignominie est drôle. La phénoménologie du paparazzo versant, quand il le poursuit sur le quai de la gare d’Amsterdam, dans le documentaire animalier est un moment de comédie. Et comiques encore sont les considérations lassées, pince-sans-rire, car ostensiblement techniques, sur la difficulté de tourner un film érotique en mode selfie. Cet homme a, nous dit-il, traversé « l’enfer ». Il a peut-être, en effet, frôlé la réprobation généralisée. Mais le tour de force est qu’il parvient, d’un bout à l’autre, à tenir cette note du persiflage et du sarcasme. Et certaines de ces pages mériteraient de figurer, quoi qu’on en dise ici ou là, dans une version révisée de l’Anthologie de l’humour noir.
Le livre, enfin, est bien construit. Plus savamment mené qu’il n’en a l’air. On songe, quand il expose les résultats de son enquête sur l’association de malfaiteurs qui l’a piégé, au Edgar Poe des Histoires grotesques et sérieuses. Ou, quand il s’étonne de l’irruption dans son œuvre de « personnages nettement mauvais » qu’il n’avait, jusque-là, jamais « développés », au ton des Contes cruels de Villiers de l’Isle-Adam. On entend, dans les moments de quasi-hallucination que provoque en lui le spectacle d’une humanité lyncheuse, fût-elle lettrée et distinguée, le lointain écho des récits fantastiques, si vrais qu’ils en sonnent faux, qu’imaginait son cher Lovecraft. Bref, ce petit texte se lit comme un roman. Ces scènes de la vie parisienne où l’on se surprend à « compter ses amis », à observer qu’« un grand silence se fait dans la droite catholique » ou à sentir sur sa nuque le souffle de la « meute », sont du bon Houellebecq. Et cet écrit de circonstance dont j’ai failli regretter qu’il fît tant d’honneur à des personnages minuscules et, au fond, répugnants est, dans le genre de l’exercice d’autodéfense, une réussite. On peut, je le répète, ne pas partager les « points de vue » de Michel Houellebecq. Mais la preuve est faite, une fois de plus, que rien ne vaut la littérature pour répondre, riposter et s’extraire d’un marécage où l’on était en train de s’enfoncer.
Une autre de mes différences avec mon ami est que je ne réponds, moi, à peu près jamais à rien.
Et j’ai tendance, face aux campagnes d’une autre sorte dont je suis régulièrement l’objet, à faire comme ce mendiant de Jérusalem d’Elie Wiesel qui, lorsque les passants lui crachaient dessus, levait les yeux au ciel et disait « il pleut ».
Eh bien, en lisant cette contre-attaque, je me dis que c’est peut-être lui, Houellebecq, qui a raison.
La contre-offensive tant attendue par le monde des Spectacles aurait commencé depuis le début de la semaine. Nous qui croyions qu’elle s’était enclenchée la nuit du 24 février de l’an 2022…
Bon OK, ne nous faisons pas plus Bête que nous sommes. La contre-offensive dont la résistance ukrainienne a tanné ses alliés, depuis au moins quinze mois, dans l’espoir qu’ils finiraient par lui en donner les moyens et le feu vert, aura enfin eu lieu. Le temps de tâter le pouls du Kremlin. D’en évaluer la santé mentale post-collectiviste.
Beaucoup d’ego de l’autre côté du Rideau recousu.
Peu d’esprit de sacrifice au sommet de la hiérarchie où l’on semble s’accrocher à son sous-trône sous le Siège éjectable suprême.
La perspective d’une Apocalypse anticipée ne paralyse que les membres permanents du CS dans les phares de stock-car d’une autoroute pour la paix que deux d’entre eux ont prise à contresens.
La guerre nucléaire tactique n’aura pas lieu, dès lors qu’elle déclencherait une première et dernière guerre nucléaire mondiale, dont personne ne veut. — Il s’agira donc de poursuivre jusqu’à son terme un conflit régional entre deux nations sœurs et néanmoins ennemies, un conflit postcolonial ou, si l’on préfère, décolonial — ici, le concept est valide — entre la Russie et le berceau culturel, politique et civilisationnel de son empire, cette Kiev qui, sous certains aspects, demeure bien plus liée à l’histoire des Russies qu’à celles de notre Europe qui lui fait tant envie, au sens où l’Ukraine serait fondée à préempter l’imaginaire hanté d’une armée de vampires qui, incapables de planter leurs crocs dans une nuque agile, se heurtent au paradoxe d’un État-source, d’un État-fleuve, d’un État intérieur, d’un État souterrain, d’un État sporadiquement marginal, rempart sauvage au débordement d’impensés mal pansés qui, si parfois l’on put le voir plier face aux diktats étrangers ou intimes d’un vieux démon vicelard, ne rompra pas de sitôt.
Ukrainiser la Russie éternelle… ne serait-ce pas là un juste retour des causes ?
L’ennemi est là et bien là, ne lâchant pas le gros cadavre à la renverse, ni même les bas-morceaux.
Avouons que nos suites d’impasses, j’entends par là les risques de contre-offensive suprémaciste que celles-ci font planer sur les uns et les autres et à travers lesquelles nous justifierons toujours nos insuffisances en nous essuyant le front, arrangent bien ses affaires.
Face à un tel degré de fourberie, les écrivains du calibre de Houellebecq ne peuvent pas se louper.
Alors oui, en effet, le temps était mal choisi pour s’abandonner à un baisser de pantalon.
(absor)P-S(ion) : Mais au fait, à propos de la distinction entre islam et islamisme, comment le recteur de la Grande Mosquée de Paris avait-il répondu à l’appel pour l’attribution du prix Nobel de littérature au héros des Contre-Anti-Lumières que demeurera Salman Rushdie ? — tout à fait d’accord avec l’auteur de Soumission : l’islam ne recoupe pas la délinquance mais pourrait bien plutôt en contenir les menaces d’explosion ; or, de manière paradoxale, ce remède irrépublicain confère aux deux phénomènes de la délinquance et de l’islam un indice de croissance équivalent, concomitant et non moins ascendant… effarant, du point de vue d’un républicain d’expérience et donc de conviction.
Autant je soutiens qu’un tentaculaire secourisme des mers seconde le plan de conquête démographique d’un méta-impérialisme arabo-musulman, ou panarabisant, mâtiné de panislamité soviétifère et nazifère, visant, entre autres proies, l’Europe en deuil de Dieu, autant je maintiens qu’il serait immonde, presque inhumain, de ne pas accourir vers les cris de détresse d’un otage qui se noie.
Le juste ne loge donc ni au-delà ni en deçà de cette ligne de partage des eaux primordiales, entre l’apothéose du mal et l’apogée du bien.
Il crèche ailleurs, et pour cause ; il ne se complairait pas dans la posture du Sauveur tatoué d’une date de péremption.
L’homme peut difficilement trouver l’inspiration ultime dans un espace ou un temps évidé de l’esprit religieux.
Sauf que nous le savons, et quand je dis nous, ce « nous » n’est que pour partie inclusif, la coexistence des religions couve leur confrontation, soit la guerre infinie, au sens où la conçoivent les chien-chiens de l’enfer, en d’autres termes, et celles et ceux qui se promènent au bout de la laisse.
Nous avons néanmoins foi dans l’issue de secours, la fenêtre de lancement que nous permet d’entrevoir un dialogue interreligieux sujet, hélas, aux avalements de langue, présages d’un brusque ravalement de face.
Un type de relation qu’il faut apprendre à préserver contre ses pires tendances, mais que rien, convenons-en, ne remplace ici-bas.
Cette belle et longue conversation œcuménique ne fut possible à envisager comme barrage efficace contre l’Impacifique qu’à partir du moment où ses instigateurs coutumiers purent compter sur la solidité à toute épreuve d’un universalisme philosophique, scientifique, historique, et politique enfin…
L’œcuménisme à grande échelle est un devoir pour toute civilisation que happe le train fantasque des globalisations.
Un devoir que précèdent les fondements du seul empire auquel nous soyons tous conviés de participer de la cofondation spontanée.
Celui du seul universalisme qui eût jamais été digne de ce nom.
Et au mépris duquel nos plus sublimes éloges faits à la tolérance marineraient dans les sanglantes rivières d’une Saint-Barthélémy protestataire, mais déjà victimaire, et surtout généralisée.
P-S(ychosium) : Nos libertés chéries n’entreraient pas en collision avec le mur des temples. En France comme dans tout autre État conscient des droits fondamentaux d’Homo sapiens, la conscience d’un athée vaut celle d’un autre homme de foi. Le concept de blasphème se neutralise lui-même aussitôt qu’il pénètre dans le champ-contrechamp d’une chose publique dont le rayon d’action enveloppe toute cause, aussi sacrée soit-elle. Voilà pourquoi le chef religieux, en terre d’universalisme, se verra investi d’une double mission consistant à transmettre à ses coreligionnaires les principes de la religion qu’ils pratiquent tout en leur rappelant que ces derniers, fussent-ils premiers selon la hiérarchie céleste, ne sauraient s’appliquer s’ils s’opposaient aux lois qui seraient entrées en vigueur là où les aurait promulguées tel ou tel État de droit. Aussi, pardon si je ne récuse pas mon propre témoignage en faveur d’un chef d’inculpation net et catégorique pour incitation au fondamentalisme, laquelle accusation planerait sur tout directeur de conscience qui ne défendrait pas le droit qui protège la liberté de chacun d’apprécier, de questionner, de contester, de réfuter ou d’étriller les certitudes d’autrui.
De l’étrange inclination à la pédophagie des barbares néomédiévaux du Moyen-Désorient.
De la flagrante coïncidence des blessures de rejet infligées à l’annonce d’une OQTF et d’un décret de Décréation, ici avec le débitage d’un élevage de petits d’homme conduits à l’abattoir sauvage, ou là, en octobre dernier, par le biais d’un accouchement à l’envers chez cette cinglée qui se fourre sa victime dans le vagin avant de l’étrangler à mains nues.
L’idée que l’Occident occirait de préférence l’enfant roi des terres saintes, est une projection des pulsions suicidaires d’un monde dont la conversion de masse allait contraindre les natifs à poursuivre leur croissance dans un fût de vin, en pousserait quelques-uns au zèle du maltraité, puis aux viols en série sous le vernis de légitimité hideusement indolent du châtiment divin.
La neutralisation chirurgicale d’une batterie de missiles sol-air, d’un stock d’armes, ou d’un camp d’entraînement terroriste que l’on a pudiquement couverts d’une tunique de peau impubère, peut en effet faire d’innocentes victimes. À qui la faute ? par quel contrecoup de poutre sur l’œil réprobateur ces petites têtes blondes se sont-elles retrouvées dans une posture aussi horrible ? comment qualifieriez-vous une armée archaïque ou moderne si, en inspectant la carcasse des tortues, des trières, des chars d’assaut ou avions de combat se crashant sur les places de village ou s’échouant sur les rivages, vous vous aperceviez que votre ennemi en avait affaibli l’équipage avec un renfort de soldats en bas âge ?
Moui, pourquoi pas.
Je ne sais pas, mais je n’aime pas cet égo enorme de monsieur Houellebecq. Comme Jiddu Krishnamurti le dit dans son « Notebook »: « There is no virtue without humility. » Et aussi: « The brain and its activities are a fragment of the whole totality of life; the fragment has become completely important to itself and its relationship to other fragments.[…] The fragmentation and the contradiction it breeds is its very existence; it cannot understand the whole, and when it attempts to formulate the totality of life, it can only think in terms of opposites and reactions which only breed conflict, confusion and misery. […] Only when the brain and its thought are completely still, […] then only is there the awareness of the whole. » Et: « In humility alone there is learning, and learning is not the acquisition of knowledge. »
Je m’imagine que c’est cela qui vous separe de M. Houellebecq.
Amicalement de la Suède,
Maja
J’avais lu avec intérêt, cher Bernard-Henri Lévy, le livre que vous aviez eu l’idée, surprenante à mes yeux mais fort stimulante, d’écrire en compagnie de Michel Houellebecq. Lecteur de quelques livres de celui qui est à la fois considéré comme éminemment représentatif des lettres françaises et régulièrement stigmatisé, je dois dire que je me garde d’imiter, en ce qui le concerne, l’acharnement de la meute, même si le personnage me laisse souvent plus que perplexe. Et faute de pouvoir compter sur une sagacité qui me fuit, je trouve à vous lire au milieu de ce qui peut apparaître souvent dans la presse comme une chasse à l’homme Houellebecq, qui ne m’inspire aucune détestation, un réconfort dont je vous sais gré.