Dans un contexte de crise de la presse, So Foot fête ses 15 ans. Comment expliquer le succès du magazine alors même que beaucoup d’aventures similaires – je pense à Ebdo ou Vraiment notamment – ne parviennent pas à durer ?
Je n’aime pas trop comparer les projets. Les échecs commerciaux peuvent s’expliquer par de nombreux paramètres, par le contexte également. À So Foot, et à titre personnel, on salue toujours l’envie de faire des magazines et la volonté de croire au papier. Si on réfléchit à notre cas, le succès et la «longévité» – 15 ans dans l’Histoire de la presse ça semble peu, mais au XXIe siècle, c’est beau – peuvent surtout s’expliquer par une cohérence éditoriale, le respect d’un ton particulier, la promesse de parler autrement de football à ceux qui aiment le foot comme à ceux qui l’aimeraient moins. J’aime à penser qu’il existe un seuil d’exigence assez élevé dans ce que nous produisons, dans ce que nous racontons, dans ce que nous écrivons, pour que la qualité soit toujours au rendez-vous. Mais surtout : on continue de faire le journal et le site internet que l’on aime, d’écrire et de dire ce que l’on veut sans se plier aux discours qui font consensus. Il me semble que notre indépendance se ressent. C’est comme cela, je crois, que So Foot a réussi à créer une attente chez le lecteur, un rendez-vous mensuel pour une base de fidèles. Et il ne s’agit pas de se prendre pour ce qu’on n’est pas : on peut être un peu rebelle mais tout cela ne reste, au fond, que du foot !
La promesse de So Foot, sa plus-value, c’est justement sa façon particulière d’écrire le football. En quoi consiste-t-elle au juste ?
C’est devenu une formule assez connue quand on parle du magazine : il s’agit de «la règle des 3H», à savoir Humain-Histoires-Humour. Elle résume assez bien l’esprit du magazine et du site. Il n’y a pas de théorème, mais je pense qu’un lecteur retrouve généralement au moins deux des trois éléments qui composent les «3H». Je dis deux, parce qu’on ne peut pas mettre de l’humour partout : nous ne sommes pas un magazine sarcastique, certains sujets n’appellent pas à l’humour, et puis… On n’est pas tous drôles tout le temps, hein ! Nos papiers se nourrissent de témoignages, de terrain, d’histoires, de rencontres, de discussions, d’informations, de contradictions, de théories. C’est aussi pour ça qu’on se défend régulièrement contre le terme «décalé» pour nous qualifier. Pourquoi ? Car il réduit ce dont on parle à un côté «les mecs qui font des vannes sur le ballon». Il faut de l’humour pour dédramatiser le foot, mais il faut surtout trouver l’information, la traiter et l’expliquer pour faire un bon journal !
La légende raconte que le magazine a été créé en une soirée, avec un capital de 450 euros seulement. A l’origine du projet, Franck Annese, un patron de presse passé par les banc de l’ESSEC. Par sa capacité à lancer sans cesse de nouveaux projets et à fédérer les talents, beaucoup le considèrent aujourd’hui comme le nouveau Jean-François Bizot (fondateur d’Actuel, ndlr). Qu’en dis-tu, toi qui vis l’aventure de l’intérieur ?
Ah ! Tu connais la règle : faut pas que je fasse trop de compliments, sinon je vais me faire vanner ! Mais oui, évidemment, il suffit de passer un peu de temps avec Franck Annese pour comprendre qu’il est celui qui donne l’élan. Il sait impulser l’énergie nécessaire à la création de projets variés en reprenant les éléments qui font la force de So foot – on a même sorti un magazine de hippisme (Dada, un trimestriel qui parle «du vrai meilleur ami de l’homme: Le cheval», ndlr) et il est mortel, en toute objectivité !
Franck défend sa vision des choses et notamment de la presse. Il est très bien entouré. Il y a, au sein du groupe So Press (qui regroupe les magazines So Foot, Society, So Films, Dada, Pédale, Tsugi ainsi qu’un label de musique) beaucoup de talents dans tous les domaines. La grande force de Franck et du groupe en général, c’est de responsabiliser et de faire confiance à ceux qui participent à l’aventure et ont envie de faire grandir la bête. Peu importent ton âge, ton CV, ta formation, ton vécu, tes expériences passées : si tu as envie de bosser à So Press, il y a toujours moyen de trouver ta place et de prendre du kiff !
A l’heure où la communication noyaute la parole des footballeurs, So Foot continue de se démarquer par son impertinence. Comment est-ce perçu par le milieu ? Joueurs, entraîneurs et dirigeants jouent-ils vraiment le jeu ?
On ne va pas se mentir, ce n’est pas toujours simple d’approcher les joueurs… Parfois, pour une simple interview de quelques minutes, il faut batailler plusieurs fois au téléphone avec les RP des clubs. Ceci dit, ça fait partie du boulot, et au fil des années, on a quand même réussi à se construire un réseau et une image. Les acteurs du milieu (clubs, joueurs, dirigeants, supporters) savent ce qu’on va essayer de sortir d’un entretien, d’une rencontre, d’un reportage. Il n’y a rien de malveillant dans ce que nous faisons. On n’est pas là pour se moquer ou pour faire des vannes. On essaie toujours de creuser les sujets pour montrer que les acteurs du foot ont des choses intéressantes, drôles et sincères, à dire. Plus on passe de temps avec eux, mieux c’est ! Parfois, on reçoit des dérushs de 140 000 signes à éditer ! Là commence le boulot d’édition pour sortir 4, 6 ou 12 bonnes pages d’interview. Tiens, pour en revenir à ta question sur la communication, une petite remarque qu’on se fait souvent : parfois, il est plus facile d’avoir des gros noms du foot mondial (Buffon, Xavi…) que des latéraux de Ligue 1 ! Ça fait partie du jeu !
Vous mettez un point d’honneur à vous entourer de figures charismatiques et de libre-penseurs du jeu tels Vikash Dhorasoo (que l’on avait reçu pour un grand entretien) ou encore Eric Cantona. Que vous apportent-ils ?
L’un des crédos de So Foot est de pourfendre le cliché persistant du footballeur un peu con-con ! Quand on creuse les trajectoires de ceux qui font le foot, on se rend vite compte qu’il y a des hommes, des consciences derrière les joueurs. Sur leur métier, ceux-ci ont forcément des choses à dire, et mieux que d’autres parfois ! En dehors du foot, ce sont aussi des hommes et des femmes avec des passions, des avis… Finalement, on ne fait que leur donner la parole pour qu’ils puissent exprimer des idées, prendre position, défendre des opinions et surtout raconter leur vision du foot à travers ce qu’ils ont vécu.
En quinze ans, le football a bien changé. Il s’est surtout politisé. L’affaire Benzema, le débat récurent autour de la Marseillaise, les ministres qui jugent l’attitude des joueurs et commentent les résultats. Cela influence-t-il les acteurs du jeu ? Et surtout : ne donne-t-on pas trop d’importance au football ?
C’est marrant : récemment, je me posais la question de savoir quand le foot avait réellement pris ce virage politique. Ca doit se situer quelque part entre 1998 et 2006 mais j’adorerais mettre le doigt avec précision sur ce jour où tout a vraiment changé ! Ceci dit, la récupération politique du foot est un classique et remonte à loin dans beaucoup d’autres pays. Évidemment, en France, on pense immédiatement à 98. Chirac nous avait alors fait une démonstration de son talent de récupérateur, alors que selon toute vraisemblance, il n’était pas spécialement dingue de foot. Par la suite, entre 2009 et 2010, on a vécu le pire aspect de cette relation avec la main d’Henry face à l’Irlande, sans parler de l’acharnement des politiques pendant Knysna et des interventions récentes au sujet de l’affaire Valbuena-Benzema… J’estime que les joueurs peuvent sans doute – et légitimement – être blessés ou choqués par certains propos, mais de là à les influencer dans leur jeu ou leur état de forme, je n’y crois pas trop. Ils ont l’habitude d’être jugés par les spectateurs, les fans, les médias… Quand ils se font juger par des politiques, ils doivent au mieux ne pas y accorder plus d’importance que ça, au pire se dire, un peu comme nous d’ailleurs, «mais n’ont-ils pas autre chose à foutre que de choisir le numéro 9 de l’équipe de France ?». Quant à savoir si on donne trop d’importance au foot… On donne de l’importance aux choses qui nous passionnent : le sport, l’art, la culture, la politique, la bouffe, les voyages ! Par sa popularité, son «universalité», le foot est devenu un vecteur important de valeurs, bonnes ou moins bonnes, et un reflet de ce qui se passe parfois dans notre société, les bons côtés comme les pires. Que l’on transpose sur ce sport les frustrations, les aigreurs, les jalousies et je ne sais quels autres maux, ça me semblera toujours exagéré, peu constructif et très opportuniste.
Le grand absent, la variable d’ajustement, c’est souvent le supporter. Un temps, les dirigeants parisiens avaient fait le choix de bouter les Ultras hors des tribunes du Parc des Princes. Dernièrement, le match de barrage Ajaccio-Toulouse s’est joué à huis-clos. En Russie, les fans seront ultra contrôlés. D’où cette question : le football peut-il toujours être un sport populaire ?
Par nature, le foot reste hyper populaire. C’est cliché de le dire, mais c’est toujours bon de le rappeler : à la différence de nombreux autres sports, le football se joue facilement n’importe où, par n’importe qui, avec peu de moyens. La question du foot «pro» est un peu plus complexe, en effet. Pour celui ou celle qui suit ce sport, entre les forfaits télé des opérateurs en augmentation constante, les abonnements pour aller au stade, sans parler des maillots, il s’agit d’une passion qui commence à peser sur le porte-monnaie… Et pourtant, le supporter demeure indispensable à la bonne santé d’un football professionnel. Il est même un véritable actif dans certains clubs si l’on prend le cas du public de l’OM ou des Verts. Mais de plus en plus souvent, force est de constater que ce dernier est traité comme un simple consommateur.
Que faire alors ?
Il faudrait trouver un juste milieu, inventer une solution qui permette aux supporters les plus acharnés d’exprimer leur ferveur et leur créativité, parce qu’elles font la beauté du football, et aux supporters plus discrets, occasionnels ou aux familles, de suivre n’importe quel match de foot dans un stade. Je ne crois pas trop aux solutions du type «si y’en a un qui déconne, tout le groupe est puni». Cela dénote toujours une certaine tension, un manque de dialogue et, au fond, ça ne fait que repousser le problème de quelques mois ou quelques années. Et ça n’empêche la solution de la sévérité envers les gestes inadmissibles, évidemment… Dans un monde idéal, les supporters auraient leur mot à dire dans les orientations prises par leur club de cœur. Mais il s’agit là d’un rêve largement utopique : les petites initiatives louables (les collectifs type «À la nantaise» ou le club alternatif à Manchester United) autour de certains clubs ne trouvent qu’un écho mineur et n’ont surtout aucun impact sur le club visé. Aujourd’hui, il y a tellement d’enjeux à tous les étages que le moindre débordement appelle des réponses parfois disproportionnées, en sautant bien souvent les cases discussion, prévention et pédagogie. Les clubs fonctionnent tellement comme des entreprises qu’ils traitent parfois les supporters comme des employés. Si on suit cette logique, le supporter deviendrait un client… Et le client devrait toujours être roi, non ? Sauf qu’en réalité, le véritable objectif du foot pro, ce n’est plus le supporter, c’est le consommateur derrière son écran…
Dimanche, l’équipe de France disputera la finale de la Coupe du Monde face à la Croatie. Un pronostic ?
Juste avant la finale, je n’ai pas trop à me mouiller : je vais partir sur les Bleus ! Mais attention, ce n’est pas une question de «je suis Français, je supporte la France», hein ! Tu supportes qui tu veux ! Pas la peine d’avoir une arrière-grand-tante yougoslave pour justifier une envie de voir la Croatie l’emporter ! C’est un match de foot, pas une guerre et on n’appelle personne sous les drapeaux ! Pour en revenir aux Bleus, collectivement, ils m’impressionnent tout simplement par leur évolution, leur maîtrise, leur solidité. Quand on se rappelle de la préparation et des premiers matchs de poule, la montée en puissance est impressionnante. C’est tout sauf de la «chatte à Deschamps» au final…