Self-righteous, dit-on en anglais. Plus qu’hypocrite et moralisateur, plus que bien-pensant : le self-righteous est un Socrate qui, contrairement à l’autre, saurait qu’il sait tout. La réalité, chanceux qu’il est, ne porte à ses yeux aucune ombre. Et forcé une fois de temps en temps de partager la condition des « mauvais », que ces derniers connaissent le doute ou fassent preuve d’un dogmatisme contraire au sien, forcé donc de retourner dans la Caverne parce qu’après tout il est quand même humain et doit bien se nourrir, gagner sa vie, copuler, aller à la salle de sport, briller en société, il se taira alors, gratifiant au mieux ses semblables d’un petit sourire en coin qui veut dire « Je sais » et dispense de tout débat avec cette plèbe – ou bien leur hurlera dessus parce qu’il a raison, oui, parfaitement raison, et que quand on a raison, on a le droit non seulement de mépriser ceux qui ont tort, mais encore de les terroriser. Tel est le secret de BDS.
Je vois les ravages de cette campagne, ici aux Etats-Unis. J’entends même parler d’humiliations subies par des élèves dont le seul tort est d’être israéliens. A New York, oui : il y aurait là de quoi en étonner plus d’un…
BDS n’est pas né aux Etats-Unis mais il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il y prospère. Un pays qui a engendré Donald Trump et Michele Bachmann, pays où des candidats à la magistrature suprême nient que les dinosaures aient existé ou que la planète soit menacée par la pollution et le réchauffement climatique, un pays où la foule puritaine lyncha, marqua les déviantes de la « lettre écarlate », lobotomisa à tire-larigot, fit la chasse aux progressistes au nom de la Guerre Froide, continue d’en vouloir à un président qui mentit sous serment sur une « tache » qui ne regardait que sa vie privée, mais ne jugera jamais son successeur parce que ses mensonges, autrement plus graves si l’on en juge par les milliers de morts qu’ils entraînèrent, ne furent pas, eux, faits sous serment, ce pays devait bien, à côté de sa droite imbécile, avoir une gauche imbécile – et la vieille mesquinerie puritaine qui y combat depuis l’origine les élans sublimes de ses pionniers, de ses artistes et de ses sages, devait aussi s’y retrouver. La réalité, sans cela, eût été trop simple.
Je veux bien qu’on soit antisioniste. L’obsession antisioniste est en revanche révoltante : s’est-on avisé que peu d’Etats étaient « légitimes » si l’on devait rendre compte de leur fondation à l’aune des valeurs de 2015 ? Et qu’un Etat palestinien qui eût existé à la place de l’actuel Israël eût lui aussi bafoué, de par cette existence sans partage, toute une série d’aspirations nationales, à commencer par celle de la minorité juive qu’il eût alors eue sous sa coupe ?
Mais Israël pour ces gens n’a pas d’existence concrète : c’est un symbole. Israël, c’est le peuple juif mais non le peuple juif aimable par sa souffrance et sa situation d’oppression, un peuple juif rendu à lui-même, le peuple des pharisiens : voilà ce que murmure le vieil inconscient antijudaïque de l’Occident ; des pharisiens et de ces zélotes qui eurent le mauvais goût de souhaiter la rédemption des leurs ici et maintenant, sur leur terre et non au ciel. Le peuple juif, on l’aime quand il est étranger au monde, quand il est idéal. On ne peut que le haïr s’il a le malheur de vouloir exister ici-bas.
Bien sûr, BDS reproche aussi cela à l’Occident, en quoi il exprime une vérité qui le dépasse, à savoir que les Juifs sont bien étrangers à cet Occident qui les a massacrés et privés naguère de leur terre, et constituent pourtant paradoxalement son cœur même, sa substance refoulée, ce sans quoi disparaîtrait toute conscience occidentale. C’est bien ce qu’une certaine gauche bourrelée de haine de soi refuse d’accepter car une telle existence est par trop complexe, par trop tragique, parce qu’elle porte en elle une qualité de révolte qui lui est complètement inaudible. Elle pourrait aimer, cette gauche, les hassidim qui croient n’avoir rien d’européen en eux, et elle aime les Juifs qui se haïssent ; elle ne peut supporter les Juifs heureux ou réconciliés.
On notera que si l’Occident et Israël en tant qu’entité occidentale auraient des comptes à rendre, cela n’est jamais demandé à la Chine, à la Russie, à la Turquie, à l’Arabie Saoudite ou aux pays du Golfe, à l’Algérie ou au Maroc qui persécutent leurs populations berbères : oui, nombreux sont les pays qui existent aux dépens d’autrui et qui le font sans complexe ; ils n’ont pourtant pas droit au boycott. Si un élève israélien risque les insultes et les quolibets dans de prestigieuses universités anglo-saxonnes, en ira-t-il de même pour celui dont le père, riche Emirati, torture ses esclaves philippins et pakistanais ? Et l’étudiant russe, lui demandera-t-on s’il a du sang tchétchène sur les mains, comme on fait à l’Israélien accusé d’être un assassin d’enfants ? Non, tout simplement non. Mais alors je vous le demande, chères bonnes âmes : pourquoi cette différence ?
Le sort des Palestiniens vous attriste et vous boycottez l’Université Hébraïque qui les accueille, l’Université de Tel Aviv et l’Université de Haïfa qui comptent maints élèves arabes et pas mal de professeurs antisionistes ; l’idée en revanche ne vous est jamais venue de pénaliser ces monarchies théocratiques du Golfe qui vivent sur le dos d’esclaves. Au passage, qui se souvient de la grève survenue en 2009 à Abu Dhabi lorsque New York University y construisait un campus dans le respect du droit du travail, bien sûr, et des Droits de l’Homme surtout ? Les petits cons de NYU qui emploient leur énergie à marginaliser Israël, une démocratie imparfaite mais à tout prendre pas plus imparfaite que les Etats-Unis eux-mêmes, probablement moins même, savent-ils qu’on expulsa alors (religion de paix, d’amour et de justice sociale) les travailleurs qui avaient eu le malheur de protester ? C’est en lisant The Nation, peu suspect de conservatisme, que j’ai pour ma part découvert cet incident et d’autres non moins horrifiques survenus dans cet empire de l’esclavage « moderne » qu’est aujourd’hui le Golfe Persique. Et vous savez la bonne nouvelle, ô Français et Américains ? C’est que ces capitalistes décomplexés nous achètent : vous avez donc bien raison de ne pas protester contre leur pouvoir, ils pourraient se venger le moment venu, et ils ne feraient pas dans la dentelle.
Est-ce donc que les Chinois et les Turcs, je les cite, eux, parce qu’on sait bien qu’ils n’ont jamais colonisé personne, qu’ils n’eurent jamais d’empires, jamais d’esclaves et ne dominent personne aujourd’hui même, est-ce donc qu’ils n’auraient pas d’agency, comme on dit aux Etats-Unis, qu’ils ne seraient pas assez adultes, assez « blancs » pour rendre compte de leurs actes ? Je réponds à cela comme je l’ai fait par le passé et comme je le fais au sujet de Bouteflika, d’Al Baghdadi et de tous les tyrans « non-blancs » : racisme ! Et j’ajoute par ailleurs qu’à part les nazis, tout le monde a toujours considéré les Russes comme blancs, qu’eux-mêmes se voient comme tels et qu’on n’aime pas tellement les gens de couleur de par chez eux, surtout s’ils ont des ambitions nationales : ce cas, bizarrement, n’intéresse pas non plus BDS, pas plus que le racisme des orientalistes russes n’intéressait Said l’essentialiste masqué. C’est que la Russie n’est pas l’Empire (sic) : son racisme ne mérite donc tout simplement pas qu’on le combatte (re-sic).
Je ne souhaite pas en vérité qu’on étende le boycott à tous ceux qui le « mériteraient » : d’abord il ne resterait plus grand monde ; ensuite ne serait-ce pas là l’expression d’une domination, d’un impérialisme dont précisément nous ne voulons pas, d’un pouvoir d’exclusion auquel on aurait envie de dire de balayer devant sa porte ? Et il me vient justement à l’esprit que les Américains et les Anglais qui vomissent Israël agissent comme les enfants gâtés de cette toute-puissante bourgeoisie contre laquelle ils prétendent se rebeller : j’ai choisi ma cible, moi qui suis blanc et riche et qui dois par ailleurs me racheter ; j’ai choisi une cible qui me ressemble assez et qui diffère assez de moi en même temps pour tenir lieu de parfait bouc émissaire, et comme c’est moi qui commande, comme c’est moi qui suis le maître, je veux qu’on obtempère ! C’est la tranquillité de ma conscience qui l’exige.
Ces prétendus ennemis de l’impérialisme manifestent la rencontre, odieuse s’il en est, de la mentalité dominatrice blanche et de la stratégie coloniale et ploutocratique de ceux dont le génie est d’utiliser le « camp du progrès » pour faire triompher leur idéologie rétrograde : je veux parler bien sûr des monstres du Golfe, du salafisme international, des frères Ramadan et de tous leurs pareils, qui instaureront dès qu’ils en auront licence, un monde de soumission et de fatalisme, où les homosexuels, les femmes, les Juifs, les artistes, les savants et les pauvres n’auront qu’à bien se tenir. D’ailleurs, les militants homosexuels qui soutiennent BDS, j’en connais et les malheureux incarnent bien la confusion d’une certaine « gauche », insultent Tel Aviv et sa Gay Pride, mais semblent trouver, par leur silence du moins, toutes les excuses du monde à des pays où l’on peut mourir parce qu’on aime différemment. Pensent-ils que leur propre identité sexuelle est un produit occidental et que les misérables homosexuels arabes ne doivent pas rechercher de salut hors de l’homophobe charia ? Ne se rendent-ils pas compte que s’ils pensent ainsi, ils sont tout simplement racistes ? Qu’ils prennent fait et cause pour une stratégie qui les prendra un jour pour cibles ? Je m’avoue perplexe.
Bien sûr que BDS est antisémite. Tout ce qu’il ne dit pas des autres, toute cette complaisance qu’il a vis-à-vis de tant de régimes, tous plus abominables les uns que les autres, quand rien de ce que fait Israël ne trouve grâce à ses yeux – tout cela désigne le caractère morbide de son propalestinisme. Alors vous me direz qu’il y a plus d’un Juif aux Etats-Unis ou en Angleterre, et même sans doute en France, militant pour le boycott d’Israël. Je n’y vois que deux explications. Soit une vision religieuse inavouée du rôle du peuple juif, vision où celui-ci se devrait d’être plus exemplaire que les autres : je concède d’ailleurs qu’il m’arrive de la partager, mais je pense aussi qu’elle n’a pas grand rapport avec la géopolitique et qu’ainsi traduite elle s’avère à la fois trop inexorable à l’égard des Juifs, et trop patiente à l’égard des oppresseurs qui auraient la chance de ne pas appartenir au Peuple Elu et pourraient se montrer féroces sans être houspillés pour cela.
L’autre explication, pas exclusive de la première, tient en ces trois mots : haine de soi. Ca n’est pas nouveau, c’est une vieille maladie juive, contractée au reste par l’Occident – moins par le monde arabe qui a pourtant hérité de beaucoup d’autres choses du judaïsme, mais peut-être pas de cet esprit de doute, de scepticisme et d’autocritique qui assaille l’homme biblique.
Les « self-hating Jews » de BDS, si c’est bien l’origine de leur engagement, peuvent être fiers de compter parmi leurs prédécesseurs, outre l’idiot Shlomo Sand, le néo-nazi Dan Burros ou Bobby Fischer le détraqué, quelques vrais génies juifs (c’est une chose que j’accorde au non-génie Soral), tels que Marx – ou bien sûr le très saint Paul, oui, notre bon cousin Saül qui devait en avoir gros sur la patate lorsqu’il écrivait que les Juifs « ne plaisent pas à Dieu et sont contre tous les hommes » ; heureusement, ajoutait-il, « la colère à la fin leur est venue dessus ». C’est dans la Première Epître aux Thessaloniciens : déjà à l’époque, les religions de paix et d’amour ressemblaient à s’y méprendre à des religions de haine et de guerre.
Bon, à sa décharge, Saül était un peu dérangé lui aussi, meshuge comme on dit en yiddish, il le reconnaissait d’ailleurs aisément et il devait au fond aimer ses frères de sang puisqu’il disait aussi tel jour qu’il s’était levé du bon pied – ou pas : « Oui je souhaiterais d’être moi-même maudit, loin du Christ, pour mes frères, mes parents selon la chair, eux qui sont les Israélites, à qui sont l’adoption, la gloire, la législation, le culte, les promesses, à qui sont les patriarches et de qui est le Christ selon la chair » (Epître aux Romains, 9 : 3-5). A lire cette alternance de diatribes et de paroles chaleureuses, on a un peu mal pour celui qui se qualifiait lui-même d’avorton – et on aimerait qu’il n’ait pas renoncé au mariage et à l’amour, le vrai, le concret, vous savez, cet amour qui parfois gêne, qui a une odeur, qui peut décevoir ou lasser : sans doute eût-il moins déliré, peut-être eût-il eu, un jour sur deux en tout cas, moins de hargne contre ses frères, contre les « sodomites » et contre les femmes auxquelles il cherchait à imposer le voile… Et je crois, à voir la mine bien grise de certains de ses successeurs tout de même moins malins de BDS, que cela est valable pour eux aussi.
Mais une chose surtout me frappe. Il fut un temps où les Résistants aimaient la solitude. Il fut un temps où résister voulait dire avoir la foule contre soi. Et douter bien sûr, craindre. Changer d’avis peut-être, même si l’on doit parfois trancher, qu’on ait raison ou non. Il fut un temps où l’on ne résistait pas à l’unanimité mais en secret, seul contre tous. Ah ! Me direz-vous, le « Partisan » de Leonard Cohen et d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie a « la France entière derrière lui ». Seulement, une chose est d’avoir avec soi ceux qui souffrent et qui ne peuvent le dire, autre chose est de constituer entre « potes » une clique qui s’aime, qui s’admire elle-même et qui terrorise ceux qui pensent différemment d’elle, par le sourire en coin, la violence ou les vociférations. Cet unanimisme est la rencontre des bonnes intentions à la Pol Pot et de l’amour de soi de la génération selfie : vas-y que je me trémousse sur Facebook avec mes banderoles pour la Palestine, combien de likes ai-je obtenus ? oh ! qu’il est bon de savoir qu’on a raison et de penser comme tous les gens que l’on connaît !
C’est bon, oui, bon de savoir qu’on est bon, et que tous les autres sont méchants ou prisonniers des ténèbres. Mais depuis quand donc la gauche se veut-elle à ce point « morale » ? Cela ne devrait-il pas d’ailleurs lui mettre la puce à l’oreille ? Comment peut-on ne pas s’étonner d’être bon, soi et tous ses amis, face à tant de mauvais ? N’est-ce pas trop simple ? Allons, un peu de relativisme, bon Dieu, un peu de doute, ça fait du bien même aux bons…
Oui, ce faux anticonformisme, par le fait même qu’il produit des milieux si homogènes, devrait alarmer ceux qui s’en réclament. Comment ne pas vouloir changer d’avis quand on pense comme tous ses amis, toute son université, tous ses professeurs et tous les livres qu’on lit ? Mais peut-être que la rétribution de ces efforts intellectuels de pacotille, c’est qu’on n’a pas besoin de se questionner et qu’on peut finalement dormir en paix – tandis que d’autres, les malheureux, lisent des livres pour s’arracher l’âme… Ah ! Le sommeil ! « C’est une vérité bien connue qu’il faut avoir toutes les vertus pour bien dormir », dit le sage ès vertu de Nietzsche. Il est bien des professeurs, bien des maîtres qui se croient Socrate mais ne font que ressusciter ce prétendu sage. De lui Zarathoustra dit : « Un charme émane de sa chaire elle-même. Ce n’est pas en vain que les jeunes gens viennent s’asseoir aux pieds de ce prédicateur de vertu. » Et d’ajouter : « Sa sagesse consiste à veiller afin de bien dormir. » Qu’il est bon en effet de se savoir, après tant d’efforts, membre de la sainte confrérie – et de pouvoir pioncer sur ses deux oreilles…
Pourtant, je le redis, il faut parfois penser contre soi-même, ses maîtres et ses amis, et même lire des livres désagréables et aussi se renier un peu pour s’atteindre vraiment – car la cruelle candeur des mômes ligués contre l’un d’entre eux n’a jamais été synonyme d’équité ou de liberté. Et quant au sommeil, je ne le crois bon que s’il est quand même un peu troublé.
De deux choses l’une, soit le Gouvernement possède un dossier complet sur le Hacheur de la Goutte-d’Or, soit son cas demeure pour lui une énigme totale ou partielle. Et alors… Eh bien, il n’est pas en mesure d’affirmer que l’homme a agi seul ou que l’homme n’était pas radicalisé. Il se peut que nos dirigeants aient écarté les reproches qui n’allaient pas manquer de s’élever à propos d’un fichable S que la DGSI aurait laissé passer entre les mailles de son filet. D’accord. Mais ils feraient mieux de réserver leurs angoisses à ce qui est vraiment redoutable. Car, disons-le, nous n’ignorons pas que les patentés S courent nos rues, et nous ne sommes pas moins inconscients du fait que les recrues du califat mondial n’ont pas fait l’objet d’un recensement exhaustif. Ni par vous, ni par moi d’ailleurs. Ni même par leur proche entourage. Voilà pourquoi nous ne pouvons tirer aucune conclusion du témoignage des personnes que côtoyait chaque jour la chair à canon des Brigades rouge-vert-brun. Inutile donc de tomber des nues avec ceux qui ne vous confieront jamais que Merah, Glam ou le prochain fumier de l’Acause désuniversaliste n’était pas connu de son quartier comme le loup blanc. Qu’il n’avait pas pour habitude de brandir son drapeau noir et d’avertir ni les siens ni les autres qu’il avait ou allait prêter allégeance au calife du moment. Qu’il était là, tout près de tous, en train de préparer l’attentat que Nom Prénom lui avait commandité, le jour d’avant, le mois d’avant, l’année d’avant. Détrompons-nous. Les braqueurs de Daech ne sont pas des bras cassés. Et quand ils en ont l’air, il est à craindre qu’ils l’aient bien cherché. Exemple : Un faux gilet d’explosifs peut faire office de bouclier pour un Intifadas au couteau persuadé qu’il aura le temps d’égorger quelques représentants de l’ordre républicain avant qu’on ne prenne le risque de lui tirer dessus. Il est temps que notre État apprenne à évoluer dans le méta-État. Qu’il s’y sente comme chez lui. Qu’il devienne, lui, le champion du leurre. Le faux fournisseur des vrais artificiers. Le faux commanditaire de l’inconnue sanglante. Il est grand temps que nous reprenions la main sur le marché des universaux gagné par le séparatisme. Évidemment, il y a deux lectures possibles d’une approche de ce type. La première, qui part du postulat que le paumé endoctrinable, étant perméable à n’importe quelle doctrine, ouvre pour nous une brèche dans sa conscience en ruines par laquelle nous pourrions nous glisser en vue de l’édifier sur les valeurs qui sont les nôtres et, par essence, les siennes, valeurs ô combien rayonnantes dont la diffusion aurait pour effet de valoriser la vie d’un être qui les porterait haut. Quant à la seconde (lecture), un peu moins optimiste, elle ne mise pas un kopeck sur le lavement diafoireux du cerveau des Virgile Cabral impatients d’en découdre avec les gros pleins de soupe et leur catin de plèbe. Là, je vous arrête, avant que vous ne me passiez les menottes. Je vous dis que non. Je ne conclue pas du fait que l’on cherche à anéantir notre modèle de civilisation que ce dernier doive être préservé comme un vase en cristal duquel nous n’aurions plus à cœur de changer l’eau croupie. Pour autant, j’aimerais que les punks du Gouvernement se laissent innerver un instant par ce qui les énerve. Qu’ils s’attachent à ne pas dissocier au-delà du supportable, c’est-à-dire en deçà du bien et du mal, Carl Oberg et Henri Lafont. On nous a déjà demandé d’accepter l’idée que la menace terroriste était devenue une donnée consubstantielle de l’État de droit. Et il faudrait maintenant que nous apprenions à la requalifier à la baisse? comme procédant des marges délinquantes? un pur produit de la contreculture? Imaginez bien que rien de ce qui nous échappe des lèvres ne tombe dans l’oreille d’un djihadiste sourd. Alors, je vous en conjure… ne mâchons pas le travail à ceux qui instrumentalisent la bande Bonny-Lafont. Et évitons, en l’espèce, de leur confectionner des panoplies de Superdélinquant flambant neuves. Mais enfin, si par délinquants, vous entendez que les assaillants d’un commissariat du 18e arrondissement de Paris, d’une voiture de police à Philadelphie ou d’un checkpoint de Beka’ot ne sont pas assez futés pour modifier tout seuls l’angle de tir du Jihâd en territoire d’intégration massive, que Daech a compris que cribler de balles des femmes et des hommes désarmés n’est plus aussi justifiable qu’hier dans l’esprit des cibles de l’eurabisation, de l’amérabisation ou de tout ce qui n’a pas été arabioté, si vous pensez, comme moi, que le champ de bataille terrestre dérive tous azimuts, il n’est pas impossible alors que nous finissions par nous entendre.
La nature a horreur du vide? ça tombe bien. Elle déborde de nutriments indigestes. Le primate suprême oublie trop souvent qu’il fut un herbivore avant que son exil prolongé au cœur de la plaine africaine ne l’eût forcé à singer le roi des animaux terrestres. C’est dire si l’idée de prendre exemple sur les ruminants ne l’ébranle pas, lui qui n’accordera jamais un hoquet d’attention à la remontée des objets de conscience qu’il avale comme autant de moucherons.
Quelques jours après le début de la fin des temps, la République avait dévissé la plaque d’une officine d’al-Qaïda. Cette étrangeté, pas inquiétante pour un sou, pignonnait à un demi-battement d’ailes du studio où j’avais consumé ma troisième décade. Je me souviens de mon premier matin, passage Alexandrine. Du boulanger arabe situé au coin de la rue. Je lui avais proposé de venir prendre le thé chez moi, et je dois dire que ses zygomatiques avaient bien résisté quand je m’étais montré un peu plus catégoriel qu’à l’inaccoutumée concernant l’identité de mes ancêtres nord-africains. Trois jours plus tard, je franchissais de nouveau la porte de la boulangerie. Au moment de payer, je proposai à mon nouvel ami un autre rendez-vous ayant pour but de renforcer la Pax Algerica judéo-arabe. Il déclina mon offre. N’étant pas du genre à me contenter d’absurdes inexplications, je lui demandai si j’avais, par inadvertance, fait quoi que ce fût qui eût pu le blesser. Me voyant remonter à la charge, il me cracha le morceau.
« C’est mon frère.
– Ton frère? »
Le patron avait disparu de derrière son étal et me laissait déduire sa face des deux profils qu’il agitait dans l’entrebâillement de la porte. Je ne voyais pas très bien ce que pouvait avoir à me reprocher cet homme que je ne connaissais ni de l’Adâm primordial, ni de son double, ni de sa division.
« Ton frère… Eh bien?
– Il ne veut pas qu’on se voie. »
D’aucuns m’expliqueront que la FataHezbollaHamassisation de la néocause anticoloniale d’un citoyen algérien en phase de migration économique prolongée n’avait absolument rien à voir avec la coranisation des mondes. Qu’ils se montrent patients avec moi et veuillent bien tout reprendre à zéro. J’ai beaucoup de mal à être endoctriné. Rien n’explique à mes yeux qu’un indigène des anciennes provinces de l’empire français juge nécessaire de poursuivre sa guerre d’indépendance au sein d’une nation qui, outre son statut d’impuissance postcoloniale, peut s’honorer d’avoir compté parmi les grandes puissances décolonialistes de son temps. Rien, hormis, peut-être, cette guerre d’indépendance d’un degré supérieur, qui aurait pour finalité de chasser l’Envahisseur protéinational des terres promises au califat universel. Et pour cause, le délire millénariste n’a jamais pris forme dans le nuage de fumée des Tours jumelles. Ce projet fait partie intégrante de la rue intégriste, laquelle, malheureusement, recoupe la rue universaliste partout où elle se virtualise. Les djihadistes de la rue Ben Laden qui m’ont, à l’occasion, craché des noyaux d’olivier dans les pieds ne me contrediront pas. La Reconquista Islamica est un projet bien antérieur au nassérisme qui en est le cheval de Troie pan-nationaliste (= capable de passer inaperçu au sein d’une organisation inter-nationale). Ah oui, pardon… La France n’étant pas pour moi un pays de race blanche, j’avais omis de vous informer qu’à la même époque où je ne cherchais pas à occulter le fait qu’une franchise d’al-Qaïda préparait l’après-9/11 à deux pas de chez moi, l’altiste de mon quatuor à cordes arborait fièrement ses racines italo-algériennes. Pris comme nous tous dans la transdiversalité de l’univers, Daech est une tête coupable de l’hydre djihadique. Il ne se sent pas contraint de continuer un combat éternel qui, par définition, n’a jamais commencé. Le djihadisme, autrement dit, l’islam totalitaire, squatte ainsi les conflits d’ordre territorial avant qu’une éventuelle indépendance proclamée ne devienne, sous sa houlette, la métastase anachronique d’une guerre métacoloniale. Son calendrier n’étant naturellement pas le nôtre, le risque principal que nous courons tandis que nous le pourchassons est de laisser les apparences instables de sa logique nous aspirer en des temps qui ne sont pas les nôtres.
Les temps sur lesquels nous allons désormais tenter de nous caler, nous les voulons aussi inspirants que possible. Nous aussi avons des aspirations mondialistes. Et nous savons, entre autres coulées de source, que tout ce que nous ferons pour faire barrage au pire n’a aucune chance de réussir tant que nous n’en aurons pas célébré les noces de la cause et de l’effet. Si les solutions aux questions colossales dont les civilisations de bonne volonté n’ont, jusque-là, fait qu’amorcer l’étude ne jailliront certainement pas sous la cloche du protectionnisme, gageons qu’elles se laissent attraper par le bon bout, celui qu’on a pour habitude d’appeler l’autre bout.
BDS est une chance d’élever le débat et de le cadrer. Il se focalise sur le droit international. Ceux qui le promeuvent n’ont aucun intérêt personnel, sinon de faire naître un peu d’espoir et canaliser les rancœurs. De plus, cette campagne s’oppose aux idées de choc de civilisation, de racisme, des guerres incessantes… BDS est à bénir! Car éloigne ceux qui y adhèrent de la violence, de la confusion et les rapprochent d’esprits éclairés ; S. Hawking, S. Hessel, R. Waters…
Ce n’est pas parce que quantité de pays (Russie, Chine, Arabie saoudite etc) commettent des atrocités qu’il faut renoncer à la dénonciation des agissements d’Israël.
Mettre à égalité les personnes pro BDS et celles qui votent Trump ou nient les dinosaures… n’est-ce pas un poil exagéré ?
Si boycott il y a, il est essentiel de le faire autrement. BDS met dans un même sac tous les produits israéliens, sans distinction. Stratégie fumeuse !
On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : entre faire pitié et avoir une armée surpuissante il faut choisir. Israël a fait son choix, tant pis pour la pitié si sympathique.
Je suis d’accord pour se remettre en question
Quel talent Mr Haziza, quel résumé brillant en partant de la Genèse et en passant en revue toutes les déviations de l’Âme qui mènent à la notion de bouc émissaire, à la haine de soi. La haine de soi bien connue en psychanalyse pour expurger sa « culpabilité »en se sentant coupable et aussi ses complexes et la notion de bouc émissaire pour « laver » ses propres faiblesses en en rejetant la faute sur l’autre surtout si il ne présente pas de danger pour soi.
C’est un texte magistral que vous nous avez donné, un travail difficile…Merci.
Pourquoi Shlomo Sand serait un idiot ?
BDS est tenu par des personnes aux intérêts douteux, ce qui rend toute la démarche illégitime, alors que pour beaucoup cela représente une (la seule) option pour faire entendre leur détresse. Et il en est ainsi à tous les niveaux du conflit israélo-palestinien. Tant qu’une poignée fera passer ses intérêts avant la paix, aucune issue n’est envisageable.
Si on écarte BDS, alors que reste-t-il pour attirer l’attention sur les incessantes violations des résolutions de l’ONU par Israël ? Les armes ? On voit bien les résultats tragiques…