Une fois encore, des politiciens auront pratiqué cet art qui n’appartient qu’à eux. Ils sont américains, l’un d’entre eux est président de ce grand pays ; les deux autres voudraient l’être. Ils s’appellent Barack Obama, Hillary Clinton, Donald Trump.
Un terroriste d’origine afghane, qui revendique sans ambiguïté possible son appartenance à l’islam, tue cinquante homosexuels parce qu’ils sont homosexuels et que cette préférence assumée, libre, signe à ses yeux ce qu’il y a de pire en Occident. Cet homme vit en Amérique, il est armé : le Deuxième Amendement de la Constitution permet comme on sait le port d’armes aux citoyens. L’idée, souvenir des colons qui s’armèrent contre le despotisme britannique, est de ne pas confier tout le soin de la sécurité individuelle à l’Etat : logique étrange pour nous, cela va sans dire, mais dont, pour mieux la combattre, il faudrait d’abord comprendre l’histoire. Quoi qu’il en soit, voilà un point souligné, à juste titre, par tout le monde à part Donald Trump : il y a un problème lié à la libre circulation des armes, et cela resurgit chaque année, lorsqu’il prend l’envie à quelque énergumène d’exercer son droit à l’« autodéfense » en s’en prenant à un campus universitaire ou une salle de cinéma.
Reste que cet homme n’était pas seulement armé parce que le Deuxième Amendement le lui permettait. Il l’était aussi parce qu’il voulait tuer des Américains, des homosexuels en l’espèce. Et pourquoi le voulait-il ? Parce que sa vision de l’islam impliquait qu’on les mette à mort. Et que le faire en plein Ramadan, mois sacré, était, dans son esprit, encore plus louable. Je pourrais conseiller à tous ceux qui refusent cette vérité toute simple, non seulement les textes de savants de l’islam qui vont à peu près dans le même sens, mais aussi cette vidéo d’un imam américain qui le dit, lui, très clairement. Et savez-vous quoi ? C’est à Orlando qu’il sévit, là où le massacre a eu lieu. Toujours rien à voir avec l’islam ? Bullshit, comme on dit ici, et bullshit meurtrier, bullshit complice.
On a donc parlé pour ne rien dire.
Trump tout d’abord, qui n’a mentionné ni le danger des armes ni la spécificité de la haine homophobe : normal, nombre de ses soutiens la partagent avec leurs ennemis musulmans.
Obama et Clinton ensuite, incapables de désigner le mal pour ce qu’il est. Eussent-ils tant tergiversé si le massacreur s’était appelé John Smith et s’il avait été membre du Ku Klux Klan ? Eussent-ils hésité à désigner son idéologie ? Serait-ce que les musulmans ne peuvent comprendre ? Sont-ils donc, bon sang, des enfants capricieux, qu’on doive ainsi les ménager ? Lorsqu’Obama rappelait l’an passé qu’on avait aussi tué au nom du christianisme, qu’on avait justifié l’esclavage et la ségrégation par la Bible, il faisait preuve de courage : les réactions outrées, stupides et ignorantes de la droite l’ont prouvé. Mais pourquoi diable ce manque de courage maintenant ? Pourquoi ne pas voir que nous avons, face à nous, un impérialisme abject, dont les racines sont profondes, que nous ne sommes pas nous-mêmes à ses yeux des rivaux dans l’impérialisme, mais des adversaires à soumettre, à asservir par tous les moyens ? Pourquoi, surtout, laisser à un Donald Trump l’opportunité de dire ces vérités ?
Est-ce à cause de la libre circulation des armes que l’on a massacré en France ? A Tel Aviv la semaine dernière ? Et Boko Haram ? Et Bruxelles ? Et les talibans de Lahore ? Et ces jeunes femmes yézidies brûlées vives pour n’avoir pas voulu servir d’objets sexuels aux combattants de Daech ? Combattants parmi lesquels on frémit à l’idée de penser que se trouvent des Français… Et d’ailleurs, est-ce le Deuxième Amendement de la Constitution américaine qui est cause des exécutions d’homosexuels en Iran et en Arabie Saoudite ? Ou bien peut-être serait-ce la Manif pour Tous et Christine Boutin ? Ou la laïcité à la française, odieux masque du racisme et du colonialisme ? A moins que ce ne soit le Premier Amendement de la Constitution, qui garantit la liberté de culte pour mieux opprimer les minorités ? Allons, soyons sérieux : qui osera prétendre que toutes ces horreurs n’ont pas un point commun et que ce point commun est la religion au nom desquelles elles sont commises ? L’histoire jugera les munichois, les collabos et les naïfs.
Que l’on nuance ce verdict en rappelant que toute la tradition abrahamique a un problème avec l’homosexualité est chose utile. D’abord, l’islam découle en effet de cette tradition et il me semble que, à part pour le libre arbitre, il ne fait souvent que la pousser à son comble : le Dieu du Coran est un despote et son fidèle un être patient et soumis, mais cette tendance existe dans la Bible, dans le judaïsme et le christianisme, tempérée par la pratique du doute, du questionnement, voire de la lutte contre l’Eternel, chose que pour le coup, l’islam n’a jamais admise. De même en effet, les « sodomites » sont condamnés à mort par le Lévitique et voués aux flammes de l’Enfer dans le Nouveau Testament avant de l’être par l’islam. Les anciens Hébreux devaient voir dans cette pratique, celle de la sodomie homosexuelle (ils ne condamnaient, soit dit en passant, et c’est toujours le cas dans la Halakha, ni les autres pratiques homosexuelles, ni le lesbianisme), une forme de confusion, de retour au chaos, comme le fait de coucher avec sa mère ou avec une femme durant ses menstrues. Cette conception ne tenait évidemment pas compte de l’existence de sentiments propres à la relation homosexuelle, et pour cause, il s’agissait là de prescriptions rituelles et non pas morales, à mettre sur le même plan que le respect du Shabbat. Les récentes déclarations d’un ancien Grand Rabbin de France montrent que ce problème n’est toujours pas entièrement résolu, de même hélas que l’assassinat, l’an passé, de Shira Banki par un fanatique juif. Ou que les propos homophobes récurrents de la droite religieuse israélienne.
Le judaïsme a pourtant, comme le christianisme, globalement évolué parce que son rapport à la Loi, qui « n’est pas au Ciel » mais entre les mains du peuple qui l’a reçue, le permet. L’islam me semble à cet égard lourdement handicapé.
Il reviendrait aux musulmans eux-mêmes de prouver qu’il n’en est rien, de penser un nouveau mutazilisme, de se réapproprier l’idée d’un Coran créé et non incréé, et aussi, dans la lignée de leurs propres mystiques, d’un Dieu que fonderait autant la conscience et les actes des hommes qu’Il les fonde comme Créateur. Pour l’heure, la plupart en sont encore à bégayer que ça-n’est-pas-l’islam et qu’il ne-faut-pas-faire-d’amalgames, sans interroger, dans leur pratique et dans leur foi actuelles, les conditions de possibilité d’une telle barbarie. Maajid Nawaz, ancien islamiste qui consacre sa vie au combat contre l’obscurantisme, est l’un des seuls à avoir su dénoncer cette attitude, s’en prenant également avec vigueur à la cécité « libérale » : « Saying this has ‘nothing to do with Islam’ is as blinded as saying this is Islam. Clearly, this has something to do with Islam. And liberals saying this has nothing to do with Islam are as ignorant as conservatives saying this has nothing to do with gun laws. Both US gun laws and Islam today need reform. »
Pour finir, je dirais que le massacre d’Orlando annonce la nécessité de cette réforme mais scelle aussi l’échec du modèle américain, comme ceux de 2015 scellaient l’échec du modèle français. On le sait désormais, il ne suffit pas d’offrir l’égalité des droits et l’opportunité de « réussir », choses que l’Amérique fait déjà très bien et sans distinction de religion – pour que disparaissent la haine, l’intolérance et la violence. Il ne suffit pas de tout faire reposer sur la responsabilité individuelle : Deuxième Amendement pour la sécurité, Premier pour la liberté de conscience, texte admirable en son principe, mais qui est aussi responsable de ce qu’on a si mal compris en Amérique, et le droit au blasphème porté par le « trop » gaulois Charlie, et, plus généralement, le danger de laisser aux familles le soin intégral de l’éducation des jeunes.
Mais il ne suffit pas non plus de donner à chacun accès à l’instruction, de faire lire aux gamins To kill a mockingbird ou leur parler de Martin Luther King, ni d’ailleurs plus tard d’expliquer aux étudiants privilégiés de la Ivy League que l’Occident, Shakespeare et Mozart compris, est synonyme de domination impérialiste, tandis que tout ce qui ne serait pas lui est bon et innocent.
Pour « faire société », c’est aussi de valeurs positives et substantielles, et non seulement de droits, de revendications, de « place à l’autre » ou d’opportunités, que les hommes ont besoin. Martin Luther King ou Jean Moulin, oui, mais si l’on comprend où, aujourd’hui, se situe le mal. Etre américain, tout comme être français, cela devra passer à l’avenir par l’acceptation de ce qui fait l’identité et l’histoire de ces deux pays : le monde, terre et mers, est assez vaste pour ceux qui n’en veulent pas et que nous n’avons aucunement à accepter parmi nous. Qu’ils meurent seuls si la vie leur est à ce point odieuse, qu’ils ne poussent pas les esprits simples à les confondre dans une même haine avec les misérables qui ne demandent, eux, qu’asile et liberté ; surtout, qu’ils ne nous tuent pas, qu’ils ne tuent pas ce que nous avons mis tant de siècles à bâtir et que nous saurons bien, je l’espère, défendre avec la même hargne qu’ils auront à le détruire.
Merci pour cet article intelligent et lucide.