La scène se déroule à quelques encablures des Champs-Elysées, dans ce triangle d’or qui a coutume d’accueillir les défilés de la Fashion Week. Pourtant, ce 10 septembre, dans ce grand appartement haussmannien de l’avenue de Friedland, ni catwalk, ni étoffes griffées. La presse est conviée par la marque Nike qui organise la présentation du nouveau maillot du Paris-Saint-Germain. Il s’agit d’une tunique noire, élégante, cadrant avec l’atmosphère raffinée du lieu et les ambitions nouvelles du club de la capitale. Entre petits fours et coupes de champagne, on nous explique que la tenue sera portée lors de certains matchs de Ligue des Champions, graal de la planète football et objectif prioritaire du PSG cette saison. Infiniment plus qu’un simple maillot, ce nouvel habit raconte les ambitions des propriétaires qatariens et regorge de messages forts sur la notion même de France. Décryptage.
1973. Lorsque le couturier Daniel Hechter prend la présidence du Paris-Saint-Germain, la formation végète en troisième division. Tout est à créer ou presque, Hechter s’entoure d’un attelage hétéroclite (Just Fontaine, Jean-Paul Belmondo) pour dynamiser un club qui n’en est encore qu’à ses balbutiements. Avant de songer à demain, il lui faut en priorité poser les bases. Première décision prise par le couturier, fixer une bonne fois pour toutes le dessin et les couleurs du club qu’il entend mener vers les sommets. Désormais et pour longtemps, le maillot parisien va afficher trois couleurs : le bleu prédominant, le rouge formant une large bande centrale façon Ajax Amsterdam et des liserés blancs pour délimiter le col et les manches. Trois couleurs qui font sens : les deux premières sont celles de la ville de Paris tandis que le blanc est la couleur de Saint-Germain-en-Laye, résidence historique des Rois de France et ville associée au projet parisien. Au fil des années, cette combinaison s’est imposée dans le cœur des supporters ; dès qu’on y touche, ils deviennent chafouins. Le maillot classique Hechter sera donc réutilisé à travers les décennies, sous l’ère Denisot (années 90) comme sous l’ère qatarienne (décennie 2010). De nos jours pourtant, rester fidèle à la tradition ne semble plus suffire. Impératifs du merchandising oblige, pour vendre toujours plus de maillots et augmenter les rentrées d’argent, il faut chaque saison proposer de nouveaux modèles. Comment réaliser ce prodige alors que l’on est tantôt garant tantôt otage de ferventes couleurs ? Réponse : en s’appuyant sur des maillots « extérieurs » toujours plus extravagants ou en créant un troisième kit. Une manipulation à même de contenter tout le monde. Cette année donc, le troisième maillot du PSG est noir et c’est, au regard de l’Histoire, un choix curieux. Pourtant, si l’on se plonge dans les archives du club, on se rappellera que le PSG a déjà joué en cette couleur. Ce fut au cours de la saison 2001, le fameux maillot n’avait alors servi qu’une seule fois, contre l’Olympique de Marseille. Nous avions d’un côté le blanc immaculé phocéen, de l’autre l’obscurité parisienne. Presque un combat de valeurs.
Et aujourd’hui, quels messages la nouvelle direction veut-elle nous faire passer avec ce noir réinterprété ? Il s’agit d’abord d’un signal fort. Ce nouveau maillot raconte la reprise en mains d’un club qui était à la dérive sur les plans sportifs et financiers avant que n’intervienne le providentiel rachat qatari. Depuis l’arrivée des pétro-dollars, les stars affluent sur le terrain et dans les tribunes, on voit même Nicolas Sarkozy en loges lors des matchs disputés au Parc des Princes, preuve d’une position de force retrouvée sur l’échiquier sportif. N’en déplaise à ceux qui prédisaient le pire, la gestion du club est logique et assainie, Jean-Claude Blanc, son discret directeur général s’est bien gardé de multiplier les coups d’éclats inutiles sur le marché des transferts et l’on s’occupe désormais même de formation au Camp des Loges. Il y a donc un plan dans la tête de Nasser al Khelaifi, Président du Conseil d’Administration du PSG, une volonté de conjuguer tradition et modernité. L’arrivée tardive de ce maillot noir raconte tout cela : le respect du format traditionnel Hechter et de l’Histoire du club mais également l’envie de marquer le présent de son empreinte. Si cette saison Paris remporte la prestigieuse Ligue des Champions, elle le fera peut-être avec son maillot noir et ce sera alors une belle victoire pour les dirigeants de ce club affamé de victoires. Mais il y a autre chose. En exposant son maillot comme la dernière pièce d’un créateur de mode, c’est bien le chic à la française que nous sert le PSG et son équipementier Nike. Pas un hasard donc si l’on voyait, lors de la présentation presse, Sophie Laban, communication manager de la marque à la virgule, ouvrir son carnet d’adresses très glamour pour cet évènement quasi-mondain ! Outre le nouveau maillot, la presse a pu voir, ce 10 septembre, la Tour Eiffel sous toutes ses coutures. En mettant le monument en avant, Nike et le PSG ne vendent rien de moins que l’idée de France au grand public. Et contre toute attente, il s’agit d’un thème qui fait encore recette. On remarquera au passage que cette réévaluation de l’image de notre pays est due à deux acteurs qui lui sont étrangers : d’un coté Nike, équipementier américain, de l’autre QSI, l’actionnaire majoritaire du club parisien qui n’est autre que le fonds d’investissement souverain de l’émirat du Qatar. De là à dire qu’il vaut mieux être en dehors de la communauté nationale pour savoir vendre l’image de Paris et de la France, il n’y a qu’un pas, que l’on pourrait franchir allégrement. Loin du French bashing, dans l’imaginaire collectif international, la France est aujourd’hui synonyme d’Arts, d’Histoire, de mode et de patrimoine. C’est aussi, en matière de musique electro, la French Touch. Le club de la capitale a donc mélangé tous ces ingrédients pour produire une vidéo promotionnelle truffée de références. On y voit les joueurs parisiens tout de noirs vêtus tâter le cuir dans les jardins des châteaux de Fontainebleau et de Saint-Germain. Autour d’eux, la garde républicaine. En fond sonore, la musique de Vincent Belorgey dit Kavinsky. Le tout dans une vidéo soignée réalisée par Mathieu César, clippeur de Daft Punk, que l’on présente souvent comme « le prince noir de la photographie de mode ». Et dire que l’on ne croyait voir qu’un insignifiant maillot de football…
La sortie gobiniste de Morano sur la France, pays de race blanche, va offrir au chef des Républicains l’occasion de nous faire une petite démo du lave-vitrine Kärcher : un fusil politique de précision.